02 Mai Ces producteurs qui ont marqué l’Histoire : Gus Dudgeon
Photo : Gus Dudgeon Foundation
Dans cette série d’articles, nous allons revenir sur le parcours de dix producteurs britanniques qui ont marqué l’histoire.
Qu’est-ce qu’un producteur de musique ? Contrairement au cinéma, le rôle d’un producteur n’est pas de financer un enregistrement, il intervient dans la conception de celui-ci. Son intervention est diverse et varie en fonction des producteurs et des artistes. Leur mission est de faire en sorte que les morceaux, EPs, et albums enregistrés soient les meilleurs possibles. Pour cela ils peuvent guider les musiciens, proposer des arrangements ou des nouvelles méthodes d’enregistrements, etc. Ce qui les intéresse est que le produit fini soit beau et cohérent. Après George Martin, aujourd’hui nous explorons le travail de Gus Dudgeon.
Ses débuts prometteurs
Gus Dudgeon est entré dans le monde de la musique à 20 ans et 1962 et a continué à travailler jusqu’à sa mort, en 2002. Il commence en tant que tea boy (un nouvel entrant aux missions variées avec peu d’importance) et devient ingénieur son aux studios du label Decca. Cela lui permet de travailler sur le tube de Zombies, She’s Not There en 1964. Il commence à produire en 1967 avec le premier album de Ten Years After, bien qu’il n’ait aucune formation musicale et que la table de mixage l’impressionnait. Il était néanmoins passionné par la qualité du son dans la salle de contrôle. En 1969, il devient producteur indépendant et on lui propose de produire une chanson refusée par un certain Tony Visconti : Space Oddity. Dudgeon a donc une carrière déjà bien solide à 28 ans lorsqu’il entame sa collaboration avec Reginald Dwight.
Gus Dudgeon et Elton John
Reginald Dwight, plus connu sous le nom d’Elton John, et Gus Dudgeon ont travaillé ensemble six années de suite autour des treize premiers albums de John (excepté Empty Sky, le tout premier). Puis, Dudgeon a ensuite travaillé sur Ice On Fire, Leather Jacket et Live in Australia entre 1985 et 1987. Tout comme George Martin est indissociable du « son » Beatles, Dudgeon l’est du « son » Elton John.
Elton John, c’est avant tout un piano, un instrument qui est compliqué à enregistrer. Le producteur explique en effet qu’il est difficile d’avoir les micros au bon endroit. A moins d’en avoir de nombreux alignés au-dessus du piano, la balance ne sera pas bonne. Par ailleurs, si les micros sont trop proches des cordes, il y aura des sons non-voulus dans l’enregistrement. Dudgeon trouve alors une technique propre à lui et Elton John. Il demande à un charpentier de recréer une coque de piano trois fois plus profonde à placer à l’envers au-dessus du piano. Ce dernier fait donc environ trois mètres de haut, mais offre la possibilité de mieux l’enregistrer. Dudgeon enlève le couvercle de l’original, place la coque, matelassée à l’intérieur, qui dispose de deux trous pour les micros. Ainsi, ils captent le son uniformément, sans être trop près de cordes. Cela permet d’enregistrer le piano avec le groupe pour ne pas avoir à le faire à part et casser la dynamique.
Elton John n’est pas qu’un piano, c’est aussi un groupe et des arrangements orchestraux. Lors de son travail sur Space Oddity, Dudgeon rencontre Paul Buckmaster, un violoncelliste devenu arrangeur orchestral. Dudgeon qui avait édité des musiques classiques pour Decca, ajoute Buckmaster à l’équipe. Ensemble, ils créent tout ce qui ne touche pas au piano et à la voix. « Elton nous donnait une liberté totale à Gus et moi ; la seule partie qui n’était jamais réarrangée était son piano » explique Buckmaster. Dudgeon confirme ses propos : « Une fois qu’Elton avait fait ce qu’il avait à faire, c’est-à-dire jouer du piano et chanter, il partait. Tout ce que vous entendez qui n’est pas la construction essentielle [du morceau] c’est de moi et quiconque travaillant au studio ». Elton John explique qu’il leur faisait totalement confiance. Pour Honky Château, par exemple, il allait se coucher après ses enregistrements et écoutait ce qui avait été fait le lendemain.
Les balances et le mixage avant tout
Comme tous les producteurs, Gus Dudgeon était passionné par le son. Avant de commencer à enregistrer, il était important pour lui d’avoir de bonnes balances dans le studio. Ça permet aux musiciens et à l’équipe de comprendre la partie de chacun et le morceau dans sa globalité. Chacune des personnes présentes connait l’importance de sa partie et comment la jouer. Il était si attaché à cela qu’il lui arrivait d’imprimer les changements de niveaux sur les bandes utilisées pour les réenregistrements. Le mixage final n’était alors une surprise pour personne.
C’est d’ailleurs lui qui s’attelait aux mixage, ce qui n’est pas forcément le cas de tous les producteurs. Le mixage consiste à assembler et arranger les bandes de chaque instrument pour qu’elles soient harmonieuses. Cela se fait désormais par ordinateur, mais le principe reste le même. Lorsqu’il mixait, Gus Dudgeon ne le faisait pas partie par partie, mais l’ensemble du morceau d’un coup. Il créait une dizaine de versions différentes. Quand il pensait que le mixage parfait était quelque part, il notait ce qu’il aimait dans chacune. « Je divisais la chanson sur du papier, et j’avais une sorte de système à hiéroglyphe. Je jouais [une version], la cochais et pensais “C’est une bonne intro”, mais ensuite je jouais l’autre et pensait “C’est encore une meilleure intro”, donc je la cochais et je l’entourais, ce qui voulait dire “C’était bien, mais celle-ci est possiblement meilleure” ». Si à la fin une section lui manquait, il refaisait un mix entier jusqu’à atteindre ce qu’il cherchait.
Néanmoins, Dudgeon était quasi absent de tout autre travail d’ingénieur. Pour lui, chaque session est une occasion d’apprendre quelque chose de nouveau. Il était donc très à l’écoute des opinions de ceux qui travaillaient avec lui.
Une belle carrière
Pour Dudgeon, le secret d’un bon arrangement de rester simple et ne pas ajouter des fioritures inutiles. Aussi, il faut se retenir un maximum, ajouter des éléments au fur et à mesure pour laisser la chanson se dévoiler. Gus Dudgeon est décédé le 11 juillet 2002 dans un accident de voiture. Son apport à la musique est conséquent, pour Elton John « Gus ne reçoit jamais assez de crédits pour le travail qu’il a fait sur mes premiers albums ». En plus de sa grandiose carrière, le Guinness Book of Records le reconnait comme le premier à avoir utilisé un sample dans une chanson avec He’s Gonna Step on You Again de John Kongos. Sans Gus Dudgeon, Space Oddity et Rocketman, entre autres, n’auraient pas eu le même impact.
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