26 Fév Interview : Telegram
De l’industrie musicale sans pitié aux marques de vêtements malhonnêtes, en passant par l’album du groupe Operator et l’actualité politique, Matthew nous dit tout !
En février 2015, je rencontrais les Telegram dans un petit pub à Hackney (par là!). Entre-temps, la bande a sorti son premier album grâce au soutien de leurs fans, donné des concerts aux US, en Europe et en Nouvelle-Calédonie et assure à présent la première partie des Dandy Warhols. C’est donc deux ans plus tard presque jour pour jour que je les retrouve, cette fois dans mon pays, pour le festival Antigel.
Après le concert, j’ai rendez-vous avec le leader Matthew Saunders, visiblement très enthousiaste- en effet, nombreux sont les fans à être venus féliciter le rockeur Londonien, qu’ils suivent le groupe depuis un moment ou qu’ils aient découvert les Telegram le soir même. « On voulait te donner un pass photo pour que tu puisses aller dans la fosse, mais ils ont refusé, je ne comprends pas ! » Me dit-il d’emblée. J’apprécie la gentillesse de Matthew et lui répond que ce n’est rien, et nous commençons à discuter un peu. Il me dit qu’il a pris beaucoup de photos du lac, et me demande s’il y a des galeries d’art à visiter à Genève car ils ont la matinée libre le lendemain. Une fois le briefing touristique terminé, nous entrons dans le vif du sujet… et il y a beaucoup à dire.
Depuis notre dernière interview, je tenais à vous féliciter de tout ce que vous avez accompli !
Matthew Saunders : Merci ! C’est beaucoup de travail, nous le voyons comme… Nous sommes toujours indépendants tu sais, et nous sommes en train de travailler sur notre second disque. Lorsque nous avons sorti notre premier album, nous avions tout fait nous-mêmes. Quand la tournée avec les Dandy Warhols sera terminée, nous rentrerons chez nous pour finir d’écrire et d’enregistrer le second disque. Ensuite nous ferons une autre tournée. La clé, c’est – pas juste pour notre groupe, mais pour beaucoup de groupes que nous connaissons également – l’industrie musicale est tellement difficile. Tu dois être fort. Tu ne dois pas t’arrêter : c’est cela notre plan. Nous avons tous des boulots en-dehors du groupe, nous avons accompli beaucoup de choses mais nous allons continuer Telegram de toute manière. Alors c’est ok.
« l’industrie musicale est tellement difficile. Tu dois être fort et continuer quoi qu’il arrive »
Contente que vous ayez l’intention de continuer ! J’ai adoré votre concert, c’était super de vous voir enfin en live.
Matthew : Ah, c’était la première fois ? Cool ! Est-ce que c’était aussi bien que tu l’espérais ?
Oui, et vous avez joué de nouvelles chansons, que j’ai trouvées vraiment bien.
Matthew : Merci ! Oui, deux nouvelles chansons.
Cela fait combien de temps que vous êtes sur la route pour cette tournée ?
Matthew : Alors voyons-voir, nous avons commencé le 8 février, mais la tournée des Dandy Warhols a commencé à Madrid. Nous avons conduit de Londres à Paris, puis nous avons joué à Montpellier avant de rejoindre les Dandy Warhols sur leur tournée à Madrid. On finira le 4 mars à Londres.
Est-ce que ça va entre la tournée et vos boulots ?
Matthew : Eh bien… en quelque sorte, plus ou moins. Et c’est difficile avec nos copines et tout parfois.
Tu vis toujours à Londres ?
Matthew : Oui, je vis là-bas depuis plus de 10 ans, depuis que je suis parti du Pays-de-Galles. Tu te souviens de Hackney ? Nous habitons tous toujours dans les environs. Et tous nos amis, de TOY et des Voyeurs par exemple, y vivent aussi. Le problème, c’est que cette zone est proche du quartier des finances, la City. Alors beaucoup de ces gens de la finance (ndlr : Matt les appelle les « City Boys ») remarquent cette communauté artistique et pensent que c’est cool. Du coup ils emménagent dans le quartier et les loyers montent. C’est partout pareil tu sais.
Oui malheureusement… est-ce que tu sais ce que vous allez faire si cela devient trop difficile ?
Matthew : Non, nous n’en avons aucune idée.
Je me souviens d’une interview sur internet où tu parlais du fait que beaucoup de musiciens soient de la classe aisée de la population, et bénéficient donc de plus d’argent dès le départ pour démarrer leur carrière.
Matthew : Oui. En Angleterre, il y a le gouvernement- les Tories qui ont coupé les fonds destinés aux arts et à la musique. Et cela arrive partout. Aux Etats-Unis, Donald Trump a fait pareil il y a deux jours. Il y a l’idée que si tu coupes le financement des voix qui remettent en cause le status quo, le gouvernement en place ou une manière de penser, alors elles vont s’arrêter. C’est aussi ce qui est important à propos de ce que je disais sur le fait que Telegram ne s’arrête pas. Parce que les groupes, les musiciens ou les artistes qui reçoivent de l’argent de leurs parents et qui sont à l’aise financièrement ne sont pas dans le même monde, n’ont pas la même expérience- ce qu’ils ressentent par rapport à leur environnement est différent. Je ne dis pas qu’il ne faut pas être riche pour faire de la bonne musique, parce que ce n’est pas vrai. Mais c’est important qu’il y ait un équilibre culturel de ces expériences et de ces opinions différentes dans les arts. Et c’est cela le plus ardu, les artistes et les musiciens ne doivent pas s’arrêter si cela devient difficile financièrement. Leur voix est importante, les gens vont y réagir. Tu es plus proche des gens que ces groupes de gamins riches.
« Si tu coupes le financement des voix qui remettent en cause le status quo, le gouvernement en place ou une manière de penser, alors elles vont s’arrêter. C’est cela le plus ardu, les artistes et les musiciens ne doivent pas s’arrêter si cela devient difficile financièrement. Leur voix est importante. »
Parlons un peu d’Operator. L’album a été produit par Rory Attwell de Warm Brains n’est-ce pas ?
Matthew : Oui, en fait il y a des années Rory était dans un autre groupe appelé Test Icicles. Ouais, cela sonne comme testicles (rires). Il y avait aussi Dev Hynes, qui est maintenant dans Blood Orange. Le studio où Rory nous a produits se situe dans un bateau-phare. Il est amarré aux Docklands, dans l’est de Londres. Il y a donc un studio d’enregistrement à l’intérieur du bateau. C’était une très bonne chose pour nous, car cela nous prenait une heure pour y aller depuis le centre de Londres. Et puis l’estuaire, l’eau, le bateau… tu es isolé de tout tu sais. Tu ne peux pas vraiment sortir du bateau- du studio pour aller dans la rue faire du shopping. Tu es plus concentré sur ton travail.
[…]Le truc, c’est que… Je pense que l’album aurait pu sonner mieux. Pas à cause de Rory, pas à cause du bateau. Mais nous avions déjà l’album et nous étions prêts à l’enregistrer et à le sortir 9 mois avant. Entre-temps notre label nous a laissés tomber, alors que nous étions prêts. Donc nous avons dû obtenir l’argent nous-mêmes pour le sortir. C’est aussi pour cela que nous avons joué de nouvelles chansons ce soir. Nous en avons des tonnes pour le prochain disque, c’est pourquoi nous sommes impatients. C’est le moment d’avancer!
Ouais, et je voulais aussi te poser la question après vous avoir vus en action pendant ce concert ; je trouve ta manière de chanter intéressante. Certaines personnes ont dit que c’était « théâtral », mais je trouve qu’on aurait plutôt dit que tu nous parlais directement. Qu’est-ce que tu en penses ? (rires)
Matthew : Je suis un guitariste très basique. Je vais droit au but. Je peux écrire des chansons, mais j’ai besoin d’un guitariste principal. Par contre le chant, l’expression et le mouvement, c’est ce que j’exprime, que j’expire le plus personnellement. Parce que physiquement- lorsque tu chantes, ce dont tu parles est important. Pour moi, simplement être debout sur scène et chanter n’est pas naturel. Alors expliquer ce que je chante en faisant des gestes, pointer du doigt… ouais, cela a du sens pour moi.
J’avais aussi une question pour Jordan : est-ce qu’il aime la mode ? J’ai vu qu’il avait pris des photos pour Yves Saint-Laurent !
Matthew : On lui a demandé de faire des photos pour Yves Saint-Laurent ! Je ne sais pas s’il aime… Je veux dire, moi j’aime bien Yves Saint-Laurent ! On aime tous ! C’est de bons produits ! (rires) On lui a juste demandé de faire ces photos. Je ne crois même pas qu’il ait été payé, c’est stupide. Je pense qu’on lui a donné des vêtements.
Ah, au moins ça ! S’il ne les aime pas il peut les vendre sur EBay.
Matthew : Exactement ! Tu sais, le truc marrant c’est que nous avons donné un concert pour Fred Perry par le passé. Nous devions être payés 1000 euros environ. C’était filmé, et ils ont mis le concert sur YouTube avec leur logo, il y avait du branding… On s’est dit « fuck ». Mais on avait besoin d’argent pour enregistrer alors on a accepté. Ils ne nous ont jamais payés, et ils nous ont dit qu’ils nous donneraient des vêtements. Alors nous nous sommes dit, ok on prend les habits et on les vends sur EBay. Ils ne nous ont jamais donné les vêtements. Mais il y avait un homme à ce concert de Fred Perry qui dirige un festival en Nouvelle-Calédonie, près de l’Australie. Il est originaire de Nouvelle-Calédonie, mais il se trouvait à Londres à ce moment-là. Et il a vu ce concert. Donc même si nous n’avons pas été payés, nous avons pu aller en Australie et en Nouvelle-Calédonie pour jouer dans ce festival ! Donc le Karma a payé !
Oui c’est génial. Mais je trouve cela très malhonnête de la part de Fred Perry.
Matthew : Oui, après cet incident on s’est dit « putain, on ne fera plus jamais affaire avec des entreprises ». Nous avions des avocats, eux aussi, et puis cela n’a pas marché et entre temps nous avons changé de management… Et ils ont malgré tout mis la vidéo en ligne. Putain de Fred Perry derrière Telegram. C’est pas cool du tout.
Enfin, est-ce qu’on pourrait parler de Have it Your Way ? C’est l’une de mes chansons favorites sur l’album. Comment est-elle née ?
Matthew : Hmm… C’est en fait une chanson très ancienne que nous ne jouons pas souvent. C’est à propos de l’affection que tu as pour quelqu’un. Tu l’aimes en secret, et à cause de cela tu les laisses faire certaines choses sans conséquences, ce qui ne serait pas le cas pour quelqu’un d’autre. Par exemple, lorsque tu es avec elle tu dis « oh, peut-être que nous devrions faire ceci ! » et l’autre personne dit « non, nous devrions faire comme cela ! », et comme tu t’es entiché de cette personne ou de cette idée, tu dis juste, « ok ». Have It Your Way parle de cela.
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