22 Jan England Is Mine : aux origines des Smiths
Loin des biopics classiques et des adaptations autobiographiques bancales, England Is Mine est avant tout un portrait étonnant mais honnête de la tête pensante des Smiths. Il voulait le monde entier, l’Angleterre est venue à lui. Critique.
Steven Patrick Morrissey. Qu’importe le personnage, on a tous au moins une fois entendu sa voix, ce timbre si particulier. Chaude, portant parfois dans les aigus, mais surtout révélatrice du potentiel musical immense de son maître. Et pourtant, c’était plutôt mal parti… Comment, au départ de la banlieue de Manchester, Steven s’est-il transformé ? England Is Mine défend son sous-titre avec ingéniosité : « Steven before Morrissey ». Et c’est vrai, force est de constater que le long-métrage n’est pas le biopic que l’on attend, du moins que l’on redoute.
Mark Gill, qui signe aujourd’hui pour la première fois en tant que réalisateur et qui avait enchaîné, jusque là, les boulots de producteurs (Hitman & Bodyguard, Mr Nobody, Paperboy…), est à l’image de son protagoniste. Le film traite de l’assurance comme de la confirmation : jusqu’où sommes-nous prêts à aller pour réaliser nos rêves ? La musique est-elle un gouffre inévitable dans lequel plongent les adeptes tête la première ? Sous un format plutôt court (pas plus d’1h30) England Is Mine répond avec sobriété et montre d’abord, sans filtre, la vie d’un adolescent perdu dans le conformisme qui ne lui sied guère.
There Is A Light That Never Goes Out
Il a toujours été difficile de complètement cerner Morrissey. Ses morceaux, souvent poétiques, déconstruisent encore aujourd’hui son parolier et fonctionnent comme des bribes d’une oeuvre qui s’appréhende dans son entièreté. Si on peut espérer trouver des réponses dans England Is Mine, c’est avec subtilité. Mark Gill film un Steven introverti (campé par Jack Lowden, impeccable), mais possédé par la plus radicale des idées : la musique. Plus qu’une passion, Steven ne peut plus travailler, flirter, penser… Il compose sans arrêt et se bâti son propre mur contre le monde extérieur. Les personnages gravitent autour de l’histoire de Steven, sans jamais le perturber.
Steven est différent, il mythifie son propre talent car il n’a pas confiance en lui. England Is Mine a beau être un film prémonitoire, il n’est pas aisé de se convaincre, au bout d’une heure, que Steven formera l’un des groupes les plus reconnus du rock anglais.
Dans l’économie de sa mise en scène (une seule scène de concert, où l’on entendra d’ailleurs Steven chanter pour la première et dernière fois !), le film s’attarde avant tout sur la personnalisation. La conscience, la malchance aussi, forment l’antagoniste parfait. L’épreuve à surmonter. Mais la roue tourne, l’espoir fait vivre.
Proposant une esthétique léchée, le film, évolue avec son personnage. Les couleurs sont nées froides, les plans sont d’abord hésitants. Au fil du voyage introspectif de Steven, la réalisation se fait plus assumée, d’autant plus maîtrisée. Steven change : il se coupe les cheveux, coupe les ponts avec ses démons, s’attarde sur les amitiés qui lui sont chères (le passage en référence au morceau Girl In A Coma, saisissant). Il y a une entité qui l’aura suivi tout du long : sa chambre. « Ce papier-peint immonde » comme lui fait remarquer sa mère. Ses vinyles, qu’il propulsera d’un acte enragé contre le mur, cette machine à écrire qu’il rouillera de ses doigts… England Is Mine démontre un Steven qui, au fond, a toujours été Morrissey. Il n’est pas question d’un deuxième personnage.
Vient le moment véridique d’une rencontre, qu’on ne vous dévoilera pas (difficile, malgré tout, de ne pas la deviner) mais qui changera la donne. Qui, dans sa simplicité juvénile, vaincra tout les obstacles : le désir de composer, de mûrir sa musique et de la voir grandir, s’émanciper. The Smiths est né dans un 10m².
England Is Mine, un film de Mark Gill, avec Jack Lowden, Jessica Brown Findlay, Jodie Comer…
En salles le 7 février 2018.
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