20 Nov The 1975 – A Brief Inquiry Into Online Relationships
En forgeant sa propre vocation entre la pop et les vieux démons du post-punk, The 1975 réalise son effort le plus personnel, le plus complet mais aussi le plus déconstruit… Un état des lieux de l’époque moderne, humble et bouleversant
Année 0. En 2013, lorsque se dévoile au grand jour le projet The 1975 et son album éponyme, le parolier charismatique Matty Healy balaye toute façade. Le groupe doit dire la vérité. « We’re not a pop band », et ça n’est pas non plus du rock, ni du punk. Mais plutôt un hommage aux genres, fleurissant sur le terrain fertile de l’indé. Trois ans plus tard, il était question de rabattre cartes sur tables, d’enfin procéder à cette profession de foi qu’est le virage incontournable du second album. Un mythe, pour The 1975, qui à l’image des anciens singles tels que « Chocolate », « Sex », ou « The City », a préféré grandir sur ses propres racines. « The Sound », « She’s American », ou encore « UGH » n’empêcheront toutefois pas le constat final : I Like It When You Sleep (…) est d’autant plus complexe qu’un grand pas en avant. Et n’oubliez pas, Healy doit dire la vérité. Celle-ci est maîtresse de sa plume.
Il semblait donc évident qu’avec ce troisième album, intitulé A Brief Inquiry Into Online Relationships, la quête de vérité serait toujours au coeur des préoccupations de ce groupe composé – et le terme est plutôt pénible – de millenials. Un bref regard, une enquête, une prise de recul sur son passé, comme son avenir : c’est ce que The 1975 a décidé d’étudier, en à peu près 15 morceaux – certains abordant d’autres sujets plus ou moins distincts – cousus du questionnement suivant : jusqu’où la modernité peut-elle aller ? « Modernity has failed us », s’époumone Healy dans le 1975-esque « Love It If We Made It », un des premiers singles dévoilés. En vérité, ces mots ne sont pas à prendre au pied de la lettre. Matty Healy est un fervent défenseur de la modernité, il y croit tellement qu’il en fait le fer de lance de son écriture. Toujours plus affinée, celle-ci s’engouffre dans une production peut-être moins léchée que le précédent opus, mais beaucoup plus étonnante. Et c’est loin d’être un mal.
Ce nouveau disque se métamorphose par étapes. Chacun des titres promotionnels balancés au compte-goutte depuis le mois de juin en sont les exemples les plus flagrants : tandis que « Give Yourself a Try », qui sample consciemment Joy Division, est un slow-burn qui, à l’instar d’une drogue douce, s’avère totalement addictif, « It’s Not Living (If It’s Not With You) » est un hommage total au premier album, « the most 1975 song we’ve ever made », ne s’est pas empêché de confier Healy dans de nombreux entretiens. Dans un autre univers, plus pop, « TIMETOOTIMETOOTIMETOO » use de l’autotune comme « Sincerity Is Scary » installe une ambiance irrésistiblement jazzy. « How To Draw / Petrichor » continue le travail expérimental et électronique de « Please Be Naked » du précédent opus. C’est un véritable festival sonore que nous avons là, même si le propos, finalement, maintient son cap. Si « It’s Not Living » est une piqûre de rappel à l’étape désintoxe du frontman en 2017, « Surrounded By Heads And Bodies » traite de l’anxiété sociale et du sentiment de solitude… Permanent.
L’humain post-moderne est de plus en plus démuni ; comme le raconte l’interlude « The Man Who Married A Robot / Love Theme », dressant le tableau – bien morose – d’une « romance » entre celui-ci et Internet.
« When the man got sad, his friend had so many clever ways to make him feel better / He would get him cooked animals and show him the people having sex again ». Comment aimer l’exponentiel ? Si Her, de Spike Jonze, demeure la référence en la matière, The 1975, lui aussi, tente d’y apporter quelques éléments de réponses. Et c’est une voix robotique, proche de celle de Siri, qui vous prend par la main. A Brief Inquiry s’impose alors comme une suite directe à ce que Radiohead avait pu entamer, plus de vingt ans auparavant avec Ok Computer (qui d’ailleurs, comportait une track elle aussi parlée, « Fitter Happier »). Pivot du disque, l’interlude ouvre grand les portants vers un monde beaucoup plus ample, d’autant plus libre et foncièrement mélancolique. L’apesanteur s’alourdit avec « Inside Your Mind », l’étreinte post-rock du projet. Mais que serait la modernité sans la nostalgie ; majestueusement représentée dans le tout dernier tiers. « Mine », le plus beau plus morceau du disque, invoque le lounge et les anges de Coltrane et Miles Davis, période Kind of Blue. Sans pour autant tomber dans la totale influence, The 1975 synthétise la bande-originale idéale pour un film des années 50, voire le climax d’une ancienne production Disney. Le tout en noir et blanc. Car notre société actuelle s’est bâtie sur un amoncellement de cultures antérieures, regrettées comme admirées. Passé le travail de mémoire, The 1975 termine ce nouveau chapitre avec le démonstratif et terre-à-terre « I Always Wanna Die (Sometimes) », véritable torrent émotionnel, dont le crescendo orchestral percutant vous hantera sûrement pendant longtemps.
Avec le recul, il est difficile de tout décrire, de tout comprendre. Ce sentiment corrèle finalement bien avec l’experience décrite tout au long de ce troisième disque. Notre époque est complexe, tantôt dépravée, tantôt pleine de grâce. Si A Brief Inquiry Into Online Relationships est un état des lieux plutôt pessimiste du XXIème siècle, il n’est en rien nébuleux. Les éclats de lumières que possède le disque nous rappellent ce pourquoi nous nous accrochons à la vie : l’espoir. The 1975 en a bien conscience, si bien que le groupe est prêt à plonger tête la première dans la suite – l’inconnu -, car, qui sait ? L’été prochain paraîtra Notes On A Conditional Form, quatrième album des gars de Cheshire. Une preuve que tant qu’il y aura des combats de vie, des crises existentielles et des mutations sociales, il y aura des chansons.
L’après comme motivation de toute une vie.
Tracklisting
The 1975
Give Yourself a Try
TOOTIMETOOTIMETOOTIME
How To Draw / Petrichor
Love It If We Made It
Be My Mistake
Sincerity Is Scary
I Like America & America Likes Me
The Man Who Married A Robot / Love Theme
Inside Your Mind
It’s Not Living (If It’s Not With You)
Surrounded By Head And Bodies
Mine
I Couldn’t Be More In Love
I Always Wanna Die (Sometimes)
Nos + : Mine, Sincerity Is Scary, I Always Wanna Die (Sometimes), Love It If We Made It, Give Yourself A Try, TOOTIMETOOTIMETOOTIME, Inside Your Mind…
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