25 Mar Le Brexit aura-t-il un impact sur la musique britannique ?
Entamée en mars 2017, la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne divise toujours un peu plus chaque jour et les artistes anti-Brexit se mobilisent.
Quand Roger Daltrey, membre fondateur de The Who, est interrogé sur l’impact grave que pourrait avoir le Brexit sur le rock britannique, le chanteur anglais se fait cash. « Non, qu’est-ce cela à avoir avec le business du rock« , tonne-t-il, avant que l’interviewer de Sky News ne lui demande si les Who tourneront toujours en Europe après le Brexit. Là, Daltrey s’agace. « Oh mon cher. Comme si nous n’avions pas tourné en Europe avant cette putain d’Union. Laissez tomber!« , balance-t-il, avant de rajouter : « Si vous voulez signer pour être dirigé par une putain de mafia, faites-le« .
The Who singer Roger Daltrey was not impressed when Sky News asked him about Brexit. pic.twitter.com/AWwX1ezQfk
— Sky News (@SkyNews) 16 mars 2019
Rock’n’roll l’ami Daltrey ? Pas vraiment. Son point de vue est celui d’un pro-Brexit, celui d’un musicien certes aguerri mais aussi blindé de tunes, et qui par conséquent, ne comprend pas les peurs des musiciens dont la carrière dépend aussi beaucoup du grand continent. C’est ce que Michael Dugher, PDG de UK Music (l’organisation qui représente des groupes industriels et est chargé de défendre l’industrie musicale britannique), avançait en novembre 2018 dans une lettre adressée à Theresa May.
« La fin de la libre circulation sans dérogation pour les musiciens va sérieusement menacer la croissance rapide de notre secteur de la musique live, qui rapporte environ 1 milliard de livres (environ 1 130 000 000 euros) à l’économie du Royaume-Uni. Les coûts administratifs onéreux que le Brexit va entraîner vont rendre les tournées absolument invivables pour les nombreux artistes qui ont besoin de gagner leur vie, et va donner un coup très dur au développement des talents britanniques à l’étranger. »
Les musiciens britanniques ne sont pas les seuls concernés
Il deviendra donc ainsi plus compliqué pour les artistes britanniques de quitter leur île pour, par exemple, aller se produire sur des scènes porteuses comme la Belgique ou l’Allemagne. En France, où Paris concentre la majeure partie des concerts d’artistes UK, le problème est le même. Des groupes ou artistes, pas certains de remplir des salles, ne prendront plus le risque. Le voyage leur coûtait déjà cher, mais l’ajout de nouvelles taxes comme un visa obligatoire et d’un droit d’entrée (un peu comme l’ESTA aux Etats-Unis) pourraient freiner bien des ardeurs.
Mais le problème n’est pas qu’à l’extérieur. Sur son propre sol, la musique britannique souffre déjà. Les cachets dans les festivals ont augmenté à cause de la chute de la livre sterling (1,17 euros aujourd’hui, 1,33 dollar américain). Les organisateurs sont obligés d’aller chercher de nouveaux fonds pour satisfaire les demandes logiques d’artistes qui ne verraient pas pourquoi ils gagneraient moins bien leur vie à cause du Brexit. Sauf que des institutions refusent des subventions, à cause de coupes budgétaires.
Et l’enfer continue lorsqu’il s’agit de faire venir des artistes étrangers. Comme dans l’autre sens, les billets d’avion ne cessent d’augmenter. Un festival ne peut pas se permettre d’augmenter un cachet d’artiste et son budget en prime pour le faire venir. Conséquence : un festival comptant la moindre livre risque fort de devoir faire l’impasse sur certains artistes étrangers, et notamment nord-américains.
Les plus petits en souffriront
Si l’industrie musicale britannique, qui représentait en 2017 quelques 4,5 milliards de dollars de chiffres d’affaire, est globalement contre le Brexit en l’état, tous ne subiront pas les mêmes conséquences. Comme nous le laissions entendre plus haut, ce sont les plus petits qui seront en première ligne, victime des directives politiques. Des coûts supplémentaires pourraient empêcher des artistes indépendants en devenir de se lancer dans une tournée trop onéreuse. Seule la solution de signer chez une major permettrait de limiter la casse et d’envisager un avenir radieux. Serait-ce donc la fin de l’indépendant à l’étranger ? Cela signifie-t-il qu’un promoteur cherchera aussi à limiter les risques en ne signant pas tel ou tel groupe, sortant l’argument qu’il n’est pas sûr de remplir des salles – là où il aurait pris le risque sans le Brexit ?
De l’autre côté de la Manche, il pourrait en être fini des jeunes artistes ou des petits tourneurs qui veulent proposer des concerts à bas prix pour rendre accessible la culture britannique, tout en rémunérant dignement les acteurs du live. Ou alors il faudra prendre des risques, à savoir augmenter les cachets et donc potentiellement le prix des places pour amortir le coût. Au risque de voir le public se refroidir et finalement refuser de débourser plus d’euros. Un cercle très vicieux.
Emergence d’une scène contestataire
Et n’en déplaise à Daltrey ou même Ringo Starr – qui s’est lui aussi affirmé pro-Brexit – Dugher est largement soutenu dans sa démarche. Celui qui exigeait des décisions fortes pour « le maintien de la liberté de travail pour l’industrie musicale » était parmi les 77% de l’industrie musicale anglaise s’opposant au Brexit, selon un sondage réalisé en mai 2017 par la British Phonographic Industry. Et cette même industrie s’est trouvée des porte-paroles.
De Shame à Spector en passant par Wolf Alice, Cabbage, Idles ou encore Slaves et Gruff Rhys, le débat sur le Brexit a vu naître des nouveaux artistes qui ont fait de ce fait d’actualité un véritable business doublé d’une philosophie de vie.
Shame et son « Visa Vulture« , Idles et le titre « Great« , Spector avec l’hymne « Born in the EU » ou encore l’album Uber Capitalist Death Trade chez Cabbage… tous sont autant d’exemples et d’égéries pour une scène contestataire qui compte bien défendre les intérêts de son industrie et l’héritage qui en découle.
Et il n’y a pas que la jeunesse dans le coup. Pour l’iconique Rod Stewart, les Britanniques « ont été dupés » par les politiques. Et de réclamer un second référendum. Geoff Taylor, patron exécutif de la British Phonographic Industry veut lui aussi un accord « fort » avec les instances européennes pour faciliter le libre circulation des individus et des biens. D’un autre côté, il y a les sceptiques, comme Chris Scott, manager général de Communion Music (la maison de Catfish and the Bottlemen et Lucy Rose notamment).
« C’est difficile d’imaginer le Brexit faire autre chose que de rendre le commerce, la communication et le voyage plus difficiles« , clame-t-il, sans trop savoir « ce à quoi le Brexit va ressembler pour nous« .
The Independent, novembre 2018
Jarvis Cocker, Ed Simmons (des Chemical Brothers) ou encore Brian Eno ont tous signé une lettre dans laquelle ils alertent et exhortent le gouvernement à ne pas commettre l’irréparable. « Nous sommes une île, mais nous ne voulons pas nous isoler« , résume parfaitement bien les signataires de cette lettre publiée par l’organisation Best For Britain.
Le Brexit, loin d’être acté ?
Entre les défenseurs d’un hard-Brexit, ceux qui veulent un juste milieu et les pro-européens qui ne voient pas comment le Royaume-Uni pourrait en sortir gagnant, on peut avoir un élan d’optimisme : le Brexit, ce n’est pas pour tout de suite. « Ou bien c’est le no-deal ou un second referendum ou des élections générales. Si les Conservateurs sont réélus, cela ne bougera pas (…) Les contradictions continuent. Tout est imprévisible. Le va et vient va continuer. C’est une histoire de plusieurs années. Si le Brexit se fait (…), le retour peut être envisagé, aussi« , expliquait Robert Frank, professeur émérite à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, spécialiste de l’histoire européenne et des relations internationales.
A en croire la tournure qu’ont pris les récents échanges entre Downing Street et Bruxelles, sans parler des différents artistes qui se décident à enfin donner de la voix, et des manifestations anti-Brexit qui se multiplient, la Grande-Bretagne pourrait se trouver dans une impasse qui pousserait ses dirigeants à faire marche-arrière…
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