Interview – Villagers : « La musique c’est une collègue, une amie, un soutien de vie !»

Les jours frileux vont si bien avec sa musique qui transperce et réchauffe les coeurs. C’est le cou bien emmitouflé dans sa barbe que le leader de Villagers s’est confié à Sound of Britain. Connor J. O’Brien n’a pas frémi pour se raconter comme dans Courage, premier single de son nouvel album, Darling Arithmetic. Un album  « fait à la maison », une occasion de revenir avec celui qui se définit comme geek sur la création, la solitude ou la confrontation au live.

Vous aviez dit dans les Inrocks qu’Awayland était positif et lumineux et le prochain album serait sordide et arrogant. Alors le challenge est-t-il réussi? (rires)

(silence) J’ai vraiment dit ça? Mon dieu je disais pas mal de bêtises alors… (sourires) Quand j’ai commencé à écrire cet album, je n’avais qu’une idée en tête : faire simple. Je voulais une chanson qui puisse délivrer un message et ne pas en dire trop à la fois. Je voulais que grâce au son et à la langueur, l’auditeur se sente bien, relaxé. Dans le dernier album, il y avait beaucoup d’idées, c’était fabuleux de l’enregistrer mais là, je voulais aller dans la direction opposée : me donner du temps avec des compositions acoustiques, des chansons douces. J’ai commencé à écrire des chansons d’amour, je n’avais pas du tout envisagé cela auparavant mais c’est arrivé tout simplement…

Villagers



Vous avez qualifié vos compositions de  « simples » et « douces » cette impression de cocooning vient-elle du fait que vous ayez composé tout cela chez vous?

Oh oui, certainement… Je pouvais en faire beaucoup plus, mais j’ai décidé que ça ne serait pas le cas cette fois, j’ai dû en fait me restreindre énormément. Mais il y a un certain revers à cet enregistrement maison sur mon petit appareil 16 pistes, je n’ai pas pu faire des tas de choses expérimentales que j’adore d’habitude comme tester des sons. Du coup j’ai beaucoup plus misé sur l’écriture que sur le mixage sonore et les arrangements. Il y a des cris de mouettes dans l’album, mais ce sont les seuls que j’ai rajoutés suite à un enregistrement que j’ai trouvé. Tous les autres oiseaux sont venus naturellement dans l’album, je n’ai même pas pu les enlever, ils étaient à la fenêtre quand j’enregistrais. (sourires) C’est plutôt sympathique, on peut même entendre des chiens si on tend bien l’oreille.

Villagers-Courage

Mais ça doit être un état particulier de « composer, créer chez soi »?

Oui mais ça n’aurait jamais dû être ainsi, j’ai commencé à imaginer ces chansons comme des démos à faire ensuite écouter à la maison de disque  et surtout à enregistrer en studio ; mais après quelques mois, j’ai commencé à réécouter tout cela, et ça sonnait vraiment pas mal. C’est un état spécial, j’étais totalement sans effet de stress, du coup le son est beaucoup plus intime. Les prises voix étaient souvent saisies sur le vif. Pour l’album précédent, j’avais fonctionné de la même façon, mais la version démo a été réenregistrée en studio, je me disais alors : ah! c’est cette prise que je veux entendre. Là, c’était tout le contraire, je ne me rendais pas compte que j’enregistrais ce qui allait devenir un album. J’étais moins en contrôle, plus ouvert d’esprit. La pression n’était pas moindre, parce que je suis également le producteur de l’album… (sourires) Enfin… tout cela a été  réalisé en deux temps, j’ai travaillé pendant 8 mois tout seul avec les hauts et les bas de la créations … (rires) J’ai eu des moments d’émotions intenses, des moments de doute. Je passais des semaines avec mon stylo à la main en me lamentant : pourquoi je n’y arrive pas? Et puis des journées entières de création. C’était une vraie montagne russe émotionnelle. C’était intense mais j’adore ce processus même pour ces côtés négatifs. C’est comme un parcours de santé, un moment où je teste mes propres limites.

Le processus de création est une entreprise solitaire mais vous n’étiez pas totalement seul car vous avez une nouvelle guitare, Laurel…


Oui comme dans Laurel et Hardy, un ami a nommé la sienne Hardy! (sourires) C’est important d’avoir de nouveaux instruments car on crée plus, on éprouve de nouvelles sensations, de nouvelles vibrations avec de nouvelles cordes. J’en avais vraiment besoin car mon ancienne avait bien vécu pendant la tournée. Et puis j’ai eu la chance de rencontrer un luthier qui m’en a fabriqué  une « sur mesure ». C’était fantastique! Je suis allé plusieurs mois lui rendre visite pendant la tournée pour choisir le bois et je l’ai vu poncer le bois pour les derniers réglages… Ça a du prendre 10 mois mais c’était magique!

Cet album acoustique est une réelle mise à nu artistique? Pourquoi maintenant? 

Je pense que par le passé, j’ai souvent culpabilisé d’être trop cérébral, d’utiliser mon cerveau bien plus que mes tripes ou mon coeur. Là c’était le moment de créer quelque chose d’émouvant, de faire ressentir des choses à l’auditeur, de proposer de pures chansons sentimentales. Enlever les barrières, le surplus, les excès, juste laisser respirer la chanson et l’auditeur, et traduire pas mal d’expériences personnelles! J’étais du coup très conscient de cela pendant l’écriture de l’album. Mais il s’appelle Darling Arithmetic, donc ma tête continue de contrôler l’ensemble, j’ai encore tout loupé! (rires)… Il fallait à tout prix dépersonnaliser l’amour, plutôt que de dire « ma Joanne chérie », utiliser le mot d’« arirthmetic ». En même temps l’arithmétique, c’est les fondements des mathématiques et dans un certain sens la métaphore des bases d’une relation. C’est sans doute pour cela, que c’est la chanson la plus personnelle, je me suis pris à mon propre piège …

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Vos chansons sont souvent marquées par une certaine mélancolie mais aussi quelque chose de beaucoup plus lumineux, comme un clair-obscur. Celui-ci est-il aussi contrasté ou est-il plus optimiste à cause de son sujet amoureux ? 


Je ne pense pas qu’il soit optimiste mais j’espère qu’il est réconfortant car souvent les albums qui attirent l’attention par leur côté triste sont ceux qui peuvent le mieux rebooster. C’est pour cela que j’ai fait de la musique pour ne pas me sentir seul dans les moments où tu te sens mal. La musique dépressive, pour moi, c’est celle qui n’attire pas l’attention par ce côte sombre et prétend que tout va pour le mieux. Donc avant d’être optimiste, j’ai envie qu’on pense que cet album est vrai et motivant, pas différent, juste adorable et beau et j’espère touchant. 

La musique comme accompagnement de vie, tout un programme! 
La musique comme une collègue! Oui c’est toujours ainsi que j’ai perçu la musique, comme un soutien de vie, elle a toujours été ma plus grande … amie. (rires) Maintenant, c’est à moi de prendre ce rôle d’accompagnant, c’est d’ailleurs ce que j’ai toujours gardé à l’esprit pour cet album. J’ai énormément été influencé et hanté par John Grant. Et l’an dernier j’ai eu la chance de chanter avec lui. Quand je suis sorti de scène, j’étais totalement bouleversé et dépassé par mes émotions. Je me suis dit : je peux maintenant écrire des chansons comme cela, je peux être direct et et chanter pour l’ancien moi et même l’aider. La musique a un effet totalement thérapeutique. Nous avons commencé à interpréter ces chansons sur scène en Irlande et récemment un psychothérapeute est venu nous rencontrer à la fin du concert en me confiant : « C’est très intéressant pour une thérapie. Je vois que tu as fait un bon travail sur toi-même »(rires) 

Villagers - Darling Arithmetic

En parlant de gros travail, la pochette reste bien mystérieuse. Les albums précédents avaient un visuel conceptuel, là c’est également le cas mais c’est assez flou. D’où vient cette idée de mettre un tableau contemporain en illustration de l’album?

C’est un tableau de mon ami d’enfance David Hedderman, c’est un peu mon alter ego, ado, on était dans la même bande de potes, on est allé à la même école … Il vit à Berlin mais on se voit assez souvent. Du coup je lui ai demandé de me peindre la pochette de l’album. Il l’a réalisée en écoutant la musique. Sur le vinyle, il y a d’autres versions de sa vision de ma musique mais la pochette… Quand je l’ai vue, j’ai tout de suite pensé : voilà! C’est très beau, c’est comme la musique. On devine des ombres, une lune…, pour moi ça représente quelqu’un qui se débarrasse du poids du passé, qui se libère pour se révéler à soi-même. C’est mon explication mais je ne sais pas si l’auditeur ou même Dave y voit la même chose. Les couleurs pastel sont tellement en accord avec les tonalités et la texture de l’album! Donc pour moi ce n’est pas du tout conceptuel, c’est même plutôt textuel…

L’autre visuel de votre nouvel album, c’est le clip de Courage, clip assez simple où vous jouez la chanson en live. Est-ce ce sentiment de concert privé que vous voulez diffuser lors de votre prochaine tournée? 


Ah! le live… c’est assez étrange avec cet album!  J’arrive sur scène et au bout de deux chansons, je réalise que je suis en train de me dévoiler totalement. Puis peu à peu, cette distance disparaît, les gens commencent à se sentir concernés par les paroles, ça devient alors une expérience collective. Je le sens nettement alors je deviens plus détendu. Je ne suis plus en train d’exposer mon ego mais quelque chose nous connecte socialement. Alors oui, c’est intime, c’est partager collectivement une énergie émotionnelle. Avant je m’enfermais dans des symboles et des métaphores, là  j’évoque des sentiments personnels, et pourtant cela devient plus universel. C’est une bonne surprise! Avant, j’avais peur de me livrer avant car je ne voulais pas avoir l’air égocentrique. Etre le leader c’est assez étrange. S’exposer de cette façon aussi. C’est pour cela qu’il faut qu’il y ait un sens derrière. Comme rendre justice à la chanson. Mais le plus dur ce n’est pas d’être sur scène. C’est d’aller sur scène. Avant même de chanter, tous ces regards sur moi, je me sens épié ! (sourires) Alors le maquillage sur scène, c’est fini, en plus je devrai me raser (sourires)

Le maquillage sur scène, c’était pour les Meteor Music Choice Prize que vous avez récompensés mais vous avez été nominé deux fois pour les Mercury Prize, en vain. Est-ce que vous pensez que cette fois « c’est la bonne »? 


Oh je ne sais pas… Ce serait bien avec celui-ci, je me sens bien plus en confiance et fier. J’aime évidemment mes précédents mais j’ai donné tellement de moi-même dans ce projet que j’adorerais avoir de la reconnaissance en gagnant un prix par exemple. ça serait mieux que pour les autres albums (rires). Mais ce n’est pas moi qui aurai le dernier mot de cette affaire (sourires).

En parlant d’événements, l’an dernier vous avez participé au Record Store Day avec une sortie de vinyle exclusive. C’est un matériel toujours important pour vous le vinyle? 


Oui, j’adore les vinyles. Il y a beaucoup de moyens d’écouter de la musique en ligne mais le vinyle… si vous aimez un temps soi peu le disque, la pochette, je suis un peu un geek donc j’adore le côté physique… (sourires) Le vinyle c’est la taille parfaite pour l’expression artistique, c’est magnifique, de le sentir, de le lécher (rires) La sortie de mes albums en vinyle est toujours un grand moment pour moi. Pourtant c’est plus par les cassettes et les cds que j’ai commencé à appréhender la musique, ça devait être Beck, les vinyles, c’est arriver plus tard…

Parmi les lives particuliers, vous avez notamment faits un live session à Abbey Road. Comment vous êtes- vous senti là-bas? Impressionné?

Totalement! Ils ont mixé toute la chanson sur l’ancienne table. Le son était tellement incroyable, je me souviens encore la première écoute …  D’habitude quand on te fait des commentaires après la prise, tu dois te corriger énormément mais là il n’y avait rien à changer, c’était tout juste parfait!Ce son ancien et chaleureux… A vrai dire, j’aurais préféré le faire maintenant car entre temps, je me suis énormément penché sur le travail des Beatles avec leur ingénieur du son Geoff Emerick alors je suis redevenu totalement obsédé par les Fab Four. J’ai écouté beaucoup Revolver et Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band en écrivant cet album. Donc si j’étais revenu sur les lieux, j’aurais été totalement fou en notant des détails du studio, j’aurais volé le mug! (rires)

Vous avez participé à « Christmas is in your Heart », une chanson aux bénéfices des sans abris d’Irlande. C’est un projet qui vous tenait à coeur?

Un ami m’a proposé le projet, j’ai évidemment accepté car c’était un moment terrible en Irlande, des familles entières devaient vendre leur maison, les prix étaient de plus en plus élevés,.. Comment dire non dans ces conditions? On a récolté plus de 6 000 euros, ce qui n’est pas mal pour un événement indépendant. On aurait été  incapables d’en faire autant sans sortir un single.

S’il ne fallait choisir qu’un festival parmi tous ceux que vous avez fréquentés  ça serait lequel?

Ouf! (long silence) Oui, un festival à côté de Dusseldolf en Allemagne. C’est un petit festival qui a une place particulière dans notre coeur car quand on est arrivés là -bas avec notre premier album, on pensait qu’on allait être le petit groupe sur la scène que personne ne va voir. Mais on était sur la première page du livret. La première page! On y est retournés depuis pour jouer sur la grande scène. Toujours extra. Sinon il y a un festival en Irlande qui s’appelle Body and Soul Festival, qui est un festival d’électro mais il y a une bonne section folk, l’ambiance y est bien chaleureuse, c’est là où j’ai chanté avec John Grant. C’était un moment privilégié pour moi …

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