These New Puritans – Field of Reeds

3 ans après l’excellent Hidden salué à l’unanimité par la critique, These New Puritans reviennent avec Field of Reeds, leur 3ème album studio enregistré entre Londres et Berlin et produit par Graham Sutton.

 

TNPphoto

 

Rarement un album aura donné autant de fil à retordre pour en faire la critique sur SOB. Il aura fallu de nombreuses écoutes pour se faire une idée sur Field of Reeds, le 3ème album des londoniens de These New Puritans sorti le 10 juin dernier.

Très vite un constat apparaît: cet album n’est pas à envisager sous l’angle classique du j’aime/j’aime pas. Dès les premières minutes, il perturbe, dérange, irrite même. Mais pour autant, on sort de cette première écoute avec le sentiment que cette musique nous a mené sur des terrains inhabituels.

François Joseph Fétis, compositeur belge du 19ème siècle déclarait: « Moins il y a d’idées positives dans un art, plus il se prête à la transformation. N’étant pas destiné à reproduire par l’imitation certaines sensations déjà connues, il est dans les conditions les plus avantageuses s’il n’a point de modèle sur quoi il doive se régler et à qui on puisse le comparer. »  Sur ce point Field of Reeds  apparaît comme un chef-d’œuvre tant il diffère de l’atmosphère musicale actuelle.

Le rideau s’ouvre  avec  « This Guy’s In Love With You »: un piano et une voix féminine se donnent la réplique, le tout est cotonneux, la voix presque aphasique semble s’extirper de l’obsurité, poussée par un cor d’harmonie.

Puis vient « Fragment Two » dont le sublime clip a été dévoilé récemment et dont le thème au piano accroche immédiatement l’oreille, accompagnée d’un cor et d’une trompette. Les rôles sont inversés et les instruments font le plus gros du travail: ici la mélodie est chantée par ce trio inanimé qui semble avoir une âme, tandis que la voix de Jack Barnett vient en accompagnement. Les mots du frontman forment ici ce qui ressemble à un ectoplasme s’incarnant dans la voix de Barnett, une masse mouvante, un flot compact de mots nébuleux, en opposition nette avec la limpidité du piano. Le résultat est d’une beauté étonnante.

Après le réconfort de « Fragment Two » vient le désarroi provoqué par le titre suivant, « The Light In Your Name ». Ambiance fantomatique instaurée par les cuivres, puis secousses provoquées par les éclairs électro et par le martèlement de la batterie, bris de glace: le groupe se plaît à laisser l’auditeur dans un état de torpeur. Le décor est parfaitement lynchien: tout comme le réalisateur de Lost Highway, la musique de  These New Puritans provoque le trouble chez celui qui l’écoute.

Trouble également à l’écoute des titres suivants: « V (Island Long) » d’abord,qui débute paisiblement par un duo piano-voix, s’emballe soudainement dans un tumulte de cuivres et de percussions, qui disparaissent subitement à la fin de la chanson, comme une apparition spectrale. « Spiral » ensuite et son chœur d’enfants, petites âmes semblant gémir des profondeurs des limbes. « Organ Eternal » et sa mélodie à l’orgue répétée en boucle dans une course circulaire, pour ne s’arrêter que brièvement, le temps de reprendre son souffle, le temps pour Jack Barnett d’émettre des sons plus que des mots.

La très austère « Nothing Else » vient ensuite déconstruire ce qui a été bâtit jusque là: chaque instrument prend vit indépendamment des autres, s’anime jusqu’à atteindre le statut de fonction physiologique: la trompette est la voix qui hurle sa peine, les bois et les cordes sont le cœur pris de spasmes. Pierre et le Loup version post-punk. Dépouillement toujours avec « Dream » et sa voix de femme accompagnée de cordes et de bois encore une fois.

L’album s’achève par le titre « Field of Reeds »: une clameur s’élève d’un chœur de voix d’hommes, à la limite de la musique sacrée, à laquelle répond la voix de Barnett, laconique et convulsive.

C’est la fin. Quel est le bilan à dresser de cette expérience? L’écoute de cet album aura profondément ému, en ce sens qu’il a touché aux sensations et poussé l’auditeur dans une réflexion inédite. C’est ce qui fait de Field of Reeds un album de génie, au sens littéral, puisqu’il aura percé une voie nouvelle et extraordinaire dans la musique actuelle.

Pour reprendre ce bon Fétis, « la musique est un art d’émotion plutôt que de pensée ; C’est en cela qu’elle diffère des autres arts, qui ne remuent le cœur qu’après avoir frappé l’esprit. » These New Puritans ont non seulement touché au cœur mais aussi au corps avec cet album.

Reste à vérifier quelle ampleur cette émotion prendra en live: ce sera chose faite ce lundi sur la scène du Café de la Danse.

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