01 Fév Enter Shikari : « The Mindsweep est une plus grosse production »
En l’espace de dix ans, ils ont inscrit leur nom de manière durable dans le paysage de la musique britannique. Rencontre avec les furieux engagés d’Enter Shikari.
Racontez-nous tout d’abord la genèse de The Mindsweep, votre quatrième album ?
Rou : Je dirais que tout a commencé en tournée, où on écrivait un peu. Mais on s’y est véritablement penché en janvier (2014), au retour à la maison. On s’est tous retrouvé dans mon garage, on faisait des démos de guitare, des trucs approfondis. En mai-juin, on est entré dans le dur, les morceaux prenaient vraiment forme. L’enregistrement s’est ensuite fait aux Chapel Studios dans le Lincolnshire, une vraie bonne expérience, pour le cadre, le son… On a vraiment pris du plaisir à l’écrire. Et maintenant, il est devant nous, prêt à éclore.
Il s’agit de votre quatrième effort. Comment voyez-vous votre carrière depuis vos débuts, et votre premier opus, Take To The Skies ?
C’est… assez flou. Pour sûr, on n’aurait jamais pu prévoir cela. On a toujours eu l’idée que c’était un hobby, et c’est d’ailleurs ce qu’on pense encore, on se sent très chanceux de pouvoir continuer à faire la musique qu’on aime, à pouvoir y mettre de la passion, parler de sujets qui nous tiennent à cœur.
Vous possédez votre propre label. Est-il difficile pour un groupe de vivre et réussir de manière indépendante ?
On a d’abord la chance d’avoir pas mal de gens autour de nous, notre management, la même équipe que l’on a depuis longtemps. Et puis, écrire ses propres chansons dans une chambre, procéder à des arrangement électroniques pour en sortir une mélodie, tout ce qui en découle peut rendre la chose plus facile. On s’est beaucoup servi des internets, publier sur My Space, Soundcloud, YouTube. Créer c’est une chose, mais assurer une carrière, monétiser votre musique, c’est plus compliqué. Mais c’est le lot de n’importe quel artiste.
Vous avez dit un jour qu’aucun label n’a voulu vous publier au début. Et depuis, tout semble avoir changé ?
C’était au tout début, lorsqu’on tentait de se constituer une fanbase. On était jeune et assez naïve sur le fait qu’enregistrer un album pouvait être simple. Mais pour rester poli, à l’époque, on n’avait peu de gens sur nos guestlist lors des shows, d’autres qui ne se montraient pas, ceux qui ne voulaient pas prendre de risque avec nous. Cette expérience nous a donné confiance en nous, et a alimenté notre désir de faire les choses par nous-mêmes. Et ça s’est matérialisé – on a mis du temps – avec notre premier album et la création de notre label. Et les gens ont commencé à montrer de l’intérêt. De nos jours, on est très heureux de la façon dont on sort notre musique, j’ai pas le sentiment qu’on ait besoin de changer notre façon de faire, et les gens autour de nous ne comprendraient pas.
Enter Shikari est un groupe de l’Internet, notamment de MySpace sur lequel vous avez émergé. J’imagine que vous devez avoir un regard sur le téléchargement illégal, s’il aide ou non.
Il aide certainement votre musique à être partagée, et dans le sens où il n’y a pas d’argent avec les albums, et qu’on va chercher dans le merchandising et le live. Le truc c’est qu’on est arrivé à un moment où les albums se vendaient mal, que l’industrie du disque était en déclin, donc on n’est pas ce genre de groupe à être inquiet de savoir si ça se vend ou pas, on veut juste constater que le public vient toujours nous voir. Et nous ne sommes pas non plus comme d’autres groupes du métal à compter leurs millions de pounds. Bon de toute façon, on n’a jamais eu de millions (rires), donc on ne sait pas ce que l’on peut ressentir avec ça.
Est-ce que vous avez changé votre manière de construire et de façonner un album ? Car on a clairement l’impression qu’il y a une plus grosse production sur The Mindsweep…
On a la même équipe que sur A Flash Flood Of Colour, et notamment Dan Weller en tant que producteur. En tant qu’équipe, on se connaît si bien, ça fonctionne si bien, que ça devient très confortable. On a changé de studios d’enregistrement, un truc assez dingue. Il y a en tout quatre maisons là-bas, avec plusieurs chambres d’enregistrement. On en avait loué une sur un mois, et comme personne n’était à côté, ils nous ont laissé la seconde gratuitement. On peut donc enregistrer, et en même temps continuer à expérimenter à côté, créer des démos. Ca nous ouvert à d’autres choses. On a aussi utilisé des sons plus organiques, des instruments en acoustiques qu’on avait jamais utilisé avant, ainsi qu’un quatuor d’instruments à cordes. Donc oui, ça fait de The Mindsweep une plus grosse production.
Pourquoi avoir choisi de sortir en premier lieu The Last Garrison. C’est un morceau représentatif, à l’image de cet album ?
Je ne pense pas qu’une chanson puisse représenter un album dans son esprit. Mais avec ce titre, on voulait quelque chose de positif mais de toujours agressif. Je crois que ça reste aussi l’une des chansons de l’album les plus reconnaissables.
Il y a un titre que je trouve très particulière et spéciale dans cet album, c’est Dear Future Historians. Au-delà de la lettre lue, c’est le rythme choisi, le côté calme. Elle était évidente cette chanson ?
A vrai dire, on ne pense jamais un titre en terme de structure, ou tout du moins, on ne passe pas beaucoup de temps dessus. Aux studios, on jouait régulièrement avec ce piano, les sons qui faisaient surface. On s’est dit qu’une piste tranquille aurait peut-être sa place, et que finalement on en ressentait aussi le besoin, avec quelque chose de lyrique dans le son comme dans le texte. Et puis entre ses murs, ce grand piano dans une structure qui faisait très cathédrale… Il y avait de bonnes ondes, ça sonnait parfait, d’autant qu’une bonne partie des chansons étaient déjà faites.
Qu’est-ce qui vous a influencé pendant la production de cet album ?
Déjà le fait d’être ensemble, de ne pas être comme ce genre de groupes qui font appel à un gros nom de la production pour les épauler. Et puis musicalement, un peu de tout, mais à mon sens, c’est d’utiliser le coté dance de notre musique, avec l’idée du classique, quelque chose qui peut être très calme, et va ensuite exploser dans quelque chose de très sauvage.
Enter Shikari a la particularité d’être un groupe très ancré dans le monde actuel, notamment parce qu’il dénonce dans ses textes. Qu’est-ce qui vous dégoûte le plus dans ce monde que vous exécrez ?
Je crois que ce qu’il ressort de The Mindsweep, c’est le fait que le capitalisme – que vous le souteniez ou pas, vous ne pouvez le nier – traite tout par le profit, avec une conception très cyclique qui ne consiste sûrement pas à considérer la Terre, cet endroit où l’on vit, qui flotte dans l’espace, comme un autre espace où cette conception n’existerait pas. Ils ne parlent pas d’environnement pas exemple, ils ne savent pas, ils n’arrivent pas à voir que les ressources s’amenuisent et qu’elles ne suffisent plus, ils continuent de produire à outrance et à alimenter cette catastrophe ambiante dans laquelle nous vivons. The Mindsweep veut prôner cette idée qui forcerait les politiques à balayer ces idées pour un système avec des alternatives.
Vous êtes toujours engagés, politiquement ?
Oui, oui. Je pense à cette chanson (Anaesthesist) qui parle du système de santé britannique, qui a toujours été privatisé. Eh bien on a marché aux côtés des partis, on était aussi aux côtés des marches anti-guerre. Et puis il y a le mouvement qui lutte contre les violences et mutilations faites aux femmes, que l’on soutient sur cet album avec Never Let Go of the Microscope.
Une poignée d’artistes se sont réunis pour le Band Aid, trente ans après le premier single. C’est une initiative que vous auriez soutenue ?
Ce qui m’intrigue avec ce projet, c’est où les fonds vont ? Ce qui m’intéresse, c’est de savoir si tout est bien redistribué, si ce n’est pas qu’un coup de pub.
Vous avez beaucoup appris des différents pays où vous avez tourné, de leurs mentalités, de leurs environnements ?
On a surtout vu des différences. Au Japon par exemple, les gens ont le respect en eux, une culture du respect envers l’autre. Au jeu des comparaisons, on a été dans des endroits où la violence est reine, où l’inégalité va croissante entre les riches et les pauvres, et que tout cela se voit. Et lorsqu’on tourne dans des endroits comme le Danemark ou la Norvège, des sociétés très égalitaires où la violence et le crime sont proches de zéro, on ressent cette différence et ces cultures différentes.
Et la France ? J’imagine qu’en Angleterre, à la vue de l’actualité [l’interview a été réalisée pendant la campagne de Valérie Trierweiler pour son brûlot Merci pour ce moment], vous devez entendre parler de nous, de nos dirigeants ?
Du fait que votre président aime les femmes, c’est ça ? (rires) Effectivement, c’était dans les médias, mais je n’ai pas eu le temps de m’y intéresser véritablement. Ce n’est pas une excuse, mais bon. Beaucoup de gens pensent que la vie privée devrait rester privée, mais d’un côté, s’il est immoral de la sorte avec sa compagne, il pourrait l’être autant sur le versant politique. La question se pose.
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