30 ans de légende pour The Joshua Tree de U2

The Joshua Tree, cinquième essai du célèbre quatuor U2, fête aujourd’hui ses 30 ans. C’est l’occasion de revenir sur un disque vendu à ce jour à plus de 25 millions d’exemplaires, qui transforma à jamais la carrière de ces irlandais en les propulsant au rang de superstars planétaires. Devenu une référence dans l’histoire de la musique, cet opus de tous les records est aussi l’un des rares vestiges des années 80 à avoir popularisé le rock et à être resté intemporel.

Au même titre que Dark Side Of The Moon ayant consacré Pink Floyd, Back To Black de l’étoile filante Amy Winehouse ou encore (What’s The Story) Morning Glory ? qui permit aux frères terribles d’Oasis de gagner leurs galons de rock n’ roll stars ; The Joshua Tree fait parti de ces classiques indispensables à toute collection de mélomane digne de ce nom.

Comme une sorte de flambeau intergénérationnel, cette galette a la particularité de s’incruster dans vos tympans dès la première écoute, tel un tattoo colle à la peau de manière indélébile. Evitons de nous répandre en superlatifs et revenons simplement sur cet opus qu’il faut avoir écouté au moins une fois avant de quitter notre chère Terre ; ces compositions qui allaient changer la destinée de ces rockers.

 

La montée en puissance des dublinois

En cette deuxième moitié des années 80s, les dublinois emmenés par leur leader charismatique, Paul David Hewson aka Bono, n’en sont pas à leur coup d’essai. En piste depuis la fin des années 70s, U2 gravit un à un les échelons vers le succès et la reconnaissance tout comme leurs collègues de The Cure, New Order ou Depeche Mode issus de la new wave.

Après la trilogie des débuts (Boy, October et War), The Unforgettable Fire permet au groupe de peaufiner leur musique épique et de gagner en notoriété. En ces temps où les artistes endossent le costume de porte-paroles sur les sujets de société, leur leader profite de son influence grandissante pour dénoncer la course aux armements, les conflits mondiaux et encore l’apartheid en Afrique du Sud.

C’est ainsi que la formation se retrouve aux côtés de Bob Geldolf et des plus grandes stars internationales lors du Live Aid le 13 juillet 1985. Leur prestation ne passe d’ailleurs pas inaperçue avec un Bono se jetant dans la fosse et dansant avec une jeune femme noire. Fort de cette exposition fulgurante, le chanteur participe dans la foulée au projet Artists Against Apartheid et tourne avec sa bande pour Amnesty International.

Epuisé par cet enchainement de concerts et ces multiples sollicitations, il éprouve le besoin de se ressourcer et de s’impliquer pour diverses causes humanitaires en Ethiopie et au Salvador. Ces expériences sont pour lui sources d’inspiration et au détour d’une rencontre new-yorkaise avec Keith Richards, le globe-trotter découvre alors le blues. Inconsciemment, les idées et le son du successeur de « l’inoubliable feu » sont en train de germer.

La genèse : la conquête de l’ouest

Décidés à vouloir changer de direction artistique, les quatre amis puisent alors dans leurs derniers périples et expériences pour plancher sur ce projet. C’est en novembre 1985 qu’ils commencent à travailler sur de nouvelles compositions avec l’aide des producteurs Brian Eno et Daniel Lanois, dans un hôtel particulier en Irlande. Epaulés par Mark Wallis, Mark Kettle et Steve Lillywhite au mixage, la troupe s’active d’août 86 à janvier 87 aux Studios Windmill Lane de Dublin pour créer ce qui allait devenir leur mise sur orbite.

Finalement, The Joshua Tree sort le 9 mars 1987 et marque une évolution avec leurs débuts enflammés. Bien que profondément irlandais dans l’âme, c’est une véritable déclaration d’amour envers la musique américaine qu’opèrent ces onze morceaux. Sans renier leur passé, ils repoussent les frontières de leur rock héroïque en explorant de nouvelles influences stylistiques inspirées par leurs voyages. Les musiciens jouent un rôle d’équilibristes en mixant un genre ambiant déjà affirmé sur The Unforgettable Fire avec un son résolument tourné vers l’Amérique des grands espaces et ses origines folk, blues et gospel.

D’ailleurs, l’artwork réalisé par leur designer attitré Steve Averill, confirme cette évolution en gardant les codes passés. Tout en mêlant sobriété et solennité, les superbes clichés noir et blanc d’Anton Corbijn figent les musiciens dans le désert de Mojave en Californie au côté du fameux arbre de Josué. Leurs allures sérieuses reflètent immédiatement la gravité des thèmes abordés et la tonalité musicale. 

Comme à leur accoutumée, les textes sont bien ancrés dans leur temps. Ils se veulent revendicateurs, provocateurs, traitant des maux contemporains. Compact et sombre, le disque surprend par l’une des meilleures entames de toute l’histoire du rock avec trois hits planétaires.

Au cas où vous auriez vécu ces 30 dernières années sur une autre galaxie, l’enchainement Where The Streets Have No Name, I Still Haven’t Found What I’m Looking For et With Or Without You, n’est pas le fruit d’une banale compilation mais tout simplement d’un coup de génie de la part des britanniques.

 

Onze compositions sombres et intenses

C’est avec le magistral et romantique Where The Streets Have No Name, hymne illuminée par une longue introduction façonnée à l’orgue et au riff reconnaissable de The Edge, que s’effectue l’ouverture. Engagé dans ses propos, Bono y dénonce les ghettos de nos villes modernes (« I want to tear down the walls / That hold me inside ») mêlant oppression, religion, et argent ; en opposition à un havre de liberté et de nature visité en Ethiopie (« I’ll show you a place / High on a desert plain / Where the streets have no name »).

Dans le clip auréolé d’un Grammy Award, la bande se met en scène en improvisant un concert pirate sur un toit de Los Angeles. Et c’est effectivement durant leurs lives que l’intensité de cet ode atteint son paroxysme. Bono déclara d’ailleurs à ce sujet « c’est comme si Dieu traversait la salle. C’est le moment où le métier s’arrête et où la spiritualité commence ».

Ayant toujours baigné dans cette quête suprême, la deuxième piste enfonce le clou. I Still Haven’t Found What I’m Looking For donne une leçon d’alchimie entre les quatre têtes pensantes : le batteur Larry Mullen Jr excelle avec son tempo à contretemps accompagné par la basse grondante d’Adam Clayton, les vocalises de Bono ont rarement autant brillé et l’arpège carillonnant de The Edge est d’une efficacité déconcertante. Bref tout y est ! D’autre part, la version de Rattle And Hum avec la chorale gospel de Harlem, enregistrée au Madison Square Garden, est un travail d’orfèvre à (re)découvrir d’urgence.

Enfin pour achever cette trilogie, le célèbre With Or Without You, premier single, est la ballade par excellence. Relatant la difficulté des relations humaines, ce chef d’œuvre mêle divers sentiments tels que l’amour, la souffrance et le désespoir. Ce morceau emprunte au passé du groupe, cette faculté d’émouvoir, avec une réalisation parfaitement maitrisée.

Avec ces trois tubes fracassants, le groupe signe ainsi son entrée au panthéon du rock. Mais loin de se satisfaire, le groupe accélère le rythme et propose Bullet The Blue Sky, une piste lourde et menaçante. Souhaitant déranger l’opinion publique au sujet des interventions militaires américaines (« And I can see those fighter planes / And through the walls you hear the city groan / Outside is America »), le groupe opte pour la violence et la brutalité dans les larsens, le chant rocailleux et une ligne rythmique pesante.

L’ambiance se calme à nouveau avec l’émouvant Running To Stand Still. « Less is more »  pourrait être la devise de cette composition dépouillée mais loin d’être dénuée de sens. Cette mélancolique pop song repose sur une instrumentation minimaliste ; piano, guitare slide et harmonica sur la fin ; pour dénoncer les ravages de la drogue dans les quartiers d’enfance de Hewson (« You know I took the poison / From the poison Stream / Then I floated out of here »).

La seconde partie ne culmine pas aux cimes de ces cinq pièces maitresses. L’intensité baisse d’un cran avec le surproduit Red Hill Mining Town dédié aux mineurs britanniques, le trop conventionnel et linéaire In God’s Country ou les essais country-rock peu convaincants de Trip Through your Wires.

Il faudra attendre One Tree Hill pour retrouver la stratosphère initiale. Tout au long de cet hommage rendu à Greg Carroll, leur technicien néo-zélandais décédé en 1986 lors d’un accident de moto, The Edge utilise un synthétiseur pour créer une atmosphère planante. Très affecté par cette tragique disparition, le groupe fit d’ailleurs inscrire au dos de la pochette : « To The Memory of Greg Carroll 1960-1986 ».

Ensuite, en guise d’exutoire, vient Exit avec sa structure désarticulée en prémices des futures expérimentations de Achtung Baby ou Zooropa. Enregistré comme une session jam, ce défouloir dégage une énergie monstrueuse à coups de grosses guitares et ruptures multiples. Et c’est avec l’apaisant Mothers of the Dissappeared, que se clôture la messe. Ce titre qui traite des mères de disparus politiques dans les pays d’Amérique du Sud, apporte cependant une touche d’optimisme et de légèreté grâce au chant aérien de Bono et ses chœurs finaux.

Dès lors, l’après The Joshua Tree ne sera plus comme avant. C’est durant la tournée au pays de l’Oncle Sam que sera écrit et enregistré Rattle And Hum, l’ultime effort de cette décennie, clôturant ainsi leur période américaine avant de s’aventurer avec Achtung Baby vers une musique plus alternative. Puis le gigantisme des stades va remplacer l’intimité de leurs shows…

30 ans après…

Mais au-delà de l’impact sur la carrière du groupe, ce disque a changé le visage du rock et reste indémodable 30 ans après sa sortie. Les chiffres et les distinctions gravitant autour de cet opus font tourner la tête : à ce jour, The Joshua Tree s’est vendu à plus de 25 millions d’exemplaires et a été classé n°1 dans 23 pays. Récompensé de deux Grammy Awards dont celui de l’album de l’année en 1988, ce classique salué par la critique du monde entier, permit au groupe de figurer sur la une du Time Magazine et d’acquérir un nouveau statut de représentant de toute une génération.

Certains reprocheront d’ailleurs les prises de positions trop sérieuses, moralisatrices voire parfois outrancières de Bono ; mais le million de places vendu en 24 heures pour la tournée à venir (ce qui en fait la tournée la plus populaire et la plus vendue de l’histoire), témoigne encore de l’impact de nos quatre irlandais dans le paysage musical.

Jamais une œuvre de U2 ne parut autant actuelle par ses idées et ses hymnes. Dans un monde déboussolé par la montée des extrémismes, une complexité à résorber les tensions mondiales, cette date est bien plus qu’un simple anniversaire d’une succession de tubes. Comme le mentionne The Edge, « Il semblerait que nous ayons fait un trip à 360° depuis l’époque où nous avons écrit les chanson de cet album, avec des bouleversements mondiaux, les politiques d’extrême droite et les droits civiques fondamentaux menacés. Pour célébrer cet album – et vu que ses chansons semblent d’actualité et annonciatrices de l’époque – nous avons décidé de monter ces spectacles, ça nous semblait être la chose à faire. On est impatients de s’y mettre ». Tout est dit et pour tout vous avouer, nous sommes aussi impatients de revivre ces moments.

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