L’électro British, la nouvelle pépinière à talents ?

2017 commence très fort avec le retour attendu de deux monstres de l’électro britannique : Bonobo et The XX. Un peu comme l’arbre qui cache la forêt, ces deux poids lourds représentent les fers de lance d’une scène fertile jouissant de forts potentiels au même titre que la French Touch et l’école new-yorkaise. Ces sorties sont l’occasion de nous plonger dans le grand bain de ce genre musical qui se trouve au croisement de diverses cultures. 

 

The XX : de l’obscurité vers la lumière

En l’espace de trois albums, The XX est passé de l’obscurité à la lumière. Leur dernier disque fraichement paru, I See You, les libère de la torpeur de gamins un peu perdus caractérisant leurs débuts. Avec une production plus chatoyante, cet opus au titre évocateur marque une rupture avec la froideur ; la noirceur du passé s’étant estompée pour laisser place à l’amour et la joie.

La rencontre entre Oliver Sim et Romy Madley-Croft remonte à leur plus tendre enfance mais c’est en 2005 que le groupe prit réellement forme avec Jamie Smith (alias Jamie XX) et Baria Qureshi. Bercés depuis toujours par les sons de Siouxsie and the Banshees, The Cure, CocoRosie ; le quatuor décida d’enregistrer ses premier essai à l’anonymat suggestif lors de sessions nocturnes comme pour pousser la pénombre de leurs compositions à son paroxysme.

Les rythmes basiques, les guitares fugitives et les basses lancinantes amenèrent la sobriété escomptée, proche de la musique minimaliste. Très bien accueilli par la critique, le disque révéla le désormais trio au grand public et illustra de nombreux supports médiatiques et télévisuels ; ce qui ouvrit une voie royale à son successeur Coexist en 2012. C’est à coups de bribes de dubstep et de trip-hop que leur mixe de cold wave des années 80 et de pop arty perdurait cette fois-ci.

Le troisième volet de leur saga marque le passage à la maturité. L’évolution opérée avec I See You, aux connotations plus légères, plus groovy et dances, témoigne du grand talent et de l’affirmation des britanniques. S’avouant être des fans des Kills, nous pouvons même imaginer que cette formation n’en a pas fini de nous surprendre. Affaire à suivre…

Crystal Fighters : un melting-pot complètement déjanté

Au moment de l’explosion de The XX, émergea aussi le premier album d’un nouveau groupe anglo-saxon puisant son inspiration dans la dance progressive, le folklore, le punk espagnol et l’électro expérimentale. En effet, aux antipodes de ses confrères, l’extravagance affichée par Crystal Fighters dénotait franchement.

Star of Love était un melting-pot novateur, rythmé aux sons des txalapartas, percussions traditionnelles basques. De plus, sa furie retranscrivait la rébellion et la folie d’une jeunesse voulant trouver un exutoire dans une Espagne frappée par la crise.  Le positif de cet opus était une sorte de remède salvateur, un peu comme l’est un Doliprane le lendemain d’une cuite.

La légende veut que le nom du groupe soit issu d’un manuscrit d’un opéra basque écrit par le grand-père de Laure, l’une des vocalistes. Finalement, l’aventure commença en 2007 autour de Sebastian Pringle (chant, guitare), Gilbert Vierich (programmation, guitare, percussions), Graham Dickson (guitare, percussions), rapidement rejoints par Laure Stockley et Mimi Borelli entre instruments atypiques et clins d’œil ancestraux.

Fondateur de leur propre label Zirkilo en 2009, le deuxième opus Cave Rave poursuivit dans la même direction artistique. Malgré la disparition de leur batteur Andrea Marongiu, ils sont revenus tout en gardant le même esprit festif et créatif, en octobre 2016 avec Everything Is My Family.

Enfin, avouant avoir beaucoup écouté Klaxons, Animal Collective, Frank Zappa et la dub de MF Doom ; Crystal Fighters a réussi à générer une image forte et un style fédérateur.

Bonobo : le downtempo suprême

Subtile et céleste, voilà comment on pourrait qualifier la musique de Bonobo. De son vrai état civil Simon Green, ce bassiste originaire de Brighton a développé un goût prononcé pour les techniques de sampling et d’enregistrements dans sa chambre d’adolescent.

C’est sous le pseudo Bonobo qu’il signa en 1999 le morceau Terrapin avant de sortir sa première réalisation Animal Magic. Entièrement autoproduite, il y joua la quasi-totalité des instruments, tout comme sur le disque suivant Dial ‘M’ for Monkey. Son inspiration est issue du hip hop et trip hop mais rapidement, le solitaire Simon voulut enrichir ses samples. Il s’entoura de voix féminines, Bajka et Fink, sur Days to Come en 2006. Ainsi, il sublima sa musique et l’étoile Bonobo était lancée à la conquête de nouvelles constellations.

Un nouveau cap fut franchi en 2013 avec The North Borders. Son downtempo aux lignes de basses abyssales s’ornait d’arrangements soignés et de somptueuses mélodies. L’artiste prouvait qu’il avait toujours bon goût en s’entourant du folkeux Grey Reverend et de l’américaine Erykah Badu. Les frontières étaient repoussées et son électronique lorgnait par moments sur le classique et la soul.

Sa dernière œuvre Migration  confirme une electronica qui se veut maintenant luxuriante, spirituelle voire universelle. Cette pépite est chargée d’émotions nourries de ses voyages, de ses rencontres et de sa nouvelle existence à Los Angeles ; un peu comme si Simon Green avait placé la vie migratoire au cœur de sa compréhension du monde extérieur et de la musique.

A l’écoute de ses albums feutrés, il est difficile de se douter que le jeune quarantenaire fut dans sa tendre jeunesse, un skater rebelle écoutant Dead Kennedys et d’autres groupes de neo-hardcore. Mais en se forgeant une culture cinématographique, il découvrit Ennio Morricone et Bernard Herman, chefs d’orchestres et compositeurs pour Sergio Leone, Alfred Hitchcock et Martin Scorsese ; on comprend mieux l’éclectisme de l’anglais. Il n’est d’ailleurs pas surprenant que l’univers de Bonobo trouve une certaine affiliation avec celui de Craig Armstrong. En attendant de voir son appellation de chimpanzé à l’affiche de grands écrans comme ses idoles, Bonobo nous surprend toujours avec sa musique.

Beyond The Wizards Sleeve : les vieux briscards

Dans la catégorie ‘groupe ultra confidentiel de la scène électro anglaise’, Beyond The Wizards Sleeve aurait sa place parmi les nominés.

Derrière cette bizarrerie, se trouvent deux vieux briscards : Erol Alkan et Richard Norris. Perfectionnistes jusqu’au bout des doigts, les deux hommes bien que travaillant ensemble depuis une décennie, n’ont sorti leur premier album original The Soft Bounce qu’en juillet 2016.

Le premier activiste, Erol Alkan, possède plusieurs cordes à son arc puisqu’il est DJ, producteur, créateur du label Phantasy Sound. Egalement gérant du Trash Club à Londres, il accueillit Death From Above 1979, Peaches, Klaxons, Crystal Castles ou encore Bloc Party dans son antre. Par conséquent, profitant de ces pointures, il tomba dans le monde du mixe et devint un expert dans le mashup sous les identités de Mustapha 3000 ou de Kurtis Rush. Dès lors, avec ses titres de ‘DJ Of The Year’ en poche, le célèbre club Fabric à Londres et d’autres scènes étrangères lui ouvrirent leurs portes.

Richard Norris, le deuxième prestidigitateur, est à la fois producteur, arrangeur et musicien. Natif aussi de Londres, il évolua dans une formation punk à l’adolescence et sortit même 2 singles en 1980. Quelques années plus tard, il devint le manager du label psychédélique britannique Bam Caruso avant de rejoindre l’équipe rédactionnelle de NME. De plus, en compagnie de David Ball, un des membres originels du groupe synth-pop Soft Cell connu pour son succès Tainted Love, il forma The Grid. Ce duo plaça une dizaine de hits dansants entre 1990 et 1995 dans les charts britanniques.

Ami de Joe Strummer, le leader des Clash, il participa au lancement de son ultime aventure The Mescaleros. En outre, Richard Norris travailla sur divers projets dont ‘The Time and Space Machine’ mêlant musique et mode et officia régulièrement en tant que DJ à différents festivals dont le légendaire Glastonburry.

Fort de ces expériences individuelles, leur unique album The Soft Bounce est un bon concentré de rock psyché, de pop synthétique, d’électronique ambiante et de réminiscences alternatives. La richesse de ce disque ratisse large en termes d’influences : on pense forcément à James Murphy, Tame Impala, ou encore Archive. Avec ce tour de passe-passe s’apparentant à un exquis élixir sonore, nos deux magiciens ont réussi à brouiller les pistes.

Formation : les jeunes loups

Nominé en 2016 pour le NME Awards du meilleur nouvel artiste aux côtés de l’élu Rat Boy ; le quintet originaire de Londres est une révélation à surveiller de très près. En attendant la sortie de leur premier album Look At The Powerful People prévue dans les bacs le 03 Mars 2017, Formation se définit comme un mélange d’électro-dance et de post-punk, martelé à grands coups de grooves discos.

En effet, leur attitude punk dénote et rafraichit franchement le paysage de ce registre. Cherchant leurs inspirations chez des artistes tels que John Maus, Fugazi, David Bowie, Iggy Pop et Ornette Coleman ; on comprend mieux l’énergie dégagée lors de leurs prestations lives et l’engouement général à leur encontre. L’intensité de leurs shows est aussi due à un apprentissage acquis lors de leurs premières parties de Foals avec son leader charismatique Yannis Philippakis.

L’avenir prometteur qui leur semble promis, est certes basé sur quelques morceaux disséminés jusqu’à présent ; mais quels titres, vous me direz ! A l’écoute de All The Rest Is Noise, Pleasure ou de Powerful People ; il est difficile de ne pas être interpellé par ces refrains accrocheurs, bien ficelés tout en tapotant du pied.

Formation est composé des deux frères Ritson, Will aux vocaux et Matt aux synthés, mais aussi de Jonny Tams à la basse, de Kai Akinde-Hummel à la batterie et de Sasha Lewis aux synthés. Ces londoniens sautillants semblent donc avoir tous les atouts pour combler la place vacante dans ce créneau depuis le split des new-yorkais de The Rapture ou de poursuivre dans la lignée d’un LCD Soundsystem. Verdict en mars prochain…

Hot Chip : de l’école avec Four Tet à la consécration

Si certaines écoles doivent leurs prestigieuses renommées à la qualité de l’enseignement dispensé, d’autres se distinguent plutôt par les célébrités qui ont défilé sur leurs bancs. C’est le cas notamment de l’Elliot School à Londres où ont gravité les futurs The XX, Burial, The Maccabees et Four Tet. 

C’est donc là-bas que tout a également commencé pour Hot Chip. Les deux fondateurs Alexis Taylor et Joe Goddard se lièrent d’amitié avant de faire la rencontre influente avec Kieran Hebden. Le mentor leur fit découvrir ses vinyles, leur amenant une palette d’influences variées ; de New Order à The Stone Roses, en passant par Aphex Twin, My Bloody Valentine mais aussi Joe Jackson et Ray Charles.

Pour la petite anecdote, ce discret Hebden officia dès l’âge de 16 ans au sein de Fridge avant de se lancer sous le pseudo Four Tet. Ses nombreuses collaborations et son électro ambiante incorporant le hip hop, le jazz et la folk lui permirent une reconnaissance du milieu. Héros caché de Radiohead, Four Tet fut souvent crédité par la bande de Thom Yorke, avec laquelle il partagea leur tournée en 2003 et remixa le titre Scatterbrain entre autres.

Mais revenons à nos deux jeunes: cette émancipation sonore les amena à l’expérimentation électronique sur ordinateur et leur inculqua un dépassement permanent.

Accompagnés de Felix Martin, Owen Clarke et Al Doyle ; les anglais formèrent Hot Chip en 2000. Leures premières réalisations Coming on strong et The Warning tranchèrent avec les productions ultra travaillées de l’époque. Leur électro-pop éthérée reposait sur des nuances de soul, le tout posé sur une rythmique basique et rétro-futuriste.

Le succès d’estime du premier disque leur permis d’intégrer le label américain DFA Records  de James Murphy ; tandis que le deuxième essai fut élu album de l’année par le magazine MixMag en 2006. Une approche plus directe apparut dès lors avec Made in the Dark.

Finalement entre 2010 et 2016, 3 albums parurent avec un constant effort de recherches : One Life Stand aux couleurs kitsch et au son très 1980, In Our Heads avec ses compositions résolument acidulées et le dernier né, Why Make Sense? , un condensé de tout ce savoir-faire.

 

EDEN : le renouveau d’Irlande

Serait-ce son climat, ses paysages verdoyants ou encore ses pubs… mais l’Irlande a toujours regorgé de talents monstrueux dans tous les registres musicaux : de Sinead O’Connor aux Waterboys, sans oublier Hozier plus récemment et évidemment les méga-stars de U2.

Avec de tels repères, il n’est pas étonnant que Jonathon Ng ait ressenti à son tour, une envie de faire connaître sa musique. Au-delà de ces considérations de reconnaissance secondaire, force est de constater que ce jeune homme a un énorme talent.

Tout commença à Dublin, d’où il est originaire. Grâce à ses parents, il apprit le violon à l’âge de 7 ans et se découvrit un don pour l’apprentissage des instruments. Décidé à ne pas s’arrêter à cette formation classique, il se mit au piano et à la guitare en pur autodidacte. Finalement, ce doué forma en 2013 The Eden Project mixant le dubstep à une électro pop.

Plutôt fertile, ce projet donna naissance à plusieurs remixes et pas moins de 40 morceaux. Vivant avec son temps, le jeune utilisa efficacement les réseaux sociaux pour diffuser largement sa musique. D’ailleurs, son titre Fumes a accumulé plus de 10 millions de vues, rien que ça ! Mais le petit prodige ne voulait pas en rester là et il évolua rapidement vers un style plus orienté indie pop au croisement de 1975 et de Calvin Harris.

C’est ainsi qu’il adopta le nom d’EDEN en avril 2015. Depuis, un combo de 2 EPs, End Credits et I Think You Think Too Much Of Me, a vu le jour. A l’écoute de ces disques, le dublinois est sur la rampe de lancement vers le succès et nous avons vraiment hâte d’écouter son premier album. Wait and see…

En conclusion à ce dossier, nous pourrions prendre le risque de galvauder l’électro une énième fois, en voulant lui coller une définition. Nous nous épuiserons en vain, alors à quoi bon cette mauvaise tentation?!

Ces portraits sont la preuve que ce genre musical est la genèse de richesses et de métissages stylistiques variés.

Les remixeurs et autres Djs, longtemps perçus comme des pilleurs ou des bidouilleurs de seconde zone, sont désormais considérés comme des artistes à part entière. Leurs œuvres cassent les codes et représentent finalement le trait d’union entre un passé bien rangé et un avenir totalement ouvert. Inclassable pour longtemps, cette musique…

 

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