Interview : Kagoule

À l’occasion de sa première tournée hors Royaume-Uni, nous sommes partis à la rencontre de l’une de nos découvertes, le trio Kagoule.

Votre correspondante suisse de Sound Of Britain n’a pas laissé passer l’opportunité de rencontrer le groupe de Nottingham au Romandie de Lausanne le 15 septembre dernier. Sympathiques et drôles, Cai, Lucy et Lawrence ne se prennent pas la tête, que ce soit à propos des imprévus de la tournée – ils n’avaient pas toujours un endroit fixe où dormir – ou du rythme infernal auquel ils ont été confrontés à peine sortis du Royaume-Uni. En effet, après deux concerts à New York, les voilà en Suisse 24 heures plus tard pour deux concerts avec METZ, le premier à Zürich et le suivant à Lausanne. Ils m’avoueront cependant qu’ils ont connu bien pire en Angleterre, certaines salles ne leur donnant même pas d’eau à boire. Au moins en Suisse, ils ont à manger et une loge à eux, me racontent-t-ils.

Kagoule, c’est avant tout trois gamins créatifs et honnêtes, fans de science-fiction, féministes et pros en ce qui concerne l’auto-dérision. Ce soir-là, ils ont joué Pharmacy, une nouvelle chanson ne figurant pas sur Urth, leur premier album. Votre fidèle correspondante vous prévient d’emblée : ils ont tout pour réussir, et leur prochain album sera probablement une tuerie.

C’est la première fois que vous jouez en Suisse n’est-ce pas ?

Cai : Oui, c’est en fait nos premiers concerts en dehors du Royaume-Uni.

Et vous avez joué à New York il y a deux jours.

Lawrence : Oui, nous sommes arrivés de New York hier et nous avons donné un concert le soir même. C’était assez hardcore.

Cai : Ouais, à cause du décalage horaire nous n’avions pas dormi. Il n’y a pas eu de nuit !

Est-ce que vous êtes toujours décalés ?

Lawrence : Maintenant plus, grâce à ce gars super adorable qui nous a laissé dormir dans sa maison très confortable à Zürich.

Vous faites la première partie de METZ ce soir…

Cai : Oui, nous donnerons cinq concerts en première partie de METZ. Nous participons à un petit bout de leur tournée, mais nous avons aussi des dates où nous sommes headliners et quelques dates avec Ball Park Music.

Et comment ça se passe, vous vous entendez bien avec eux ?

Lawrence : Ouais, ils sont supers ! Nous avons déjà joué avec eux en Angleterre il y a des jours, mais je ne crois pas qu’ils se soient souvenus de nous. Mais du coup, nous avons pu les taquiner à propos de cela et briser la glace. Ils sont très gentils.

Cai : Ils sont adorables. D’abord, on nous mettait dans des pièces différentes. Ils sont trouvé cela bizarre et nous ont demandé de les rejoindre.

J’ai parcouru les interviews que vous aviez déjà données sur internet pour essayer de ne pas vous poser les mêmes questions, et j’ai vu que vous aviez commencé en 2011 environ ?

Lucy : Oui, à peu près !

« C’était étrange à New York, parce que nous n’avions pas le droit de boire. »

 

Pourtant, vous avez l’air tellement jeunes… Est-ce que je peux vous demander vos âges ?

Lawrence : Oui, 20 ans ! (rires)

Cai : Nous avons tous 20 ans.

Lucy : Il (ndlr : Lawrence) a eu 20 ans récemment.

Lawrence : C’était étrange à New York, parce que nous n’avions pas le droit de boire.

Lucy : C’était horrible ! À chaque fois que nous commandions à boire, nous croisions les doigts pour qu’ils ne nous demandent pas nos pièces d’identité ! Nous nous en sortions la plupart du temps.

Lawrence : Nous nous sommes bien débrouillés, mais nous vivions dans la peur ! (rires)

Lucy : Nous étions tellement habitués à pouvoir boire quand nous le souhaitions.

C’est presque un paradoxe, le groupe qui joue dans une salle où ils ne pourraient techniquement pas entrer !

Cai : Ouiii, on nous avait tracé une croix de straight-edge sur nos mains !

Lawrence : Oui, le mec à l’entrée nous avait tracé ces croix pour être sûr qu’on ne nous serve pas d’alcool.

Lucy : Nous étions comme sur une blacklist pour l’alcool.

Cai : C’était punk quand même. (ndlr : le straight-edge est une subculture dont les membres écoutent du punk/hardcore mais ne boivent pas, ne fument pas et ne prennent pas de drogues. Cette fameuse croix est devenue le symbole de ce mouvement. Cai m’a ensuite expliqué que certaines des premières salles américaines où les mineurs étaient autorisés ont été ouvertes suite aux straight-edge.)

Aussi, je sais que vous avez fini le lycée, mais je voulais savoir si vous faisiez quelque chose à côté de la musique.

Cai : Aucun d’entre nous n’est allé à l’université. On m’a refusé l’entrée à l’université. Les choses auraient été très différentes si j’avais été admis. Donc merci pour votre refus, l’université de Leeds ! Ils ont changé d’avis après, mais nous avons pris du temps pour cela (ndlr : le groupe). Je travaille dans un magasin de thé en Angleterre, mais nous passons le plus clair de notre temps à faire cela.

Lawrence : Je dessine aussi, mais c’est pratiquement toujours pour le groupe de toute manière.

Ouais, d’ailleurs tu as dessiné la pochette de… Ourth ?

Cai : Urth (ndlr : prononcé comme « earth » en anglais).

Lawrence : Oui, peu importe comment tu le dis ! (rires)

Argh je suis tellement désolée !

Lucy : Ce n’est rien, personne ne sait jamais comment prononcer ces choses ! Nous avons eu tellement de prononciations différentes de Kagoule et Urth. Prononce-le comme tu veux ! (rires)

Pour revenir à ma question, j’ai remarqué que vous faisiez très attention aux visuels du groupe, que ce soit avec la pochette de l’album ou vos clips, qui sont très différents les uns des autres.

Cai : Nous détestons nous répéter, alors nous essayons de rendre chaque vidéo différente. Et je pense que c’est pareil pour notre musique, nous n’écrivons pas la même chanson deux fois. Nous essayons de donner du caractère à chacune d’elles.

Est-ce que vous sélectionnez en quelque sorte les gens avec qui vous allez travailler pour les vidéos ?

Lawrence : Hum… Parfois c’est un peu le bordel, et parfois nous devons travailler avec les moyens du bord. Mais oui, je crois que nous devons nous améliorer et y penser en avance, parce qu’il y a eu une fois récemment où nous avons fait faire une vidéo comme une sorte d’animation, et nous nous sommes rendus compte que le résultat n’était pas utilisable. Du coup, nous nous sommes retrouvés avec 24h pour faire une vidéo nous-mêmes. C’était la vidéo pour Made Of Concrete, où nous sommes debout et immobiles.

Ouais, mais je l’aime bien celle-là ! Elle est très simple certes, mais sympa.

Lawrence : Ouais, cela nous a pris un jour ! Nous nous sommes dit « Merde, qu’est-ce qu’on va faire ! Faisons quelque chose, tant que ce n’est pas ce truc… »

Lucy : La vidéo a reçu des réponses assez différentes. Certaines personnes adorent sa simplicité. Mais quelques personnes nous ont dit (ndlr : elle cite de manière théâtrale) « c’est tellement ennuyant ! Pourquoi avez-vous fait une vidéo si ennuyante ? Un groupe ennuyant, une chanson ennuyante, une vidéo ennuyante ! »

Tu ne serais pas en train de citer les commentaires sur YouTube ? (ndlr : ils éclatent de rire.)

Lawrence : Ouiii, c’est ça !

Lucy : Tu les a vus ! Je suis contente.

Lawrence : Il y a un commentaire qui disait aussi « c’est juste de la merde ». (rires)

Vous ne devriez pas vous en faire pour cela, c’est probablement des gens qui sortent jamais de chez eux.

Lawrence : Oui, nous trouvons juste cela amusant je pense.

Lucy : Cela nous apporte de la joie. C’est drôle, j’aime bien !

Cai : Il y a beaucoup de musique que je n’aime pas, mais je n’ai jamais été jusqu’à vouloir leur dire que c’est nul. Peut-être qu’il a trouvé important de nous le dire. (rires)

Lucy : Oui, en général, lorsque nous citons ce commentaire en particulier, les gens rient avec nous. Donc s’il lit cela, merci pour les rires !

Je me demandais aussi comment est-ce que vous aviez fait pour ne pas rire pendant toute la durée de la vidéo !

Lucy : (soupire) J’avais tellement chaud !

Cai : Le feu de cheminée derrière nous était si chaud que…

Lawrence : J’étais en train de fondre. Nous nous disions plutôt, « ne pleurons pas » !

Cai : C’était très inconfortable.

Lucy : Je portais un manteau en fourrure et un chapeau lui aussi en fourrure. Tout cela en étant debout devant le feu. Je pensais aussi que ce serait difficile de ne pas rire, mais le fait qu’il faisait si chaud n’était pas drôle. Du coup, j’essayais plutôt de ne pas crever. Sinon je crois que j’aurais beaucoup ri.

Mais pourquoi est-ce que tu as choisi de porter un manteau de fourrure ?

Lucy : Ca m’allait bien. (rires)

D’accord. C’est donc aussi pour cela que Cai porte ces énormes lunettes ?

Cai : Oui, c’était les lunettes de la mère de Lawrence. C’était un peu improvisé, nous n’avions pas le temps de choisir nos tenues.

Lawrence : Nous avons demandé à un ami de nous aider avec la vidéo, il possède un magasin d’antiquités et nous a apporté plein de choses. C’était amusant.

Cai : Nous hésitions encore avant de sortir le clip.

Lawrence : Nous étions terrifiés, nous nous disions « qu’avons-nous fait ?! Pouvons-nous utiliser cela ? » (rires) Lorsque nous l’avons envoyée à notre label Earache Records, le directeur Digby Pearson a écrit sur twitter : « la nouvelle vidéo des Kagoule est… heu… intéressante. » (rires). C’est ma vidéo préférée maintenant.

Je voulais aussi parler de celle de Glue. Pourriez-vous m’en dire plus ? Vous êtes habillés en rois et reines…

Cai : Nous avions simplement envie de nous déguiser dans le style médiéval. (rires) Nous avons juste laissé notre amie faire ce qu’elle voulait. En fait, nous avons perdu la carte mémoire avec la vidéo dessus, donc nous avons dû utiliser des sauvegardes de secours. Le caméraman a tout perdu après le tournage.

Lawrence : Oui, c’est un autre exemple avec lequel nous avons dû improviser avec ce qu’on avait.

Pour revenir à Urth, j’ai beaucoup aimé vos chansons Greenbeefo et Central Wing, qui se chevauchent.

Cai : Oui, la première est un peu comme une transition.

Si cela ne vous dérange pas, je voudrais que vous m’en disiez plus sur ces chansons.

Cai : Ok, eh bien… Central Wing était une chanson écrite avant Greenbeefo. C’est en fait parti d’un riff que j’ai écrit il y a peut-être 5 ans. J’avais juste le couplet et je n’arrivais pas à me décider sur ce qui viendrait ensuite, il m’a fallu des années jusqu’à-ce que je trouve le refrain accidentellement. La chanson parle d’un homme-lézard à une aile coincé sur une île déserte dont il ne peut s’enfuir ; il est condamné à se déshydrater.

C’est donc cela, « l’aile centrale »…

Cai : Oui, en fait je pense que tu peux l’interpréter comme tu veux. J’aime bien jouer avec les images lorsque j’écris, tu peux en tirer ce dont tu as envie. J’essaie de ne pas trop en dire et de ne pas être trop direct. Si tu utilises des images et des comparaisons, alors les gens restent libres quant à l’interprétation. C’est pour cela que je n’aime pas vraiment expliquer le sujet de mes chansons, parce que je pense que cela les gâche un peu pour beaucoup de gens. Pour Greenbeefo, nous voulions écrire une chanson plus grande, dans le genre paysage sonore. Cela parle d’un fruit qui a le goût du sang de serpent.

Lucy : Non, il a le goût du bœuf ! (rires)

Cai : Non, c’est une nouvelle de… Oh mon Dieu, j’ai oublié ! Mais c’est un livre contenant des nouvelles de science-fiction, et dans l’une d’entre elles il y a un fruit appelé Greenbeefo qui ressemble à un kiwi. Il a le goût de viande, car les habitants de l’île ne pouvaient pas importer de la viande, du coup ils ont commencé à la cultiver.

« Je n’aime pas vraiment expliquer le sujet de mes chansons, parce que je pense que cela les gâche un peu pour beaucoup de gens. »

 

Wow… Je trouve cela intéressant, la manière dont tu mélanges la fiction et ta propre vie lorsque tu écris.

Cai : Oui, je pense que c’est ce que la science-fiction fait en quelque sorte. Elle prend les éléments de la vie réelle et les rends très intéressants. J’imagine que je fais un peu pareil avec les paroles, je prends quelque chose de très simple et j’utilise la science-fiction pour rendre l’histoire plus spectaculaire.

Que pouvons-nous attendre du groupe dans les prochains mois ?

Cai : Nous allons commencer le combat en cage. Nous sommes en train de faire des essais pour le moment. Lucy est la meilleure pour l’instant. (rires)

Lawrence : Elle peut nous mettre K.O. tous les deux d’un coup !

Lucy : J’ai des sacrés muscles.

Lawrence : Blague à part, nous avons déjà 20 nouvelles chansons qui attendent d’être sorties.

Lucy : Nous voulons enregistrer un album aux Bahamas, mais nous sommes encore en train de négocier avec le label. (rires)

J’espère que ce sera un peu plus rapide cette fois. J’ai lu dans vos précédentes interviews que le premier avait mis un an à sortir, ce qui était frustrant pour vous.

Cai : Ouais… Nous l’avons enregistré et il est sorti un an plus tard, ce qui est long. Nous nous en sommes lassés après un moment. Tu es enthousiaste, et puis… tu finis par l’oublier, parce cela fait tellement longtemps. Alors c’était étrange… On avait l’impression que les chansons étaient vieilles lorsque l’album est sorti…

Lucy : Pour nous, l’album était déjà fini depuis un an. Alors, les gens nous demandent « n’êtes-vous pas excités pour la sortie de votre nouvel album ? C’est pas super ? » Et en fait, c’était excitant il y a un an, lorsque nous l’avions pour nous.

Cai : Oui, lorsque nous l’avons écrit. Mais il n’est pas neuf. Nous avons plein de nouvelles chansons que nous voulons enregistrer le plus rapidement possible, et nous voulons sortir un album au début de l’année prochaine si tout va bien. Nous devrions avoir un nouvel EP ou de nouveaux singles d’ici-là. Nous allons jouer l’une de ces nouvelles chansons ce soir, elle s’appelle Pharmacy.

Lawrence : C’est vers la fin du set, sois prête ! (rires)

Cai : Oui. Mais à nouveau, cette chanson ne détermine pas la direction dans laquelle nous allons musicalement. Nous allons plutôt explorer encore plus de directions différentes et écrire des choses encore plus intéressantes. Je pense que les nouvelles chansons sont bien meilleures, et nous sommes impatients de les montrer aux gens.

Lawrence : Nous devons les travailler encore un peu je pense. J’espère que d’ici-là nous aurons décidé de la direction que prendra l’album.

En passant… J’ai l’impression qu’on a tendance à vous enfermer dans une case « années 90 ».

Cai : Oui, c’est énervant ! On nous dit que nous sommes comme Nirvana, mais nous n’avons rien en commun !

Lucy : Ce qui m’étonne le plus, c’est quand tout le monde nous dit qu’on est vraiment similaires aux Pixies, aux Smashing Pumpkins et Sonic Youth. Et je pense que c’est entièrement basé sur le fait qu’il y ait une fille à la basse. Ils se disent : « oh, il y a une fille et un gars qui chantent, et la fille est à la basse, du coup c’est comme les Pixies » ! C’est tellement énervant.

Cai : Mais en même temps, les Pixies sont l’une de mes plus grandes influences. Donc si cela se remarque et les gens nous comparent aux Pixies, cela me rend vraiment heureux. Si nous pouvons être les Pixies, alors hell yeah.

Lucy : Si nous étions comme les Pixies, alors nous pourrions devenir super riches dans dix ans. Alors je suis contente. (rires)

Lawrence : Je pense que c’est les deux qui provoquent cette comparaison, notre musique et le fait que tu sois une fille.

Vous devriez essayer de les contacter. Leur dire « Salut les gars… » (rires)

Cai : « Salut les gars, nous essayons de devenir vous ! »

Lawrence : « Enseignez-nous vos secrets ! »

Lucy : Je vais envoyer un message aux sœurs Deal : « À l’aide ! Je ne veux pas devenir Courtney Love ».

Cai : Ils se sont effondrés de toute manière non ? Ils ne s’entendaient pas bien.

Lucy : Quelqu’un m’a dit l’autre jour que j’allais devenir la prochaine Courtney Love. Je me suis dit « Nooooooon ! Non, non ! Je ne veux pas !».

« Tout le sexisme dont j’ai fait les frais était toujours sous-entendu, tu ne peux pas savoir si tu n’y réfléchis pas. Mais après tu te dis « attends… What the fuck ? » »

 

C’est assez sexiste.

Lucy : Yep.

Cai : Personne ne me dit jamais que je serai le prochain Frank Black. Je veux être le prochain quelqu’un ! (rires)

Lucy : C’est compliqué, parce que je n’ai jamais fait l’expérience de sexisme direct. Tout le sexisme dont j’ai fait les frais était toujours sous-entendu, tu ne peux pas savoir si tu n’y réfléchis pas. Mais après tu te dis « attends… What the fuck ? ». Heureusement, je n’ai jamais eu d’expériences sur scène du genre « Yo, belle paire de seins ! ». Il ne m’est jamais rien arrivé de très mauvais. Je pense que c’est parce que je m’habille comme ça, et que j’ai du poil aux pattes. Du coup, ça calme un peu les gens !

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