20 Juin Interview – Yungblud : « Je me sens chanceux »
Sound of Brit a rencontré Yungblud à l’occasion de la sortie de son nouvel album, Idols. Un album intime et audacieux, très brut et une véritable introspection sur son identité.
Sound of Brit : Comment définirais-tu cet album ?
Yungblud : Je pense vraiment que je définirais cet album comme un miroir. C’est ainsi que je le décrirais. Pour moi, pour toi, pour tous ceux qui l’écoutent. J’ai dû faire un choix important. Et ce disque a été un tournant majeur pour moi. J’avais besoin de faire quelque chose de différent. La première version de Yungblud touchait à sa fin, telle qu’on la connaissait depuis mes 18 ans. Ça devenait un personnage, un rôle que je jouais, au lieu d’être quelque chose de vraiment authentique. Il s’agit d’une nouvelle quête de sens. Et si je dis que c’est un miroir, c’est parce que cet album te force à ressentir quelque chose qui te pousse à te questionner. J’en ai marre des émotions superficielles, je suis lassé de recevoir une dose de dopamine sur mon téléphone tous les jours. Et je me rends compte, que le monde nous apprend à nous distraire, au lieu de vraiment ressentir. Il nous réduit à l’extrême. Mais l’être humain n’est pas simple, il est complexe. C’est pour ça que les chansons sont longues. Je voulais faire une œuvre d’art qui soit un voyage du début à la fin. Il fallait un processus étendu. Je voulais créer un album profond, pas un album de dopamine.
SOB : Cet album parle de toi. Parlons de la pochette, parce que je trouve que c’est un très bon exemple. Elle est en noir et blanc, très simple, tu es presque nu.
Yungblud : Oui, j’étais nu. Il y a trois choses. La musique est tellement pleine de couleurs, elle est multidimensionnelle, que je voulais que la pochette ne dise rien en soi, pour qu’on puisse mettre de la couleur à travers la musique. Je ne voulais pas être au centre, car je voulais montrer que j’avais été blessé. Je ne voulais pas que mon visage soit trop visible parce que Yungblud était devenu une figure polarisante, à la fois aimée et détestée. Je n’en pouvais plus. Le [tatouage] de lion et le « Don’t forget to live » sur mon bras, c’est parce que j’ai trouvé du courage à travers cet album. Une force dans une nouvelle posture. Et si je l’ai appelé Idols et que je me détourne de ce concept sur la pochette, c’est parce qu’on donne trop de crédit aux autres pour notre propre individualité. On regarde une photo ou une affiche et on veut être l’affiche. Dans mon cas, certaines personnes sont devenues cette affiche. Mais avec le temps, on se rend compte que cette affiche n’a jamais eu les réponses.
“C’est ça la beauté de la musique et de l’art : on voit ou on entend quelque chose et on s’y retrouve”
SOB : La réponse est en toi.
Yungblud : À 100 %. Je n’ai jamais rencontré David Bowie, ni Freddie Mercury. Tout ce que j’ai tiré de ces affiches ou de cette musique venait de moi-même. Il y a une vidéo célèbre de John Lennon où un fan vient chez lui en croyant que sa musique parle de lui. Et John lui dit : « Je ne te connais pas. » C’est ça la beauté de la musique et de l’art : on voit ou on entend quelque chose et on s’y retrouve. L’idée que tu rumines dans ta tête, c’est ta leçon. Je suis inspiré par un moment de magie ou d’espoir, entendu sur un lecteur CD, à la radio, à la télé. Ou sur TikTok.
SOB : Pourquoi avoir choisi de faire un double album ? Ces deux albums représentaient-ils deux opposés, un côté solaire et un côté sombre ? Ou avais-tu trop de morceaux et tu voulais les réunir dans un deuxième album ?
Yungblud : Il y a plusieurs raisons. D’abord, l’album ne voulait pas se terminer. On a fini avec 30 chansons.
“Je ne voulais pas qu’on oublie cet album après la première écoute”
JADE : 30 chansons en 4 ans ?
Yungblud : Ouais. Je me suis dit « Wow, putain de merde » . Tout appartenait à la même idée, sous l’égide d’Idols. La première partie, c’est la lumière, la reconquête de soi. Tu apprends à voler. La deuxième, c’est la prise de conscience qu’on ne sera pas là pour toujours. Alors, qu’est-ce qui compte le plus maintenant que je sais qui je suis ? Qui j’aime et qui fait partie de ma vie ? Qu’est-ce que j’aime dans ma vie ? Qu’est-ce que je vais laisser derrière moi ? La deuxième partie est plus sombre, plus cynique. Tu construis ces idées dans la première partie, puis tu les appliques dans la deuxième. C’est une aventure. Je ne voulais pas qu’on oublie cet album après la première écoute. Je voulais un projet sur 18 mois.
SOB : Un projet global.
Yungblud : Oui, une histoire qui se dévoile.
SOB : C’est vraiment cool. Peu de gens font ça.
Yungblud : Je me sens chanceux. J’ai une communauté et un public qui me permettent de le faire. Si tu es une pop star, tu dois être dans les charts, sinon t’es foutu. J’ai tellement de chance de pouvoir partager cette culture, cette idée, cette identité, ce mouvement avec cette communauté.
SOB : Quelles sont tes chansons préférées de l’album ?
Yungblud : Ghost et Change. Cette chanson donne l’impression de voler, elle est un peu magique. Mais cet album est tellement… C’est vraiment Dom. Si vous me connaissez, si vous regardez une de mes interviews, et si vous observez mes émotions, quand je parle de la vie, ce sont mes opinions sur la vie. Pas la politique, pas la colère, pas les limites. Cet album, ce sont mes opinions sur l’humanité. C’est mon opinion sur le pourquoi de notre présence ici. Et Idols contient tellement d’émotions. Il explose de couleurs.
SOB : Cet album est une mise à nu. Que les gens l’aiment ou le détestent, il te représente. Alors, que représente cette nouvelle image de YUNGBLUD pour toi ? As-tu l’impression d’être arrivé à un tournant de ta vie, de ta carrière ? D’avoir réussi à régler certaines choses qui te hantaient ? Tu te sens comment maintenant que cet album va sortir ?
Yungblud : Tout le monde me demande si je suis stressée par la sortie de l’album, mais non, je suis très serein. S’il y a bien une chose que j’ai compris, c’est que j’ai vraiment fait cet album pour moi. Et on peut ressentir cette évolution, ce passage d’un sentiment de solitude et de peur au début – « Hello ? Vous êtes là ? Vous me connaissez ? Vous m’aimez ? Vous me détestez ? » -, jusqu’à Supermoon. J’évolue en temps réel, en musique, à travers la musique. L’auditeur entend donc comme un instantané de cette reconquête de moi-même, cette redécouverte de moi-même, à un nouveau moment de ma vie.
“Pour cet album, j’avais besoin de temps”
SOB : Comment écris-tu un album comme celui-là ? As-tu la même méthode qu’auparavant ?
Yungblud : Non, pour cet album, j’avais besoin de temps. Avant, c’était toujours album-tournée-album-tournée… Je n’avais plus rien à dire. Il fallait que je prenne le temps de réfléchir à mes émotions et de laisser mon subconscient faire le boulot. Et quand tu fais ça, il faut accepter de prendre son temps parce qu’on n’a pas des épiphanies tous les jours. Quand tu dois t’asseoir dans une pièce et écrire une chanson pour 17h, tu vas peut-être faire une chanson accrocheuse, mais elle ne sera pas profonde. Il faut prendre son temps, y réfléchir. Elle sortira peut-être en 10 minutes, mais le travail aura commencé trois semaines plus tôt pour qu’un peu d’émotion tombe du ciel.
SOB : Tu écris seul ?
Yungblud : J’ai emmené ma famille, Adam Warrington (guitariste), Mattie Schwartz (producteur) au milieu de nulle part. On n’avait plus de concept du temps, pas de deadline. On s’est simplement dit, qu’est-ce qu’on va créer ? Voyons ce qu’il va se passer. C’est pour ça que les chansons changent de direction. Le feu commence quelque part et finit ailleurs. La chanson Ghost commence quelque part et finit ailleurs. Avec The Greatest Parade, on va partout, c’est amusant.
SOB : Tu montres un grand intérêt pour les gens, en particulier pour ta communauté. Qu’est-ce qui te motive à continuer, à trouver des solutions ? Par exemple pour les concerts, pour qu’ils soient accessibles à tous ? Comment fais-tu pour continuer de trouver des solutions dans une société qui met plein d’interdits ?
Yungblud : Parce que c’est ce que je veux. Et je n’accepte pas qu’on me dise simplement « Non » . J’ai de la chance d’avoir une communauté aussi importante, alors je veux lui rendre service et être certain que les gens qui en font partie, qui la rendent si forte, n’ai jamais l’impression de se faire entuber. Et je veux prouver que si on veut changer les choses, on peut le faire. Si tu veux changer le monde, tu peux le faire. Il ne faut pas avoir peur, tout le monde peut changer le monde. On peut changer le monde en modifiant la façon de penser d’une seule personne.
“Je pense que tout a commencé avec le Brexit. Mes amis et moi, on était vraiment en colère d’être séparés du monde”
SOB : Et cette envie et cette rage, elle vient d’où ? Est-ce que ça remonte à ton enfance ? Ton adolescence ?
Yungblud : Je pense que tout a commencé avec le Brexit. Mes amis et moi, on était vraiment en colère d’être séparés du monde, de notre identité, de notre culture contre notre plein gré. Yungblud est né de ça. Je voulais écrire sur ce que moi et mes potes vivions. C’était le début d’une révolution sexuelle, de conscience raciale. Avec l’idée qu’à présent, notre génération pouvait communiquer grâce à internet. Et des artistes comme Lil Nas X, Mac Miller, Billie Eilish, Lil Peep sont arrivés. On chantait sur d’autres sujets que “je t’aime bébé” . On chantait sur des sujets politiques. On chantait sur… la dépression, l’égalité sexuelle, l’égalité raciale, tout. Ce qui était au premier plan de l’esprit d’une génération parce qu’à l’époque, tu étais coincé, il fallait respecter des règles pour être qui l’on était. Mais avec mes amis, on ne voyait pas les choses comme ça. On se disait, on est tous des potes, y a-t-il un mal à ça ? Et quand ils essayaient de le mathématiser ou de le rationaliser, ça n’avait aucun sens pour nous. C’est donc sur ce sujet que j’ai commencé à écrire des chansons. Et c’est ainsi que ce projet est devenu aussi important. Et c’est devenu dingue.
SOB : As-tu pensé à changer de nom maintenant que c’est un nouveau projet ?
Yungblud : J’y ai réfléchi. Les gens me demandent souvent si je pourrais être Yungblud pour toujours. Je n’y avais jamais réfléchi, je ne m’attendais pas à ce que ce projet prenne une telle ampleur. J’aimais juste ce que je faisais et je parlais avec tout ce que j’avais. Quand tu es sur le devant de la scène, tu développes des insécurités à propos de choses auxquelles tu n’avais jamais pensées. La plupart des doutes que j’ai ressentis au cours des quatre dernières années viennent de ce que j’ai lu sur Internet à mon sujet. Je me suis dit : « Putain, c’est ce que les gens pensent de moi ? »
Les gens me demandent comment peux-tu être Yungblud pour toujours ? Dans mon esprit, depuis le début, je pensais que ce serait le cas. Mais j’ai commencé à ne plus aimer mon nom. Jusqu’au Bludfest. Parce que Yungblud est devenu tellement plus grand que moi. Il vous représente vous, il représente des mères, des bébés, des grands-mères et des grands-pères. Les 35 000 personnes dans ce champ étaient Yungblud et Dom peut exister sous Yungblud. Parce que Yungblud n’est plus ce jeune homme du Nord de 18 ans, en chaussettes roses, qui chante sur la politique. Mais Dom peut exister sous Yungblud et ce nom est devenu une idée, c‘est devenu une sorte de protection. Alors oui, je pense que je pourrais être Yungblud pour toujours. Mais pas toujours de la manière dont vous le connaissez. Pas de la manière dont il a été présenté au monde pour la première fois.
SOB : Tu parlais de Bludfest. J’ai entendu parler d’un Bludfest français. Tu peux m’en dire plus ?
Yungblud : J’essaie de faire venir le Bludfest à Paris, à Prague, en Amérique Latine et à Malte l’année prochaine. C’est mon but.
SOB : Avec des artistes français ?
Yungblud : Oui, des artistes français. Je suis en train de discuter avec un gros groupe pour qu’il joue avec moi. Ce qui, si nous y parvenons, se fera sans aucun doute. Ce sera juste Bludfest Paris.
SOB : Merci encore de nous avoir accordé un peu de temps !
Yungblud : Merci à toi. Il y a encore plein de choses qui arrivent. Un film aussi. C’est tout ce que je peux dire.
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