Bloc Party au Festival Beauregard 2025

Jorja Smith, Fontaines D.C., Wet Leg… Retour sur l’édition 2025 du festival Beauregard

Cette année le festival d’Hérouville Saint-Clair fêtait sa 17ème édition. Un anniversaire marqué par des concerts éclectiques, un public électrique et une météo parfois apocalyptique.

Si la programmation britannique de Beauregard valait cette année encore largement le détour, il a pourtant fallu patienter un peu. Le mercredi, par exemple, aucun artiste d’outre-Manche n’était présent.

L’occasion, donc, de garder les yeux rivés vers la grande scène où les Black Eyed Peas ont lancé les hostilités. Malgré un son calibré pour les stades et une setlist essentiellement construite autour de leurs plus grands tubes, le groupe américain a su surprendre par un message engagé glissé au cœur de son show : une dédicace de Where Is the Love à “l’Amérique de Donald Trump”.

Un peu plus tard dans la soirée, place à DJ Snake. Et même si son univers est à mille lieues de celui que l’on défend sur Sound of Brit, il faut reconnaître que, ce soir-là, le DJ français avait tout d’une rockstar. Sur scène, DJ Snake a enchaîné les morceaux dans une ambiance électrique, portée par des effets pyrotechniques impressionnants et des walls of death plus proches du metal que de l’électro.

Jeudi : la soul britannique reprend ses droits

Le jeudi, la première artiste britannique à fouler la scène Beauregard n’est autre que Jorja Smith. Une chanteuse rare en France et encore plus en festival. C’est sans doute ce qui explique la ferveur des premiers rangs, venus chanter avec elle. Certains brandissaient des pancartes ou diffusaient des messages d’amour sur leur téléphone. Jorja répondait par des sourires et des cœurs avec les doigts.

La setlist, particulièrement soignée, fait la part belle à son dernier album Falling or Flying, sans pour autant négliger les classiques qui l’ont révélée. Blue Lights, Be Honest, ou encore On My Mind résonnent dans le parc du château avec une puissance nouvelle, retravaillés pour la scène, enrichis de nuances inattendues. Ce sont dans ces moments-là que l’on mesure le travail de fond derrière le concert : les arrangements live sont subtils et permettent de redécouvrir certains morceaux sous un jour plus organique.

Et que dire des musiciens ? Chacun d’entre eux apporte une couleur particulière, un groove, une chaleur. Jorja Smith, lorsqu’elle ne chante pas, se laisse emporter par la musique. On la sent présente, concentrée, mais aussi joyeuse, presque légère. Cette sincérité renforce sa connexion avec le public.

La scénographie aussi mérite d’être saluée. Sobre et élégante, elle repose sur un escalier central et des éléments visuels rappelant des flûtes de pan. Les lumières, parfaitement synchronisées, subliment l’ensemble. Cela donne une identité forte, presque cinématographique, à ce concert immersif.

Seule petite ombre au tableau : les choristes, pourtant excellents, étaient relégués à l’arrière de la scène, quelque peu dissimulés derrière les instruments. C’est dommage, car ils apportaient une réelle plus-value au concert, tant par leurs voix que par leurs petites chorégraphies très élégantes.

Samedi : contrastes et tensions

Eh oui, les plus perspicaces d’entre vous l’auront remarqué, nous sommes passés du jeudi au samedi. Tout simplement parce qu’il n’y avait aucun artiste britannique présent le vendredi.

Bloc Party transforme la pluie en énergie

Dès les premières notes de So Here We Are, Kele Okereke capte l’attention. Malgré la pluie fine, le chanteur est souriant, chaleureux, visiblement heureux d’être là. Il interagit beaucoup avec le public et cela fonctionne. Le reste du groupe est tout aussi investi et le set, parfaitement équilibré, alterne entre morceaux cultes des premiers albums et extraits de leur dernier EP sorti en 2023.

Les morceaux s’enchaînent avec une efficacité redoutable, comme s’ils avaient été écrit pour les festivals. Autour de moi, beaucoup découvrent le groupe pour la première fois. J’entends des “C’est qui ce groupe ? C’est super sympa !”, tandis que sur les réseaux du festival, les mêmes réactions enthousiastes se multiplient. C’est un plaisir rare de voir un public tomber amoureux d’un groupe en direct.

L’intérêt de jouer devant un public peu familier avec votre discographie, c’est aussi de pouvoir rebattre les cartes. Là où l’on attendait logiquement Banquet, This Modern Love ou Helicopter comme moments phares, ce sont finalement des titres comme She’s Hearing Voices ou One More Chance qui déclenchent les plus belles interactions.

Mais si le moment est mémorable, il n’est pas sans quelques accrocs. Rien de dramatique, mais des détails un peu étonnants pour un groupe avec autant d’années d’expérience. Kele passe une bonne partie du concert à remonter son short, visiblement mal ajusté. Puis une guitare mal accordée l’oblige à s’excuser. Ce manque de préparation amuse, mais laisse aussi un petit goût d’amateurisme.

Malgré ces petits incidents, ce concert de Bloc Party restera l’un des moments forts de la journée. Un set généreux qui aura permis à de nombreux festivaliers de redécouvrir un pan essentiel de la musique Britannique contemporaine.

Bloc Party au Festival Beauregard 2025
Bloc Party au Festival Beauregard 2025

The Last Dinner Party face aux limites des festivals généralistes

Lors de la conférence de presse du festival, le directeur Paul Langeois insistait sur l’intérêt d’une programmation éclectique. Pour lui, les festivals dits “généralistes” permettent aussi bien aux publics qu’aux artistes de faire des découvertes inattendues. Il prenait l’exemple de Matthieu Chedid, venu jouer avec le collectif Lamomali le vendredi justement. Après son concert, -M- aurait profité de sa soirée pour aller voir Damso, Gesaffelstein, ou encore découvrir Blonde Redhead, un groupe qu’il ne connaissait pas. Des anecdotes réjouissantes comme celles-ci, il y en a des dizaines. Mais il faut aussi évoquer l’envers du décor.

Car, parfois, ce brassage des genres et des publics produit un décalage profond entre ce qui se passe sur scène et l’énergie dans le public. C’est exactement ce qui est arrivé lors du concert de The Last Dinner Party, samedi, en début de soirée.

Un concert sublime gâché par un public hostile

Le groupe britannique jouait sur la même scène que Gazo, deux heures avant ce dernier. Résultat : bien avant le début du concert, les fans du rappeur étaient déjà massés aux premiers rangs. Là où j’étais placée, la majorité du public était composée d’adolescents, souvent vêtus de maillots de foot, et très excités par l’annonce toute récente du Ballon d’Or. Plusieurs chants de supporters se faisaient entendre, sans lien avec ce qui se préparait sur scène. On sentait que ce public-là n’était pas là pour découvrir, mais uniquement pour tenir sa position. Et face à un groupe de rock baroque composé majoritairement de femmes, le contraste allait rapidement se durcir.

Dès les premières chansons, le malaise s’installe. Certains sifflent les musiciennes. Des propos sexistes et homophobes fusent. L’ambiance devient pesante, jusqu’à m’obliger à quitter la fosse au bout de quatre morceaux. J’aurais voulu croire que ces comportements étaient isolés. Mais un rapide tour sur les réseaux sociaux du festival confirme l’inconfort ressenti par d’autres spectateurs.

Et pourtant, malgré ce climat franchement dérangeant, The Last Dinner Party a livré un concert magnifique. Même les quelques titres que j’ai pu voir m’ont suffi à le sentir : les chansons prennent toute leur ampleur en live, la mise en scène est travaillée avec soin, et le décor — à la fois féérique, théâtral et baroque — entre parfaitement en résonance avec les costumes et l’univers du groupe. Il y avait là une véritable proposition artistique, forte, cohérente, poétique.

The Last Dinner Party au Festival Beauregard 2025
The Last Dinner Party au Festival Beauregard 2025

Une fin de soirée très rock

Plus tard dans la soirée, une autre artiste a eu droit, elle, à un public entièrement acquis à sa cause : Hoshi. Drapeaux LGBT visibles de chaque côté de la scène, ambiance bienveillante, et un public prêt à suivre la moindre de ses consignes, y compris lorsque la chanteuse a demandé un immense doigt d’honneur à l’attention de toutes celles et ceux qui, ces derniers mois, l’ont insultée ou menacée en ligne. L’émotion était palpable, et ce moment de communion intense faisait écho, sans qu’elle le sache, à ce qu’avait subi The Last Dinner Party plus tôt dans la soirée.

Enfin, The Black Keys venaient clôturer cette journée. Comme souvent avec le duo, la recette est simple mais efficace : une setlist truffée de tubes, un son brut et chaleureux, et une alchimie toujours intacte. Un concert puissant, direct, fédérateur, qui réconcilie tout le monde autour de la guitare, de la batterie et de l’amour du rock.

Un dimanche presque parfait

Ce cinquième et dernier jour du festival s’ouvre avec King Hannah, une artiste britannique encore peu connue, mais à l’univers déjà bien défini. Musicalement, c’est une entrée en matière captivante : les morceaux sont riches, habités, et immédiatement reconnaissables. Sa voix grave, presque nonchalante, donne une teinte singulière à un rock lent, brumeux, un peu hanté. C’est minimaliste, mais ça intrigue.

Malheureusement, sur scène, la prestation reste distante. Très distante. La chanteuse, casque vissé sur les oreilles du début à la fin, ne s’adresse jamais au public. Elle reste figée, tout comme les musiciens, immobiles, absorbés dans leur bulle sonore. Ce retrait scénique donne une impression glaciale, comme si le concert se jouait ailleurs, ou pour d’autres. Dommage, car la proposition musicale méritait une incarnation plus vivante, surtout dans un cadre aussi ouvert que celui d’un festival.

King Hannah au festival Beauregard 2025
King Hannah au Festival Beauregard en 2025

The Limiñanas : l’un des meilleurs concerts… interrompus

À peine le concert terminé, on traverse le site pour rejoindre The Limiñanas, attendus sur la grande scène. Dès les premières notes, l’ambiance change radicalement. Visuellement, tout est en place : un décor cinématographique, des images projetées derrière les musiciens, une lumière chaude, un rock psyché qui monte en tension. On se dit immédiatement qu’on tient là l’un des grands concerts de cette édition. L’alchimie est là. Le public est embarqué.

Mais soudain, tout bascule.

Alors que le soleil brille à nouveau au-dessus du parc, personne ne pense plus aux averses torrentielles qui se sont abattues quelques heures plus tôt sur le site. Et pourtant, en hauteur, les bâches de la scène ont gardé en silence des litres d’eau accumulés. En plein milieu d’un morceau, dans un fracas aussi soudain qu’inattendu, l’eau se déverse sur scène. De véritables cascades tombent sur les musiciens, provoquant la stupeur générale.

Le groupe s’interrompt, les techniciens accourent. Le directeur du festival monte sur scène et prend la parole : pour des raisons de sécurité, le concert doit être temporairement interrompu. On espère un simple contretemps. Mais quelques minutes plus tard, le verdict tombe : une partie du matériel a été gravement endommagée. The Limiñanas ne reprendront pas. Le concert est définitivement annulé.

The Limiñanas au Festival Beauregard 2025
The Limiñanas au Festival Beauregard 2025

Wet Leg : Un retour sous le soleil

Alors, en tant que fans de musiques britanniques, on s’interroge. Wet Leg qui jouent sur la même scène auront-elles les jambes mouillées ? Mais les organisateurs sont formels : tout a été vérifié, sécurisé, renforcé. La scène est sèche, le soleil est revenu, et les concerts peuvent reprendre dans les meilleures conditions.

Et c’est donc dans une ambiance détendue et rassurée que Wet Leg font leur entrée sous les applaudissements. Le duo britannique, révélé par un premier album devenu phénomène en 2022, est attendu de pied ferme. Après trois ans d’absence, leur retour sur scène — et dans les festivals — est un petit événement.

La setlist est en grande partie consacrée à leur deuxième album, Moisturizer, qui n’est pas encore sorti au moment du concert. Peu importe : les nouveaux morceaux fonctionnent à merveille. Ils sont dansants, accrocheurs, souvent teintés d’ironie, et parfaitement taillés pour une scène estivale. L’énergie est là, le style aussi. Ils ont déjà tout de tubes potentiels, et ce n’est qu’une question de temps avant qu’on les chante à tue-tête.

Seul petit bémol : comme ces titres sont encore inconnus, le public reste globalement calme, plus observateur que participatif. Pas de refrains scandés, pas de sauts en rythme… mais une vraie attention, curieuse, presque studieuse.

Ce qui frappe, en revanche, c’est l’évolution de Wet Leg sur scène. Là où leurs premiers concerts étaient marqués par une certaine réserve, on sent aujourd’hui une volonté de s’ouvrir davantage. Il y a plus d’assurance, plus de mise en scène — comme sur Catch These Fists, qui bénéficie d’un véritable moment scénique. Les membres du groupe, eux aussi, sont plus visibles, plus valorisés.

Fontaines D.C. : une messe post-punk

Je dois l’admettre : je fais partie de ceux qui ont été conquis par Fontaines D.C. dès les premières notes de leur premier album. Pourtant, jusqu’à présent, je n’avais jamais eu la chance de les voir sur scène. Et à vrai dire, mes attentes étaient mitigées.

À force de lire des live reports, une image s’était dessinée : peu de décors, peu d’interactions, un chanteur souvent mutique, parfois même distant. Et ce fut effectivement le cas à Beauregard.

Pas un mot, ou presque, de Grian Chatten, si ce n’est un court hommage rendu à Amyl and the Sniffers, programmés juste avant eux. Cependant, on notera tout de même la présence d’un drapeau Palestinien posé sur scène et d’un “Free Palestine. Israel is committing genocide. Use your voice” inscrit sur les écrans.

Festival Beauregard 2025
Festival Beauregard 2025

Depuis le début de la journée, des fans circulaient sur le site du festival avec des totebags à l’effigie de leur dernier album Romance, sorti en 2024. Et même si peu de gens chantent autour de moi, tout le monde est en mouvement. Ça saute. Ça vibre. Certaines personnes pleurent, submergées par la tension émotionnelle que dégage Grian Chatten, notamment sur des morceaux comme Desire.

Il faut dire que le chanteur est tout simplement l’un des meilleurs frontmen de sa génération. Il a ce mélange unique de présence nerveuse, de poésie sauvage, et de rage maîtrisée. Tambourin à la main, démarche fière, accent rugueux… difficile de ne pas penser à Liam Gallagher.

Côté setlist, c’est Romance qui domine : neuf titres joués. Mais la magie, c’est que rien ne dénote. Que ce soit des titres du premier album ou des plus récents, tout est interprété avec la même intensité. Comme si chaque chanson méritait d’être la meilleure de leur répertoire. Comme si c’était, pour eux, le concert de leur vie.

En ce dimanche soir, Fontaines D.C. n’avaient besoin d’aucun artifice. Juste leurs instruments, leurs mots, et une sincérité brute. Et c’était largement suffisant pour électriser Beauregard.

Festival Beauregard 2025
Festival Beauregard 2025

Une édition magnifique mais pas sans turbulences

Beauregard 2025 aura offert des moments inoubliables pour les fans de musique britannique. Si certains sets ont souffert d’un contexte défavorable ou d’un public mal assorti, d’autres ont brillé avec une intensité rare.

Entre les larmes, les pogos, les silences pesants et les cris de joie, la scène UK et irlandaise a encore prouvé qu’elle savait bouleverser un festival, même dans un océan d’artistes venus d’ailleurs.

Toutes les photos de cette édition 2025 du festival Beauregard sont à retrouver ici.

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