11 Fév Interview – alt-j : « Si on a un genre de musique, alors c’est l’authenticité »
Il y a quelques jours, nous avons rencontré par visioconférence les trois membres d’Alt-j (Joe Newman, Gus Unger-Hamilton et Thom Green) pour discuter de la sortie de leur prochain album The Dream prévu pour février 2022.
Vous revenez avec un nouvel album qui semble plus vulnérable, fragile, et personnel. On sent qu’encore une fois vous explorez un nouvel univers musical tout en gardant ce son qui vous est propre. Comment vous réussissez à constamment sortir de votre zone de confort musicale ?
Gus : Je pense que c’est juste qu’on aime essayer de nouvelles choses au studio. C’est un environnement dans lequel on se sent à l’aise. On travaille avec notre producteur Charlie [Andrew] depuis plus de dix ans maintenant, il a beaucoup de bonnes idées qu’il souhaite tester et il sait qu’on aimerait les essayer aussi : différentes approches, utiliser différents types de musiciens, pousser stylistiquement vers d’autres directions. C’est amusant, ça rend l’enregistrement plus intéressant, parce que sans ça, je pense que la créativité serait terminée au moment où on termine l’écriture, ce qui serait triste et on perdrait une grande partie de la création.
Comment Charlie Andrew vous aide à la recherche de nouvelles sonorités ? Le considérez-vous comme un membre du groupe ?
Joe : Je pense qu’il fait partie du groupe, dans le sens où capturer les chansons au moment de l’enregistrement, les produire, est un moment crucial. Il a toujours partagé une vision semblable à la notre quand on discute de composition et qu’on écrit les chansons. Il est cette quatrième voix et je pense que c’est une dynamique extrêmement importante de l’avoir avec nous. Sa manière de produire a changé au fil des années et il a accumulé beaucoup plus de matériel. A travers cette accumulation, il se rapproche de ses manières préférées d’enregistrement pour les musiques sur lesquelles il travaille. Je trouve que ça créé un son solide. Pour cet album en particulier, on a tout repassé par un seul ampli, comme celui de David Gilmour, qui date de la fin des années 1960. Donc tout est repassé par cet ampli : la guitare, les percussions, les voix. Ça donne ce joli côté vieux, poussiéreux, et familier. C’était la toute première fois qu’on faisait ça, mais on a dû passer par tous les albums précédents pour arriver à ce niveau. C’est un beau développement je trouve.
Est-ce que vous travaillez avec lui lorsque vous préparez vos concerts ou pour vous c’est quelque chose de totalement différent ?
Gus : On l’a fait par le passé. Je pense que quand on était un groupe plus jeune, on avait besoin de l’aide de Charlie au studio de répétition pour écouter ce qu’on faisait et nous donner des conseils sur comment on pourrait améliorer la performance live des chansons, pour les faire sonner plus comme l’album. Mais je ne pense pas qu’on en ait tant besoin désormais. Je ne pense pas qu’on le fera cette fois, mais il l’a fait par le passé, oui. Je pense que préparer les concerts désormais pour nous, c’est plus travailler avec l’équipe technique qui nous aide à créer le son et les choses dont on a besoin pour que les chansons sonnent aussi bien sur scène que dans l’album produit par Charlie.
Vous avez déjà annoncé une tournée Nord-Américaine, une au Royaume-Uni et en Irlande et quelques festivals. Comment vous vous sentez à l’idée de reprendre les choses en grand ?
Thom : J’ai hâte, j’ai vraiment hâte de retourner sur scène. Il s’est passé tellement de temps, ça parait assez irréel l’idée de vraiment être de nouveau devant des spectateurs. On a été tellement habitués, jusqu’au point où, pour moi, je pouvais jouer les yeux fermés. A certains concerts, tu es un peu dans les nuages parce que tu as été en tournée depuis si longtemps, tu perds le sentiment de nouveauté. Avec la pause, ça a été si long, c’est si irréel de penser qu’on va être sur une scène devant beaucoup de monde. Il y a un peu d’hésitation, de nervosité à l’idée de partir loin de chez soi pendant si longtemps. La première tournée est de deux mois, je n’ai été quasiment que chez moi depuis 2018, il faudra s’ajuster à être jeté de sa routine. Heureusement, on a une très bonne équipe autour de nous, un super tour manager, on n’est plus tous dans un seul van ou des choses comme ça. C’est palpitant, j’ai juste hâte de sortir du pays pour un moment aussi et voir autre chose que Londres.
Gus : Ouais.
Il me semble que Thom tu avais dit dans une interview que tu préférais les grandes salles aux petites. Est-ce que c’est pareil pour vous Gus et Joe ?
Thom : Oui, je pense que c’est parce que dans les plus petits concerts, tu peux voir tout le monde et ça m’intimide et je trouve ça dur de regarder les gens quand je joue. Si je regarde la foule et je vois quelqu’un qui me regarde je me sens très vulnérable et exposé. Je me sens ridicule, c’est une expérience bizarre que de jouer de la batterie en face de quelqu’un qui me regarde. C’est pas une mauvaise chose, c’est juste étrange. Quand c’est une grande salle, je me sens moins intimidé. Tu sens un peu moins que les gens te regardent. Mais il y a des avantages aux petites salles, c’est un équilibre.
Joe : J’ai toujours aimé les plus petites salle parce que tu sens la chaleur de la pièce. Tu peux tout voir avec beaucoup de détails et l’atmosphère est plus favorable a une expérience plus authentique. C’est aussi meilleur pour la voix quand la salle est chaude et humide, c’est bon pour la voix. Je peux parfois trouver, devant les grandes foules, que tu es un peu déconnecté et quand tu te connectes à quelqu’un dans une grande foule, ça me déstabilise un peu. Alors que si je décide de regarder les gens dans une petite salle, je m’habitue à eux, ce sont comme des amis ou des proches, tu t’habitues à leurs visages et tu vois qu’ils apprécient le moment. Ça peut être nul quand tu vois des personnes qui ne sont pas en train de passer un bon moment, parce que tu n’arrives pas à ne pas les regarder. Tu gardes un œil sur eux pour voir si les choses changent, tu suis leur comportement. Je trouve que c’est plus propice à une bonne performance quand c’est un petit espace et ça me rappelle quand on était un plus jeune groupe et que c’était les seules salles dans lesquelles on jouait.
Gus : J’aime les deux.
Depuis Bloodflood sorti il y a dix ans jusqu’à Get Better sorti il y a quelques semaines, vous avez gagnez énormément de fans. Est-ce que vous ressentez une pression quand vous sortez un nouveau projet, espérant que vos fans l’apprécient ?
Thom : Oui, je pense que c’est inévitable qu’on s’intéresse aux incroyables fans qu’on a, on est vraiment reconnaissants. Beaucoup de nos fans sont là depuis le tout début et sont extrêmement loyal et ont toujours apprécié ce qu’on a fait. Mais en même temps, si on écrivait pour eux, la musique ne sonnerait pas pareil. On écrit principalement pour nous et c’est un énorme bonus s’ils l’aiment autant qu’ils l’aiment. On ne va pas soudainement sortir un album de black metal, on reste dans la même voie. Je pense qu’on a de la chance dans le sens où on a toujours essayé de rester authentique et honnête et les gens ont pu voir ça. Si on a un genre, alors c’est l’authenticité, tant qu’on fait ça, on peut à peu près tout faire. La pression, il y en a toujours un soupçon et on essaie de l’ignorer complètement, mais je ne pense pas que ce soit possible. On a juste besoin d’avoir confiance en nous et en ce qu’on fait et tout ira bien.
Joe : Je pense que c’est intéressant d’être part d’un groupe pendant dix ans vis-à-vis de la relation qu’on a avec notre fanbase. Même si on n’est pas tout le temps en contact avec eux, on sait qu’ils grandissent. C’est dur de savoir, en terme d’analytiques, combien de nouveaux fans on gagne face aux anciens qui continuent d’écouter nos nouveaux morceaux. Parce que tu as beaucoup de personnes qui sont obsédées par notre premier album [An Awesome Wave, sorti en 2012] et ils n’ont pas évolué vers nos autres albums. Ce sont ces différents types de fans qui existent dans notre monde et comme ça fait 10 ans, beaucoup des die-hard fans ont dix ans de plus et ils ont des vies différentes maintenant. Je me demande quelles sont les dynamiques dans leurs vies, si on est aussi présents dans leur vie quotidienne qu’on l’était à un moment, c’est intéressant. Il y a beaucoup de réflexion autour de notre fanbase. La chose agréable c’est que tu espères pouvoir reconnecter avec eux en sortant de nouvelles choses, parce que c’est ce qui définit notre relation.
Thom tu parlais d’authenticité. Récemment, Hubert Lenoir, un musicien québécois, a sorti un album sous-titré « Musique directe » en référence au Cinéma direct, un genre qui essayait de capturer la réalité de la vie des gens. The Dream fait aussi un peu penser à ça, est-ce que c’est quelque chose que vous avez essayé de faire pour cet album ?
Joe : Je pense que le cinéma a toujours été une grande référence dans l’écriture. Auparavant c’était des références directes à des films, mais maintenant, pour moi, quand j’écris, je suis très visuel. Je crée avec des fortes images dans ma tête. C’est une des choses qui est une des connexions que j’ai avec les fans, c’est que les paroles ont des fortes références visuelles. Ça ressemble un peu à de la réalisation. Et comme la production qui suit va avec, ça renforce ces idées cinématiques à travers ces enregistrements, que ce soit « girls from the pool », où Thom et sa compagne lisent un scénario [dans la dernière chanson de l’album], ou encore une chorale chantant à propos de Coca-Cola. On renforce ces visuels. Ça soulève un peu l’idée qu’on écoute des choses similaires à une qualité cinématographique au cinéma.
Il y a toujours du temps entre vos albums, dans une industrie où on demande aux artistes de sortir des albums et EPs presque tous les ans. Quand savez-vous que vous êtes prêts à sortir un nouveau projet ?
Gus : Je pense qu’on sait quand quelque chose est terminé. On est régit par un format dans une certaine mesure, parce que les albums sont composés en général de neuf à quinze morceaux, donc quand on sent qu’on a un bon groupe de chansons, on peut se dire « ok, c’est un album maintenant ». Et évidement on a un contrat d’album, ce qui veut dire qu’on doit en livrer un. C’est une réponse un peu terre-à-terre mais quand on sent qu’on est content de ce qu’on a fait et que ça pourrait former un album, alors je pense que c’est à ce moment qu’on sait qu’on a terminé. Plus tard, personne ne sait ce que les gens vont faire vis-à-vis de la musique. J’ai l’impression qu’on parlait de la fin de l’album depuis qu’on a commencé le groupe, et ça n’est pas encore arrivé, donc je pense que possiblement les rapports de la mort des albums ont été exagérés.
Vos couvertures sont des parties importantes de vos albums, et elles sont toujours un peu énigmatiques. Pouvez-vous nous en dire plus sur celle de The Dream ?
Gus : C’est un dessin qui a été fait par un ami artiste qui s’appelle Joel Wyllie. On était un peu coincé sur ce qu’on voulait faire pour notre couverture cette fois. On voulais utiliser une peinture de Picasso intitulé The Dream, d’où le nom de l’album, mais c’était juste impossible. Ensuite on a proposé quelques suggestions, et on s’est dit « bon, pourquoi on ne verrait pas si Joel a quelques œuvres qu’il voudrait bien qu’on utilise ? ». Il nous a envoyés des dessins et on a beaucoup aimé celui-ci. Je trouve que ça marche très bien avec le titre The Dream, on peut penser que la créature ressemble à quelque chose qu’on pourrait rencontrer dans un rêve où on pourrait dire qu’elle est en train d’en vivre un elle-même. C’est énigmatique mais c’est saisissant, c’est mémorable, c’est intriguant, c’est un peu effrayant, c’est un peu drôle. Dans un sens, c’est un peu comme l’album : il a différentes faces et il te fait te sentir de beaucoup beaucoup de manières différentes.
Pour finir, qu’est-ce qui vous inspire en ce moment ? Que ce soit un artiste, un film, une séries, etc. ?
Thom : En ce moment je m’intéresse beaucoup à un artiste, il est désormais décédé, qui s’appelle Howard Hodgkin, c’est un peintre britannique que j’ai découvert il y a deux ans. Je suis en admiration devant la simplicité et le message, à quel point il est limpide dans le tableau. J’aime ce genre de choses dans différents médias, que ce soit la musique, la peinture, les films, les sculptures, peu importe ce que c’est. J’aime un concept complexe présenté de manière simple. Le tableau, parfois ça va être juste un coup de pinceau, un large coup de pinceau avec de l’huile dessus, et je ressens une émotion, parfois on peut presque le sentir et le goûter. C’est juste une expérience et il n’y a rien d’autre de tel. Parfois je m’assois devant mon Ipad et je regarde les images et ça me fait sentir mieux.
Gus : Je crois que mon acteur préféré vient de décéder il y a quelques jours, ce qui m’a rendu très triste, Anthony Sher, qui était un comédien. C’est quelqu’un que j’ai vu jouer en vrai, principalement dans des pièces de Shakespeare, beaucoup de fois ces dix dernières années. C’était un très bon acteur britanico-sud-africain. Il était dans la soixante-dizaine, il jouait encore jusqu’à la pandémie, ensuite évidemment il n’y a pas eu beaucoup de représentations ces deux dernières années, et maintenant il est mort, et ça me rend très triste. Je peux pas dire qu’il m’inspire parce que je ne suis pas un acteur, il ne m’inspire pas directement, mais c’était un artiste inspirant. J’ai lu plusieurs livres qu’il a écrits, c’est un très bon peintre et dessinateur aussi. Je voulais juste en profiter pour reconnaître son talent.
Joe : Je n’arrive pas à penser à quoi que ce soit tout de suite à vrai dire. Je pense que parfois ce n’est pas qui t’inspire, mais plutôt comment tu te sens à ce moment précis dans une journée. Par exemple, je vais prendre un livre photo, ce n’est pas à propos du photographe, c’est à propos de ton humeur à ce moment et à quel point tu es ouvert à absorber quelque chose que tu peux ensuite filtrer et qui va t’affecter. Je trouve que c’est plutôt autour de trouver ce moment. Ça ne répond pas vraiment à la question, mais ça y répond.
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