05 Mar Sleaford Mods – English Tapas
Vous n’êtes probablement pas prêts, mais eux le sont: les Sleafords Mods reviennent distiller du poison dans le thé anglais avec leur nouvel album.
La musique des Sleaford Mods est bien plus qu’un simple gadget, c’est un véritable art qui n’a nul autre semblable. Libérés de tout carcan, engoncés dans un je-m’en-foutisme absolu et dotés d’un regard acéré et sans pitié sur la société, les deux musiciens ont dévoilé et installé leur son au fil d’albums et EPs uniques et imparables. Et ils sont de retour avec un nouvel album, sur un nouveau label. Quid alors de ces nouveaux morceaux?
Le moins que l’on puisse dire, c’est que le duo ne s’est pas moqué de nous. On retrouve la patte qui a fait Sleaford Mods, de ces beats minimalistes et frondeurs à ce chant/phrasé mi-parlé mi-rappé condescendant et jouissif. Le duo n’est pas là pour se faire des amis ou pour prendre des gants. Les deux amis éructent, frondent, dénoncent, se moquent, et tout English Tapas prend la forme d’un numéro d’assassinat forcément jouissif, d’un carnaval déjanté de nulle autre mesure.
Bien évidemment, se limiter aux rythmes construits par Andrew Fearn serait terriblement réducteur. Plus que jamais décoratifs, ils se résument à quelques lignes de basse, parfois de piano, avec quelques ajouts sonores bienvenus venant appuyer les textes. Car finalement, c’est bien pour cela que l’on attend le retour de Sleaford Mods avec excitation: pour plonger dans l’esprit torturé de Jason Williamson et son regard sur tous les sujets possibles et imaginables, de la mort de la chaîne de magasins BHS aux parcs d’attraction en passant par le paysage musical actuel, descendant le Brexit et les vieux connards fantasmant sur des modes de pensée désuets en taclant au passage la coupe de cheveux de Boris Johnson.
Ainsi, Sleaford Mods ne s’attardent pas à prendre la vaseline et viennent caler de nombreux kicks dans les rotules sans préavis. Se lancer dans English Tapas innocemment ne peut qu’être une douloureuse partie de non-plaisir. Car cet album n’en est pas un: de l’aspect musical il n’en garde que la substantifique moelle, s’en servant comme prétexte plutôt que comme réel outil. English Tapas est, sous couvert de toutes les apparences, un pamphlet, un défouloir monstre pour Fearn et Williamson.
« They call me Dyson, I fucking clean up » balance le duo sur l’ouverture Army Nights. « You like music that much then start fucking listening to it » éructe Jason sur Snout. Résumer cet album à des punchlines serait tout aussi réducteur que de se limiter à ses beats, le duo profitant de ces espaces musicaux pour conter histoires et brefs constats plutôt que de chercher le mot qui fâche ou la rime qui tue. Vulgaires, sales, méchants: les Sleaford Mods n’en ont rien à foutre.
Mais prendre le duo pour deux gros bourrins serait une terrible erreur. Certes, le flot continu de paroles et l’aspect gadget de la musique peut faire apparaître la tentante envie de rejeter le duo de toutes ses forces en se moquant de leur hypothétique bas respect à cet art qu’est la composition. Mais une métaphore filée apparaissant au cours de l’impressionnant Drayton Manored remet tout en perspective.
« Human beings are now adjacent lines
Like a tube map, or whatever
A mass of lines that occasionally cross each other
But never say anything
Ever, ever, ever, ever, ever, ever«
A lui seul, ce segment synthétise tout ce qui fait Sleaford Mods. Un regard cynique sur la société, une métaphore intelligente, un découpage rusé et un ras-le-bol décalé palpable et jouissif. Le tout sur des beats matraqués, usés jusqu’à la corde, épuisés et inarrêtables.
Bien évidemment, le voyage n’est pas recommandé à tout le monde. Au-delà de l’exercice indispensable que représente l’étude en profondeur des paroles de cet effort, l’aspect musical peut être sujet à rejet pour les moins patients. Tout dépend du degré d’investissement que vous êtes prêts à mettre dans le nouvel album de la formation la plus singulière du paysage britannique actuel. Le punk est mort, vive Sleaford Mods.
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