01 Déc Entretien avec James Righton de Shock Machine
Quelques heures avant son passage sur le plateau du Grand Journal, nous avons discuté avec James Righton de son nouveau projet, Shock Machine, mais aussi de son amour pour la France, des cigales qui ont failli gâcher son album et de sa nouvelle liberté sur scène.
Tu vas jouer à la Boule Noire demain, tu as donné l’un de tes premiers concerts en tant que Shock Machine à l’Unexpected Festival à Paris cet été, tu as enregistré ton album dans le sud de la France et tu as même filmé un clip là-bas… En fait, tu veux vivre ici, non ?
J’essaie de déménager en France depuis 10 ans maintenant ! Je suis sérieux ! J’adore ce pays et je suis tellement choqué par ce qu’il se passe, en ce moment, dans mon pays, que j’ai encore plus envie de déménager. J’aime aussi beaucoup les valeurs de la France, et puis la gastronomie, évidemment… Vous avez les meilleurs vins du monde ! La France, c’est aussi le premier pays où, avec Klaxons, nous avons joué en dehors de Londres. Et tout de suite, les gens ont adhéré à ce qu’on faisait. Tu n’es jamais certain que les gens en dehors de l’île sur laquelle tu habites, aimeront ce que tu fais, ou même s’ils s’y intéresseront ! Après tout, pourquoi s’intéresseraient-ils à toi ? Et je me souviens très bien de notre premier concert parisien, c’était instantané. Les gens ont adoré et ils en voulaient plus. C’était génial !
Londres ne te manquerait pas du tout ?
J’adore Londres, c’est une ville géniale. C’est peut-être parce que Paris reste exotique pour moi, comme je n’y habite pas. Mais rien que de me balader dans les rues, de regarder les bâtiments, ça me rend heureux. Londres est une ville toute aussi jolie, mais il n’y a pas ce romantisme et cette beauté qui sont propres à Paris. En plus, tant de choses merveilleuses me sont arrivées en France, que je ne peux m’empêcher de revenir. Je me suis marié ici… Il y a sûrement des gens en Grande-Bretagne qui ont peur de la France et pensent que la nourriture est horrible…
Les partisans du Brexit ?
Ouais, et je ne veux pas être mêlé à ça… Je pense que je vais bientôt m’installer ici en fait. Alors il faudra dire à tout le monde que j’ai besoin d’amis quand je m’installerais à Paris pour de bon !
Tu dois déjà avoir pas mal d’amis ici, avec tous les concerts que vous avez donnés à Paris avec Klaxons…
J’en ai plusieurs, oui. En fait, c’est ça qui est génial. Parce que je viens ici régulièrement depuis dix ans, je me suis fait des amis. C’est un groupe que tu retrouves quand tu es en tournée. Évidemment, Londres, c’est chez moi, mais je sais qu’à Paris, je peux aussi appeler des amis pour aller boire un verre et passer du bon temps.
Et sinon, comment se passe la tournée avec Shock Machine ?
On a donné, je crois, 15 concerts déjà, et joué dans 4 ou 5 festivals cet été. On a eu un concert particulièrement génial le mois dernier, en première partie de Warpaint à la Roundhouse. C’était notre plus grosse date jusqu’à présent…
Et quelle a été la réaction du public ?
C’était fantastique, ils ont adoré !
Pourtant l’album n’est pas encore sorti…
Non, c’est ça qui est encore plus fou ! Personne n’a entendu l’album pour le moment, les gens n’ont écouté qu’une ou deux chansons. Je pense qu’aujourd’hui, le public a besoin d’entendre un album pour avoir le sentiment qu’il peut vraiment faire confiance à un artiste. Tant de groupes n’ont sorti qu’une chanson, ou un EP, sans que leur album ne soit prêt… Et quand, enfin, le disque était terminé, les gens étaient déjà passés à autre chose…
Pour l’instant, j’ai adoré chaque instant [de ce nouveau projet]. J’ai aussi une nouvelle impression de liberté, parce que tout ce que j’ai à faire, désormais, c’est chanter, interagir avec le public et m’amuser sur scène. Je n’ai pas besoin de trop réfléchir, ni d’essayer d’avoir l’air cool. Je peux simplement faire ce que j’aime, c’est à dire danser et me ridiculiser. C’est vraiment libérateur. Et peu importe qu’il s’agisse de jouer devant une personne ou devant une salle entière, je vais toujours me donner à 100% parce que je fais ce que j’aime.
Tu danses toujours alors ? J’ai lu que tu avais arrêté ça à la naissance de ta fille…
Ouais, c’était un mensonge. J’ai même été danser hier soir. Je danse tout le temps.
Tu interagis d’ailleurs beaucoup avec ton public. Tu étais carrément venu danser dans la foule lors de l’Unexpected Festival cet été.
Ouais, j’adore ça. Mais je choisis mes moments maintenant. J’adore aller vers les gens et me tenir juste devant eux pour voir leur réaction. Certains ont un peu peur, d’autres dansent… C’est une super façon d’interagir avec les gens présents.
Et comment choisis-tu tes victimes ? Tu les repères sur scène ?
Oui, je vais droit vers ceux qui ont attiré mon regard. Comme l’autre jour, à Cardiff. C’était très drôle parce que je suis allé vraiment jusqu’au fond de la salle, pour me tenir pile devant ce gars qui était en train d’envoyer un texto. Il lui a fallu 30 secondes, et que toute la salle se tourne vers lui, pour qu’il se rende enfin compte que j’étais là. Il était tellement gêné, qu’il m’a dit « Oh, I’m so sorry« . C’était vraiment génial, j’ai beaucoup ri. C’est un peu comme si j’avais été libéré de mes chaines. Parce que je n’ai plus besoin de jouer d’un instrument, je peux faire tout ce que je veux.
Dans une autre interview, tu as indiqué que tu n’écrivais jamais les paroles pour Klaxons. Comment as-tu approché cette nouvelle tâche ?
Quand j’étais enfant, j’ai commencé par apprendre la guitare, et mon père a étudié la musique, donc il y avait constamment de la musique chez moi. Puis, en allant au Reading Festival et au Phoenix Festival à juste 10 ans, j’ai aussitôt su, en voyant Bjork et Neil Young, que je voulais, moi aussi, être sur cette scène un jour. Alors j’ai continué à jouer de la guitare, mais aussi à écrire des paroles, c’est donc quelque chose que j’ai toujours fait.
Avec Klaxons, ce qu’il s’est passé, c’est que mon rôle au sein du groupe a très vite été établi et n’a plus jamais changé. Donc, pendant neuf ans, j’ai arrêté d’écrire. Complètement. Petit à petit, j’ai eu peur de recommencer parce que, 1) tu deviens paresseux, et 2) tu te dis, « Et si les gens n’aiment pas ce que je fais ? Et si c’était mauvais ? »
Mais avec ce projet, je savais que j’avais des choses à dire, et il fallait que je les mette sur papier. Ensuite, quand j’ai fait écouter les démos à James Ford et qu’il m’a dit qu’il aimait ce que j’avais fait, j’ai gagné en confiance et j’ai continué à écrire en essayant de ne pas trop me poser de questions.
L’album a des sonorités plutôt joyeuses, comme si le soleil du Sud de la France s’était invité dans ta musique. C’était intentionnel ou juste une coïncidence ?
Un peu des deux. En fait, c’était un moment de ma vie assez étrange, parce que j’étais à la fois terrifié à l’idée de me lancer là-dedans tout seul, mais c’était aussi très libérateur : la seule personne à qui cet album allait devoir plaire, c’était moi. Lorsqu’on a arrêté Klaxons, tout ce que je voulais, c’était faire de la musique, sans penser à ce qui est à la mode en ce moment. Je voulais revenir aux bases, écouter les albums que j’ai toujours aimés – comme le White Album des Beatles et ceux qui ont suivis, mais aussi Todd Rundgren, Smile et Pet Sounds des Beach Boys, ou The Soft Bulletin des Flaming Lips. Je voulais recommencer à écouter de la musique juste pour le plaisir, en tant que fan.
À ce moment-là, j’ai ressenti le besoin de composer à nouveau. Alors j’ai commencé à écrire et voilà. Je n’ai pas eu besoin de trop y réfléchir, je n’avais pas de label, de comptes à rendre à personne. Je le voyais comme, peut-être, le dernier album que je composerais.
Et puis je n’avais ni l’argent, ni le temps, de louer plusieurs studios et de travailler avec James Ford pendant des mois et des mois. Donc j’ai calculé que, si j’écrivais toutes les chansons et que j’enregistrais toutes les démos, on pouvait terminer ça pendant l’été, en trois semaines. J’ai vendu cette idée à James comme des vacances dans le sud de la France, avec du rosé, du fromage et des parties de ping-pong. Ce qui lui a plu !
Comment as-tu formé ton groupe ? Tu as piqué les musiciens de quelques bons groupes…
Oui, c’est dingue, non ? J’ai eu beaucoup de chance. Je connaissais Anna (Prior) de Metronomy, enfin on avait joué ensemble un petit peu, pareil pour Edd (Gibson) de Friendly Fires… En formant ce groupe, je savais que je voulais de la basse, de la guitare, de la batterie et du clavier, mais que je serais simplement le frontman. Alors j’ai fait une sorte de liste et je les ai contacté…
Et ils ont tous accepté !
Ouais, j’ai fait écouter l’album à Anna et elle m’a dit, « Ok, c’est parti », et elle ne tourne pas avec Metronomy en ce moment… Pareil pour Edd, sauf que, je ne sais pas pourquoi, mais je lui ai demandé de passer une audition. Les morceaux de basse sont assez compliqués sur certaines chansons, alors j’ai dit à Edd d’apprendre le morceau le plus difficile de l’album et de revenir me voir une semaine plus tard. Je lui ai bien dit, « No pressure », je ne voulais pas que ce soit comme ces émissions de talent à la télévision… Mais il est revenu la semaine suivante. Sincèrement, je pense que, même s’il avait fait une erreur, je lui aurais dit, « ok, c’est bon », parce que j’aime beaucoup Edd. Mais je l’ai laissé jouer le morceau, j’ai fermé les yeux et c’était tout simplement parfait. Alors je lui ai dit, « Ouais, félicitations, bienvenue dans le groupe ! » (rires).
Tu as dit dans une interview que tu ne voulais pas utiliser ton propre nom, pourtant ton visage est sur la couverture de l’album.
Oui, c’est Rob Carmichael qui s’est occupé de l’artwork. Un mec génial. J’ai toujours adoré ce qu’il faisait, alors quand j’ai réfléchi au style que je recherchais, j’ai pensé à lui. J’aime bien l’idée d’apparaitre sur la pochette sans être reconnaissable. Je me suis inspirée d’albums comme Remain in Light des Talking Heads ou de Transformer de Lou Reed, et j’ai aussitôt pensé à Rob Carmichael. C’est lui qui s’occupe de tous les albums d’Animal Collective. Alors je lui ai envoyé mon disque, en lui disant « hey, j’adore ce que tu fais, ça te dirait de travailler avec moi ? » Et il a dit oui. Je lui ai envoyé pleins de photos de l’enregistrement, parce que j’avais fait venir un photographe pour avoir une trace visuelle de l’enregistrement. On en a choisi une qu’on aimait tous les deux, on a saturé à fond et voilà.
Certaines de ces photos seront dans la pochette ?
Oui, je suis vraiment ravie du visuel du vinyle, il est vraiment très beau. Il y a des photos de l’endroit ou il a été enregistré, dans le sud de la France, et du studio.
À propos de l’enregistrement, ce sont bien des cigales qu’on entend à la fin de l’album ? J’avais pourtant cru comprendre qu’elles ont rendu l’enregistrement difficile…
Putain, oui. Parce que, lorsqu’on a été voir le studio avec James Ford, au mois de mars, pour faire les tests de micro d’enregistrement, c’était l’endroit parfait. Mais quand on est revenu au mois de juillet/août, il faisait terriblement chaud et, évidemment, toutes les cigales étaient de sortie. J’ai commencé à paniquer, je me suis dit, c’est foutu, j’ai James Ford pendant seulement trois ou quatre semaines, et on entend le bruit des cigales en permanence… Finalement, on ne les entendait presque pas sur les enregistrements. Mais les cigales avaient eu une part tellement importante durant nos semaines en studio, qu’on a finalement décidé de les intégrer à l’album. Alors, on a placé pleins de micros dehors et on a enregistré leurs symphonies pendant des heures.
Peux-tu me parler de tes clips ? Es-tu impliqué dans leur création ?
Les deux premiers sont de Saam Farahmand, qui a travaillé avec Klaxons pendant plusieurs années. En fait, je préfère laisser de la liberté en matière de créativité aux personnes avec lesquelles je travaille. Surtout lorsque je leur fais confiance, comme Saam, par exemple. Alors il m’a parlé de son projet, j’ai trouvé ça super et on l’a fait.
Par contre, pour la dernière en date, Lost in the Mystery, je savais exactement ce que je voulais. C’est Nova Dando qui l’a réalisé, mais je voulais que le message de la chanson soit retranscrit à l’image. Il s’agit d’une situation un peu kafkaïenne, de laquelle tu ne peux te sortir. Donc je voyais ça comme une montagne, que tu dois escalader à nouveau à chaque fois que tu arrives au sommet. C’est une sorte de représentation de la vie en fait.
Elton John a justement choisi de diffuser Lost in the Mystery lors de son passage au Rocket Hour Show, sur Beats 1 Radio. Ça a dû être génial d’apprendre ça.
Je sais, je n’arrive pas à y croire ! C’est n’importe quoi ! Je suis un si grand fan d’Elton John !! Je ne vais pas mentir et dire que, savoir qu’il apprécie ce que je fais, vaut plus que tout au monde pour moi. Mais c’est quand même vraiment incroyable. J’ai grandi en écoutant ses chansons et, lorsque j’ai écrit le morceau Shock Machine, j’avais Benny and the Jet en tête. Alors de savoir que le type qui a écrit Benny and the Jet aime l’une de mes chansons… c’était simplement irréel.
Vous avez discuté depuis ?
Oui, et il était vraiment adorable, et il a dit qu’il adorait mes chansons et qu’il avait hâte d’entendre l’album. Quand je repense à la séparation de Klaxons, c’était très angoissant pour moi, de partager ma musique avec d’autres personnes. J’avais peur que personne n’aime ce que j’avais composé. Aujourd’hui, je ne suis pas encore certain que ça plaise aux gens, mais au moins, une chose est sûre : c’est au goût d’Elton John ! Je plaisante, mais c’est vraiment réconfortant d’avoir des retours positifs sur ces morceaux. Même si ce que j’ai fait ne plaît ou ne touche que cinq personnes dans le monde, j’aurai quand même réussi.
Tu parlais du Brexit, mais l’élection de Donal Trump a aussi été un choc. Ça a d’ailleurs inspiré des musiciens comme Gruff Rhys ou Franz Ferdinand à composer des morceaux plus politiques (I Love EU / Demagogue). Crois-tu que les musiciens vont se politiser ?
Ouais, je pense qu’en ce moment, et durant les prochaines années, le climat politique va se refléter dans le travail des artistes, qui vont vouloir représenter ce qu’il se passe. J’ai moi-même commencé à écrire à propos de ce genre de choses, ça s’infiltre malgré toi dans ton travail, parce qu’il y a un tel sentiment de rage et de déception à propos de tout ce est en train de se passer.
Pendant les élections américaines, un autre événement important a frappé le Royaume-Uni : la transformation des tablettes de Toblerone…
Le monde est devenu fou. D’abord c’était les tablettes de Cadbury, dont ils ont changé la recette. Maintenant Toblerone… C’est vraiment le signe que les choses vont mal.
Quels sont tes plans pour l’année prochaine ? Ton album sort le 17 février, tu as déjà des dates de prévues… ?
Ouais, l’album va sortir et j’ai vraiment hâte que les gens puissent l’écouter. Je ne pense pas que les singles soient forcément représentatifs de l’album dans son intégralité. Certains ont peut être écouté le premier morceau, Shock Machine, et se sont dit, « oh, ça va être un album bizarre, psychédélique et prétentieux », alors que ce sont des morceaux pop avec des refrains entraînants.
J’espère aussi qu’on viendra beaucoup en France. Je vais essayer d’en parler au management, parce que ça m’aidera à déménager ici ! J’adorerai pouvoir faire une vraie tournée à travers la France.
Shock Machine sortira le 25 août. Vous pouvez d’ores et déjà le pré-commander en cliquant ici.
Une version dédicacée est également disponible via RecordStore.co.uk
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