02 Oct The Jaded Hearts Club – You’ve Always Been Here
Le plus cool des supergroupes sort son premier album studio : une collection de chansons empruntes au mouvement Northern Soul des sixties, qui en dit plus qu’il n’y parait.
Rappelez vous vos années lycée, et ces groupes débutants et délicieusement maladroits qui s’essayaient aux reprises des incontournables Oasis, Green Day et U2 sur des amplis mal réglés. Comme une sorte de rite de passage, rares sont les guitares de ce monde qui n’ont pas saturé sur les riffs des Beatles avant de goûter à des compositions originales. Le Jaded Hearts Club ne fait pas ici figure d’exception : la bande produite par Matt Bellamy a elle aussi fait ses armes de supergroupe sur le répertoire des Fab Four. A la différence près que le Jaded Hearts Club, lui (no offence, les groupes de lycée !), réussit avec brio le périlleux exercice live de la reprise, comme en témoigne son album live Live At 100 Club issu de son show caritatif en 2019. Animé par l’envie, « comme les Beatles et les Stones », de réinventer « de vieux standards de soul et de blues dans un style plus moderne » (Matt Bellamy), le Club signe sur ce premier disque studio un hommage électrique à quelques perles classiques de la Northern Soul des sixties. Un pari réussi. On déroule ensemble You’ve Always Been Here.
Clin d’oeil sanitaire
Installez-vous confortablement, ce sont les tendres falsettos du maestro Matt Bellamy qui s’empressent d’introduire le disque dont il a assuré la production. L’album s’ouvre sur un son feutré de piano, habillé des grésillements d’un vinyle et ponctué de piaillements de mouettes qui vous transporteraient instantanément sur la baie de Brighton. Parviennent alors à vos oreilles des paroles autrefois dessinées par les lèvres de Vera Lynn, en 1939, et destinées à remonter le moral des troupes de la deuxième guerre. En 2020, quand on est Anglais, introduire son album par We’ll Meet Again n’a rien d’anondin.
La chanson d’antan a en effet retrouvé une saveur douce-amer sur l’île britannique il y a quelques mois. We’ll Meet Again, ce sont les mots, pleinement mesurés, prononcés par la Reine Elizabeth II lors de son adresse à sa nation dans un contexte de semi-déclaration de guerre au coronavirus (souvenez-vous !). Un choix d’introduction emprunt d’une certaine idée de la nostalgie et un poil taquin (à l’anglaise !), donc.
Mais la réinterprétation du titre façon Bellamy nous convainc, car en l’espace de quelques secondes, l’atmosphère apaisante du piano-voix d’époque devient pressante et semble appeler immédiatement un couperet vif : ce sera l’oeuvre de l’enchaînement brut sur Reach Out (I’ll Be There), chanson originale des Four Tops (1967).
Ce deuxième titre donne la pleine mesure de l’énergie du disque. C’est là la véritable entrée en matière, où Nic Cester s’impose en maître avec sa partition vocale puissante mais subtile. La rythmique en contre-temps de Dom Howard donne particulièrement envie de quitter sa chaise pour mimer les pas de Claude François, rappelant à nos oreilles francophones sa version de la chanson, l’inévitable tube J’attendrai. L’enchaînement des deux premiers tracks est particulièrement bien senti tant sur la progression musicale que sur l’histoire qu’il raconte. Reach Out (I’ll Be There) répond parfaitement au premier titre ; et là encore, s’inscrit malgré lui dans les événements de notre époque confinée : il suffit de (re)visionner le clip illustrant le lockdown du printemps dernier pour s’en rendre compte !
Une tracklist en forme de dialogue amoureux toxique
Au delà de l’habile clin d’oeil à la situation sanitaire que l’on ne peut s’empêcher d’imaginer, l’album semble bien servir la narration d’une histoire. Il n’est pas que le fruit du pari de produire un album uniquement composé de reprises. Titre après titre, l’opus dessine le tableau d’un amour qui semble ne jamais se donner en retour. This Love Starved Of Mine (It’s Killing Me) (Marvin Gaye) et Love’s Gone Bad (Chris Clark) donnent le ton. On tape du pied sur ces titres entrainants comme bat le coeur déterminé du protagoniste, alternativement incarné par Nic Cester et Miles Kane. Parfois, les deux chanteurs paraissent aussi se donner la réplique — le désinvolte Money (The Isley Brothers) de Kane nargue l’énergie du désespoir du criant rock’n’roll du duo guitare/voix Coxon/Cester de I Put A Smell On You (Annie Lennox) interprété par Cester.
« Le rock, c’est le nouveau jazz »
Par moment, quelques chansons peut-être un peu trop fidèles à leurs originales calment notre excitation (Have Love Will Travel rappelle particulièrement la version des Sonics). Mais on ne peut que saluer le bel effort de la bande d’avoir remis sous la lumière des tubes d’un patrimoine culturel riche issu des années soixante.
Bellamy et Davis ont trié des centaines de singles : « vivant à Los Angeles, on a l’impression que personne n’a jamais entendu parler de la Northern Soul » (un mouvement rock du Nord de l’Angleterre marqué par un tempo rapide et inspiré de la soul noire américaine, ndlr) constatent-ils. « Nous on adore l’histoire du Nord de l’Angleterre tombé amoureux de la soul américaine » avoue Davis. « J’ai lu que le rock était le nouveau jazz et ça m’a fait rire » commente Bellamy. « Ça devient un genre esotérique en conservant une énorme importance culturelle et historique. Comme le jazz, qui réinvente souvent de vieilles chansons, le Jaded Hearts Club perpétue la façon dont des groupes comme les Beatles et les Stones ont commencé : trouver de grands standards de soul et de blues, et les enregistrer dans un style plus moderne. »
A la sauce Muse
Sauf qu’ici, aucun des membres encartés du Club n’en est à ses débuts. Cela s’entend : ne cherchant pas à totalement se réinventer, on reconnait certaines pattes. Long And Lonesome Road reçoit une production grandiloquente en questions-réponses de guitares fuzz que l’on connait chez Muse, Love’s Gone Bad récupère le phrasé conquérant et criard qui caractérise les dernières chansons solo de Miles Kane. Pire encore, c’est tout simplement la ligne de basse qui a fait la popularité du Feeling Good de Muse qui est répliquée dans I Put A Spell On You. Matt, on te voit en fait ?
En somme, ces repères familiers n’empêchent pas d’apprécier le disque, bien au contraire. L’album a cela de fort qu’il raconte son histoire à lui, tout en étant réellement un objet composite permettant d’isoler chaque morceau et de l’imaginer comme un prologue pouvant s’insérer sur les opus de Bellamy, Kane, Cester, Payne ou Coxon sans difficulté. Cet album raconte alors trois histoires : celle habilement tissée par la sélection des chansons, d’un amour déséquilibré ; celle du sauvetage d’un héritage culturel si précieux pour les Anglais du Nord ; et enfin, celle d’une bande d’amis musiciens multi-talentueux qui en 30 minutes, finalement, nous fait le très beau cadeau de partager le fun de leurs jams…
Tracklist
We’ll Meet Again
Reach Out I’ll Be There
Have Love Will Travel
This Love Starved Heart Of Mine (It’s Killing Me)
Nobody But Me
Long and Lonesome Road
I Put A Smell On You
Money (That’s What I Want)
Why When The Love Is Gone
Love’s Gone Bad
Fever
LA NOTE : 8/10
Nos morceaux favoris : Reach Out I’ll Be There, I Put A Smell On You, Have Love Will Travel
No Comments