08 Mar EDITO // Parité homme/femme sur les affiches de festival : peut-on changer la donne ?
C’est un sujet qui revient chaque année à la période où les affiches de festivals fleurissent un peu partout : le problème de la parité parmi les artistes programmés. Chaque saison, on se surprend à espérer voir un peu de progrès, un chiffre qui tend vers le 50/50 mais chaque saison nous déçoit, que cela soit en France ou à l’international. En cette journée internationale du droit des femmes, les rédactrices de SOB ont décidé d’aborder ce sujet plus en profondeur.
Un peu plus tôt le mois dernier, le TRNSMT festival de Glasgow révélait son line-up et provoquait dans la foulée une réponse acerbe et immédiate sur les réseaux sociaux. La raison ? Les têtes d’affiche – Stormzy, Catfish and the Bottlemen et George Ezra – et la dominance masculine dans la globalité de la programmation. Un peu ironique quand on sait que le patron de DF Concerts, Geoff Ellis, avait publiquement reconnu vouloir encourager la représentation féminine sur ses festivals.
DF Concerts boss, geoff ellis, says he wants the music industry n fans to recognise the lack of women being represented at festivals/gigs etc. then DF announced trnsmt only which features 10 female artist this year. ?¿?¿ pic.twitter.com/Qhsc1NSZqh
— connah ⎊ (@thatguyconnah) 18 February 2019
Suite à cette réaction, Ellis, contacté par le média anglais NME, a répondu. Il explique que de multiples raisons peuvent mener à ce résultat, la plus grosse contrainte étant les problèmes d’agenda, par exemple Florence + The Machine ou CHVRCHES étaient déjà bookées en tant que headliners sur les Summer Sessions de Edimbourg. Il poursuit en disant qu’il offre une plateforme aux artistes féminines en développement « Nous avons eu Sigrid sur la scène de KingTut’s (ndlr : petite scène du festival) l’année dernière, mais cette année elle joue sur la grande scène« . « Si vous regardez la plupart des festivals autour du monde, les programmations seront dominées par les artistes masculins parce qu’il y a plus d’artistes masculins que d’artistes féminines – c’est un fait – et il y a quelque chose à faire autant du côté de l’industrie que des fans« , déclare-t-il. Il nous est difficile de ne pas hausser un sourcil suite à ce propos, surtout après avoir écouté notre (longue) playlist uniquement composée d’artistes britanniques.
Mais cela est un problème loin d’être propre au Royaume-Uni comme vous pouvez le constater sur le petit montage que nous avons fait des affiches des principaux festivals français. Voilà ce que ça donne à peu près si l’on ne laisse que les artistes féminines et/ou groupes avec au moins une femme :
Mais si les programmateurs semblent conscient.e.s de ce phénomène, pourquoi n’y a-t-il pas, ou très peu, d’évolution vers une parité des artistes sur les affiches de nos festivals préférés ?
Recherchant la source du problème, Noisey a rencontré Ben Anderson. Il travaille à l’agence de booking Musicalize et est à la tête de la programmation d’un showcase SXSW, le fameux festival se déroulant annuellement à Austin. Son point de vue sur le sujet est basé sur le fait que « les artistes femmes en particulier ne font tout simplement pas le même chemin dans l’industrie musicale de la même manière que les hommes le font« . En effet, peu de femmes ont du succès en même temps mis à part lorsqu’il s’agit de pop plus mainstream. L’industrie en elle-même est défavorable au succès des femmes artistes.
La sous-représentation des femmes est extrêmement marquée avec des chiffres qui choquent, mais ne changent pas. Selon Women in Music, entre 2012 et 2018, 90% des nommé.e.s au Grammy’s étaient des hommes. 22% des interprètes des 600 chansons les plus populaires entre 2012 et 2017 étaient des femmes et seulement 12% des auteur.e.s de ces chansons étaient des femmes.
Les femmes ne reçoivent pas le même traitement que les hommes en ce qui concerne leur promotion et mise en avant vers une grande carrière. Les équipes de promotion mettent clairement un effort moindre quant au développement des carrières féminines.
L’hypersexualisation des femmes dans l’industrie musicale est aussi une cause du problème. Les femmes sont considérées pour leur corps, laissant dans l’ombre leur talent et musique. Cela enchaîne de plus sur une mise en compétition des femmes. Alors que les hommes collaborent entre eux, les femmes sont systématiques comparées et donc lorsque l’une monte, l’autre voit sa carrière ralentir. Selon la BBC en 2018, aucune des chansons du top 100 n’a été une collaboration de deux ou plusieurs artistes féminines.
Tous ces problèmes entraînent un choix restreint pour les bookers qui eux, choisissent les headlines en fonction de la popularité de chaque artiste.
Que faire pour que les femmes soient enfin mise en valeur dans ce secteur encore très patriarcal ?
Face à l’ampleur du problème, des actions sont menées par divers acteurs et actrices du milieu pour contrer cette tendance de la manière la plus radicale possible.
Ainsi, la musicienne Brandi Carlile a décidé d’organiser en janvier dernier un festival avec une programmation uniquement féminine : Girls Just Wanna Weekend. Quatre jours de concerts au Mexique dans un Hard Rock Hotel, avec une formule all inclusive pour profiter d’une pause ensoleillée en plein hiver : le rêve ? C’est ce que certains aiment penser, pourtant, on remarque un ostracisme. Au lieu d’essayer de se battre pour investir les festivals déjà existants et dominés par les hommes, on contourne le problème pour créer un lieu dédié à la création féminine. Certes, l’objectif est de montrer que les femmes font vendre et qu’on peut les programmer tout en étant rentable. Le risque reste quand même que les organisateurs de festivals, voyant que ces initiatives “risquées” existent, les laissent proliférer et se concentrent sur les artistes “sans danger”.
Par ailleurs, l’un des problèmes est aussi que le public ne connaît pas ces artistes féminines. De fait, des festivals comme Girls Just Wanna Weekend ne les intéresseront pas et ils n’y iront alors pas. Le problème est le même pour les scènes uniquement féminines dans les festivals. Après s’être fait critiqué pour sa programmation très masculine (à 92%), le Wireless Festival a décidé, l’année dernière, d’ajouter une scène totalement féminine avec 25 musiciennes. Il devient alors très facile pour le public qui ne souhaite pas voir de femmes performer de les éviter. Plusieurs raisons peuvent expliquer cela : le sexisme, le fait que les performeuses sont moins connues, qu’elles sont considérées dans l’imaginaire collectif comme moins bonnes, etc. C’est un peu le serpent qui se mord la queue.
Le problème semble alors insolvable, mais il ne faut pas être défaitiste. Ces actions sont à saluer et semblent malheureusement nécessaires dans l’état des lieux actuels pour que des femmes puissent avoir la chance de se produire en festival. Néanmoins ce ne sont que des solutions à court terme et il faut impulser des mesures qui pourront changer en profondeur l’industrie musicale. C’est déjà le cas avec l’initiative Keychange de la Fondation PRS suivie par 45 festivals dans le monde.
Le manque de parité au niveau des festivals commence effectivement à faire réagir, et des opérations telles que le projet Keychange se mettent en place. Ce dernier (monté par la fondation PRS) a pour visée de rétablir une certaine égalité des genres dans les programmations de festivals. L’objectif est simple : les 45 festivals participant à l’initiative (dont Great Escape, BBC Music Introducing Stages, Midem…) s’engagent à remplir la moitié de leur programmation avec des artistes féminines. Une fois pris, cet engagement est d’ailleurs simple à respecter : comme le témoigne l’équipe du festival Iceland Airwaves, il est très facile de trouver des artistes féminines à programmer puisqu’elles sont très nombreuses (malgré un manque de représentation évident). D’ailleurs, le projet Keychange n’est pas uniquement bénéfique sur l’aspect live et a des répercussions sur l’industrie musicale en général.
En effet, les professionnels du milieu présents lors de ces concerts sont à l’affût des talents de demain. Ainsi, en offrant de la visibilité aux femmes, ces festivals peuvent éventuellement les aider à se faire repérer et donc à développer leur carrière à d’autres niveaux. En revanche, ce projet est loin d’être adopté partout : peu de festivals français y participent et encore moins de gros événements importants. L’absence d’engagement à ce niveau de la part de festivals tels que Reading & Leeds peut être expliqué par le fait qu’un événement de cette envergure se doit d’avoir une tête d’affiche imposante, et la majorité des artistes à grand succès sont des hommes. Cela ne fait que révéler un problème plus important, c’est à dire que les artistes masculins obtiennent plus d’opportunités (leur permettant donc de grimper au sommet) que leurs consœurs. L’initiative de la fondation PRS est donc plus efficace pour les petits festivals qui mettent en avant des nouveaux artistes, mais pourrait mener à une égalité plus profonde dans le futur en entraînant des opportunités égales pour les hommes et les femmes suite à leur effort par rapport à la représentation. Le mainstream manque donc toujours assez largement de parité.
Toutefois, il est intéressant de noter que d’autres acteurs font pression sur les gros festivals face au manque d’égalité dans leur line-up. Effectivement, Smirnoff a fait pression sur Wireless par rapport au manque de femmes sur leur programme et cela a engendré l’ouverture d’une scène uniquement féminine.
Pourtant, ici encore, le projet Keychange porté par la fondation PRS n’est pas un exemple de solution idéale. Ces actions “coups de poings” sont nécessaires pour une prise de conscience du public, des acteurs majeurs de l’industrie musicale et impulser un mouvement, mais elles n’assurent pas un changement en profondeur des mentalités. Les premiers concernés par la parité hommes/femmes restent les responsables, programmateurs et producteurs de concerts et festivals.
Exemple frappant du manque de lucidité et de volonté sur la problématique, les déclarations répétitives de Melvil Benn (Directeur et manager de Festival Republic, l’entreprise derrière Leeds and Reading festival) qui continue de nier que le manque de têtes d’affiches féminines à leur programmation est un problème. Visiblement, de son point de vue, placer Dua Lipa tôt – plus tôt que Fall Out Boy, en tout cas – sur la scène principale du Reading festival quand elle a déjà prouvé et honoré sa place d’headliner dans d’autres festivals d’envergures (Sziget 2018) n’est pas un problème non plus.
Paradoxalement, c’est la même entreprise qui gère également le Latitude festival, dont la programmation 2018 mettait agréablement en avant Solange en tant que headliner, ainsi que Wolf Alice, Black Honey et bien d’autres. Cette année, c’est Lana Del Rey qui occupera le haut de l’affiche. Sans surprise, on retrouve une femme au poste stratégique de programmatrice: Lucy Wood. Même son de cloche du côté de Glastonbury où Emily Eavis semble faire respecter une certaine parité. Le “legend slot” de 2019 sera en effet occupé par Kylie Minogue et Janelle Monáe clôturera une soirée du festival sur la scène West Holts.
Ces constats mettent en lumière une chose: l’industrie musicale ne se réduit pas uniquement aux artistes et la parité homme/femme aux postes clefs est aussi importante que celle de l’affiche des festivals.
Pourtant, même les femmes en place à ces postes importants font face à des inquiétudes: les contraintes économiques de vente des festivals et concerts semblent plus faciles à tenir lorsque des artistes masculins, plus connus, plus populaires et donc assurant les ventes de tickets sont programmés. Toutefois, ces excuses deviennent de plus en plus superficielles à mesure que des exemples comme l’Iceland Airwaves festival, le festival Latitude ou Glastonbury montrent que la parité est compatible avec une édition réussie. Il est temps d’oser et d’afficher une volonté inflexible vers la parité homme/femme dans l’industrie musicale et plus particulièrement des festivals.
Y a-t-il une solution miracle ? Vous vous y attendez, la réponse est non. Les changements les plus drastiques doivent venir de l’intérieur, les programmateurs frileux doivent apprendre à donner leurs chances aux artistes féminines aussi tôt dans leur carrière que leurs homologues masculins, les labels doivent apprendre à pousser les campagnes et à leur accorder un budget aussi signifiant, les managers doivent apprendre à ne pas systématiquement sexualiser leurs artistes car ce n’est pas – ou plus – la clé du succès. Entant que fans de musique, nous pouvons aussi jouer un rôle, à notre échelle, que ça soit en étendant nos horizons (pour ça il y a les découvertes de SOB), en partageant nos découvertes sur les réseaux sociaux ou même en streamant le plus possible…
Des efforts ont été faits, ils doivent redoubler.
Texte par Claire Desfrançois, Diane Siméon, Laurine Payet, Clémence Molinas et Céline Guignier
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