David Gilmour au château de Chantilly, superbe et contemplatif

Il n’est plus nécessaire de présenter Pink Floyd. On ne vous fera ainsi pas l’affront de vous présenter leur album qui a révolutionné le rock psychédélique des années 70 (indice: celui avec le prisme), ou même d’introduire une énième fois ses membres. Car, Pink Floyd enterré, les différentes parties de la formation ne sont pas pour autant restées en inactivité; c’est ainsi qu’à l’occasion du Rattle That Lock World Tour 2016, le légendaire David Gilmour a posé ses valises le temps d’une soirée dans le prestigieux cadre du château de Chantilly pour une soirée riche en émotions. Récit.

C’est à 18h45 et au fil d’un long parcours dans les rues étroites et bouchées de Chantilly que nous arrivons enfin aux abords du château où se tient le concert de ce soir. Entouré d’étendues d’eau, architecture élégante, écuries de Chantilly au loin; le décor est somptueux, mis en valeur par le beau temps, de circonstance. Un tour au parking, aménagé pour l’occasion, et c’est le début d’une longue attente pour prétendre réussir à pénétrer le site: ainsi, les queues convergentes et les fouilles renforcées ralentissent le rythme de passage des spectateurs et éprouvent les nerfs des moins patients. Finalement, nous réussissons à enfin rentrer à 20h15, laissant derrière nous une file encore interminable de personnes, qui rateront sans doute le début du show, programmé à 21h.

Une rangée d’escaliers plus tard, le château de Chantilly sur notre gauche, nous y voilà: une grande esplanade, simplement occultée par la régie son, mène droit à la scène, équipée d’un gigantesque écran circulaire affublé de projecteurs. Les plus fortunés se dirigent vers les gradins, positionnés dans l’escalier descendant menant à l’esplanade, et nous nous positionnons au milieu de la foule, à une raisonnable centaine de mètres de la scène, non sans une certaine impatience. 21h: les roadies s’affairent encore sur scène, accordant les instruments, ajustant les lumières. Le temps passe. Passe. 21h15. Aucune musique de fond. 21h30. Des bruits d’ambiance, étang, rails, végétation. C’est finalement aux alentours de 21h40 qu’une voix résonne à travers les enceintes et explique qu’au regard des attentats s’étant produits à Nice 2 jours plus tôt, David Gilmour, la production et Chantilly souhaitaient observer une minute de silence en hommage aux victimes. La foule se fait silencieuse, et applaudit longuement à l’issue de cette minute. Et enfin, voilà l’heure pour David Gilmour de monter sur scène.

Il apparait sur l’immense scène posée à côté du château de Chantilly, tout sourire du haut de ses 69 ans, bedonnant, le crâne presque totalement dégarni. On ne peut s’empêcher de repenser au Gilmour de l’époque du Floyd; un vent de nostalgie souffle sur la foule. Le guitariste ouvre le concert avec 3 compositions de son nouvel album: 5 A.M., Rattle That Lock (le surprenant single construit sur le jingle SNCF) et Faces Of Stone. Les projecteurs autour de l’écran circulaire émettent coup à coup les couleurs bleu, blanc et rouge. Le son est impeccable, les musiciens (basse, guitare acoustique, claviers, batterie, chœurs, saxophone et j’en passe) sont au diapason, et Gilmour peut à son aise faire retentir ses superbes solos, poussant ses cordes à l’extrême, mais toujours avec une précision incomparable. Un léger problème technique le force à poser sa guitare à la fin de Rattle That Lock, mais cela ne l’empêche pas d’en rire et d’esquisser quelques pas de danse inspirés en attendant l’intervention du roadie. Mais ne nous voilons pas la face: si le public est là ce soir, ce n’est pas tant pour les compositions personnelles de Gilmour, très agréables au demeurant, mais bien pour entendre encore une fois l’âme du Floyd respirer en live, vivre les solos qui ont bercés tant de jeunesse. Et l’attente sera comblée.

C’est ainsi qu’au fil de la soirée et des presque 3 heures de concert du guitariste, 14 morceaux de Pink Floyd seront interprétés, des classiques de Dark Side of the Moon et de Wish You Were Here aux inspirées compositions de The Division Bell. Découpé en 2 parties, le set permet à David Gilmour de placer, durant la première partie, les imparables What Do You Want From Me, Wish You Were Here et sa 12 cordes, Money et sa basse, High Hopes et sa cloche, et The Great Gig in the Sky et ses solos de choristes prompts à donner des frissons à n’importe quel réfractaire. C’est d’ailleurs à l’issue de ce morceau que David Gilmour prendra la parole pour s’excuser de leur retard, évoquer la tragédie des attentats et espérer plus d’égalité, de fraternité et évidemment de liberté.

L’entracte se fait bref, quelques malins tentent de jouer des coudes pour mieux se positionner, et le guitariste revient pour envoyer One of These Days, Shine On Your Crazy Diamond, Fat Old Sun, Coming Back To Life, Sorrow; on ne sait plus où donner de la tête. Les jeux de lumières se font inspirés, l’écran géant diffuse de superbes images et s’amuse à capter la progression de Gilmour sur le manche de sa guitare comme pour tenter de décortiquer chaque transcendant solo (et dieu sait qu’ils sont légions), de fortes effluves de joints remontent à l’odorat des spectateurs… Les heures filent mais le temps parait suspendu dans l’enceinte du château de Chantilly. Le set est d’une beauté et d’une puissance évocatrice folle, et le son de guitare de Gilmour n’a pas pris une ride, apte à ramener chaque auditeur au beau milieu des années 70, qu’il les ait vécu ou pas. Quelques sympathiques compositions personnelles émaillent le set, mais ce sont bien les chansons du Floyd qui sont accueillies avec le plus d’enthousiasme et laissent au public la plus forte impression. Après un Run Like Hell aux jeux de couleurs kaléidoscopiques et aux guitares coups de poing, le musicien s’esquive après nous avoir généreusement remerciés.

Mais c’est sans compter sur un ultime rappel que nous réserve le guitariste. Métronomes, horloges et orgues ambiants résonnent: est venue l’heure de Time, imparable classique sur lequel la voix et le jeu de guitare de David Gilmour n’ont pas pris une ride, malgré ce temps, enlevé, disparu, échappé; 46 ans exactement depuis la sortie de ce classique. En grandiose morceau de clôture, le musicien nous réserve un dantesque Confortably Numb, amené par une nuée de lasers. Orphelin de Waters, c’est au clavier de se charger des couplets en écho, pour mieux laisser le chant de Gilmour nous bercer sur les refrains, vague après vague, et laisser éclater sa guitare sur les deux flamboyants solos, qui témoignent encore de la maîtrise du guitariste. La mélodie est superbe, intemporelle, le solo de clôture fait écho en chacun, susceptible de tirer des larmes aux plus renfermés. C’est au terme de ce solo d’anthologie que Gilmour nous remercie une ultime fois, modeste, humble, et quitte la scène.

C’est au tour du public, fourbu, de quitter l’esplanade, au terme d’un parcours du combattant, qui demandera ensuite une heure d’attente pour prétendre pouvoir sortir du parking. Mais tous ces détails techniques n’ont que peu de considération face au spectacle qui s’est déroulé devant nos yeux: si certains peuvent reprocher un concert trop peu participatif et peu grandiose par rapport à ce que le Floyd avait pu fournir, notamment sur la tournée Pulse, reste que David Gilmour a ressuscité en l’espace d’une soirée l’âme d’un groupe et d’une période musicale jusque-là enterrée, et a su faire vibrer le corde sensible en chacun de nous avec des solos éblouissants, resplendissants. Gageons que le château de Chantilly en tremble encore.

http://www.davidgilmour.com/rattlethatlock/

1 Comment

Post A Comment