20 Déc Mount Kimbie – MK 3.5: Die Cuts | City Planning
En phase avec son époque, le duo Mount Kimbie dévoile un double album où déstructuralisme est le mot d’ordre, traversé par de nombreuses voix et productions. Audacieux et déroutant
Voilà plus de dix ans que le mystérieux duo Mount Kimbie, formé par les londoniens Dominic Maker et Kai Campos, expose son univers atypique à la scène électronique britannique. Leur premier album Crooks & Lovers (2010), est pour beaucoup une pierre angulaire, suivi trois ans plus tard par l’éminent Cold Spring Fault Less Youth, signé chez Warp. Rebelote : en 2017 sort un troisième opus, Love What Survives, qui propulse plus haut encore le duo, on pense notamment au titre « Blue Train Lines » avec King Krule. Respectant cette règle des trois/quatre ans entre chaque album, Mount Kimbie est de retour cette année, les bras plus chargés que d’habitude. Ce nouveau double album intervient après deux ans de pandémie, entre autres conflits sociaux et mondiaux, imprégnant la musique des deux britanniques jusqu’à la moelle. C’est ainsi que MK 3.5: Die Cuts | City Planning (c’est son nom) est un quatrième chapitre dense, tordu et assumé, perdu entre les limbes de la musique électronique, où tout est possible, tout se perd et se retrouve en même temps. Ici, le duo, bien qu’éloigné géographiquement, ne cesse de s’émanciper et de prouver son talent.
Divisé en deux partie, la première partie du disque, composé par Dom Maker, entremêle des influences hip-hop, rap, néo-soul, et R&B de velours (pour ne pas dire lo-fi), à travers des morceaux qui ne dépassent que très rarement les 3:45. Ce besoin d’instantanéité ne cache néanmoins nullement l’inspiration insatiable du groupe, qui a invité un nombre impressionnants de collaborateurs, tels que slowthai, James Blake, Danny Brown, reggie ou encore Nomi et le trop rare Chocker. Les sonorités sont d’une douceur absolue ; on pense à l’ouverture « dvd », suivie de « in your eyes » qui prouve que le rappeur slowthai est toujours une bête en featuring, non loin d’un Danny Brown dont on ne fait plus la réputation. Les mélodies lunaires, crépusculaires parcourent le disque (« somehow she’s still hère », « kissing », « say that »), et tandis que la production peut paraître écrasée, trop compressée, la magie opère, au détour d’un refrain touchant, d’un délicat couplet synthétique. « C’est évidemment une approche différente de la façon dont nous faisons habituellement un album, vous allez d’ailleurs y entendre nos voix, écrivent Maker et Campos dans le communiqué de presse. Cela étant dit, nous pensons qu’il y a des similitudes entre les deux faces, l’une étant qu’elles sont toutes deux conçues pour être écoutées du début à la fin, et c’est donc formidable de pouvoir enfin partager les deux albums dans leur forme complète. »
La seconde partie, justement, est entièrement instrumentale. Menée par Kai Compos, son côté plus intimiste parvient à resserrer les vis sur nos premières perspectives. Comme si elle était la répercussion directe, urgente, d’un cataclysme sans précédent. La précédente étant une capsule de la dernière présence humaine, la seconde est la réponse, musicale, organique, naturelle. Le renvoi à l’ordre d’un groupe qui fait ce qu’il sait faire de mieux : produire de la musique. Et tandis que le titre de l’album, « 3:5 », pourrait nous rappeler qu’il s’agit d’une compilation ou d’un effort sans véritable non, le contenu nous prouve le contraire, construisant un univers partagé en utopie et dystopie, humanité et monstruosité, où des partitions instrumentales sombres viennent caresser notre ouïe et susciter l’imagination. Tandis que la première partie pouvait laisser entrevoir la lumière, la suite est un revers bien plus mélancolique et suspendu dans le temps.
Si à travers un double album, on peut souvent se perdre et piocher ici et là nos titres favoris, Mount Kimbie a choisi de nous livrer cette expérience hybride et conceptuelle ; presque deux projets en-un, un volte-face percutant à la scène électronique actuelle. Un parti pris artistique d’une liberté folle, qu’on ne cesse de (re)découvrir à chaque écoute.
La note du rédacteur : 9/10
Ses morceaux favoris : dvd, in your eyes, kissing, somehow she’s still here, a deities encore, Quartz, Satellite 7, Satellite 9, Zone 3 (City Limits), Zone 1 (24 Hours)…
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