INTERVIEW – Le retour ambitieux et réussi de Bill Ryder-Jones avec « Iechyd Da »

A l’aube de la sortie de son nouvel album, Iechyd Da (disponible depuis le 12 janvier), l’anglais Bill Ryder Jones nous a accordé une discussion autour de sa nouvelle vision de l’écriture, de la production de son album mais aussi des précédents ainsi que de l’aspect visuel.

« Je voulais rendre les gens heureux plutôt que d’aggraver la misère, je veux que les gens se sentent bien après l’avoir écouté. (…) Quand j’ai grandi, mes parents qualifiaient la musique que j’aimais de musique pour se trancher les poignets. J’y trouve un grand réconfort. Mais je pense qu’il y a une différence quand il s’agit de sa propre musique. »

Connu pour sa musique introspective et mélancolique, Bill partage ses perspectives intéressantes sur son processus créatif, à travers lequel il a voulu prendre des risques et sortir de sa zone de confort pour créer un album qui serait exactement à la hauteur de ses attentes, et qu’il aimerait lui-même écouter. L’artiste admet avoir ressenti une certaine insatisfaction vis-à-vis de ses deux précédents albums, les considérant comme trop faciles. Aspirant à créer quelque chose d’ambitieux pour Iechyd Da, Bill nous fait traverser les quelques dernières années – plutôt négatives – de sa vie avec des sonorités et une morale pleine d’espoir, notamment avec la présence d’une chorale d’enfants. Le ton optimiste que Bill a cherché à installer dans l’ensemble de l’œuvre se reflète dans le titre de l’album, qui signifie « bonne santé » en gallois.

« Quand un groupe d’enfants chante ensemble, c’est un son joyeux. Je passe devant une école primaire pour me rendre de chez moi au travail, et même pas seulement le chant, mais le son des enfants de cet âge qui joue à l’heure du déjeuner est une chose charmante que j’entends pratiquement tous les jours. C’est une excellente façon de prendre quelque chose qui pourrait être un peu oppressant et de lui donner de la vie. »

Le titre d’ouverture « I Know That It’s Like This (Baby) » est articulé autour d’un sample tiré de « Baby » de Gal Costa. Interrogé sur l’inclusion de sons inattendus tels que celui-ci, Bill révèle que l’utilisation de samples était à la fois intentionnelle et spontanée. Il explique comment le sample de Costa a inspiré une partie de la composition de l’album, et comment cela a conduit à l’exploration de nouvelles idées sonores.

« J’ai décidé de ranger mes instruments habituels et d’utiliser ce logiciel où vous pouvez rechercher des rythmes de batterie en ligne, des parties de cordes et des cuivres, et les marier comme mes producteurs de hip-hop préférés. Beaucoup de ces choses n’ont pas abouti sur l’album, mais elles ont informé la direction de l’album. C’était agréable et cela ajoutait à ce que je disais sur l’ambition.»

L’évolution de son approche à l’écriture se ressent très vite, mais Bill Ryder-Jones n’a pas fait l’erreur bien trop récurrente d’artistes bloqué.e.s dans leur carrière de substituer un manque d’inspiration par des synthétiseurs et autres instruments virtuels. Pour lui ça ne marche presque jamais. Le mot clé est la parcimonie. Il nous parle plutôt d’une évolution d’écriture, ce sont les mêmes chansons épicées de quelques nouvelles idées. 

En tant que producteur, Bill révèle que son expérience de travailler avec d’autres artistes – dont son idole Mick Head – a influencé sa propre musique. Il souligne alors l’importance d’être impliqué dans le processus créatif de A à Z : « Être invité à diriger, à écrire toutes les cordes et les parties de guitare, j’adore ça, c’est beau, je suis bon à ça et on me paie pour le faire. Pourquoi ne le fais-tu pas pour toi-même ? Pourquoi est-ce que je fais de la musique que je n’apprécie pas fondamentalement vraiment ? C’est une chose merveilleuse et je devais le faire. »

« Je savais que je voulais que les couleurs soient subtiles. Tout l’album devait être assez doux et non violent. Mon système nerveux est mauvais, un chien aboie et il me faut un moment pour me calmer. Trop d’informations, c’est trop. Les couleurs étaient importantes. »

Visuellement, l’album ressemble à ce que nous entendons. Tout d’abord avec le clip du premier single « This Can’t Go On », tourné en Ecosse, pays émotionnellement impliqué dans l’enfance et la vie de Bill. De son côté, la pochette de l’album est une peinture réalisée par l’artiste écossais Dale Bissland, qui a été choisie après une recherche sur Instagram. Bill explique comment il a cherché des couleurs subtiles pour correspondre à l’atmosphère douce de l’album. La peinture représente une maison calme. Elle a acquis une signification personnelle pour lui en l’idée de pouvoir imaginer une maison calme, chose qu’il n’a jamais eue, de son enfance au présent. C’est pour lui un lieu sûr dans lequel la musique y vivrait et les gens peuvent venir et simplement écouter. 

« Je veux vraiment m’asseoir et entrer dans un album. La musique est la seule chose qui retient mon attention. C’est une compétence à apprendre. Je veux respecter l’art de faire un album entier plutôt que des singles. Dites ce que vous voulez des derniers albums d’Arctic Monkeys ; mais ils ont une ambiance, ils sont délibérés, ils sont réfléchis. »

Bill nous parle de son attachement à l’album en tant que format et de sa préférence pour des albums plus longs. Il évoque la possibilité de sortir un EP après cet album, mais souligne que le format du single ne permet pas, à ses yeux, de transmettre pleinement un message artistique. Un album c’est pour lui un concept entier, une heure d’écoute et ce format se doit d’être conservé. C’est d’ailleurs comme ça que Iechyd Da se doit d’être écouté, d’être vécu. Bill évoque l’essor des morceaux d’une minute, et de son hypothèse de l’arrivée des morceaux et des concepts musicaux très longs. 

« La grande chose à propos de l’art, c’est que vous ne pouvez pas deviner ce que les enfants vont faire. Ils vous surprendront, ils résisteront. Sans ce besoin humain de changer ce qui nous est donné, il n’y aurait pas de punk, de blues, de jazz, de pop, de musique rave. »

Iechyd Da est une exploration riche et ambitieuse de la vie rythmée par les souffrances de Bill Ryder-Jones au cours des trois dernières années. Iechyd Da c’est aussi l’impression qu’il s’ouvre à nous sans barrière, mais qu’il nous dit aussi que c’est ok, ça va aller. Iechyd Da, c’est ce qu’il avait envie de faire et offrir. 

« L’objectif de cet album pour moi en tant qu’artiste, en me respectant en tant qu’artiste, c’est d’essayer de définir exactement ce que je suis dans un seul disque. Toutes les choses que je suis, les meilleurs morceaux de tous les disques, ce que je veux être, comment je veux être perçu. Alors je ne peux pas vraiment écouter quelque chose de nouveau. Cela a juste été tous ces albums avec lesquels j’ai grandi et qui ont dévoilé ce que serait ma palette. La seule autre chose que j’ai faite pendant cet album a été de vraiment me plonger dans le premier disque du Wu-Tang Clan. Je les ai appréciés à différents niveaux. Je les ai appréciés en tant que gamin blanc de classe moyenne en banlieue. Puis en tant que jeune de 20 ans et maintenant en tant que producteur, je me demande comment diable avez-vous imaginé cela logistiquement. Et puis lyriquement, ça m’a soufflé. »

Iechyd Da est disponible partout. Bill Ryder-Jones sera en concert à Paris le 28 mars à La Maroquinerie

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