26 Jan INTERVIEW — Frank Carter & The Rattlesnakes discute Dark Rainbow, vieilles chansons et discriminations
À quelques jours de Noël, on a rencontré Dean Richardson, moitié de Frank Carter & The Rattlesnakes, pour parler de leur nouvel album, « Dark Rainbow ». Une conversation qui a dévié du sujet dans un hôtel parisien aux murs recouverts de photos de femmes dénudées, où on a parlé inclusivité et discriminations dans l’industrie musicale.
SOB : Est-ce que tu peux nous parler de « Dark Rainbow », votre nouvel album ?
Dean : On est dans une situation inhabituelle, parce que ça fait déjà un petit moment qu’on ne fait pas de concerts. Donc il y a ce moment où tu commences à mettre les choses en ligne et peut-être à faire des interviews, mais c’est le calme avant la tempête. Quand tu écris, tu es vraiment à fond dans le projet et tu te dis « est-ce que c’est bien ? Est-ce que ça me plaît ? » Ensuite, tu passes à autre chose et tu commences à te demander si ça va plaire aux gens. Et quand tu arrives sur scène, là tu as enfin ta réponse.
On a des retours, mais quand tu vois tes amis et ta famille, ils te demandent « alors ? », et c’est un peu… Il y a des gens sur internet qui détestent les chansons et il y a d’autres personnes plus nombreuses qui les aiment, mais tout se passe sur un écran, ça ne semble pas très réel. Donc je suppose que je me sens juste un peu angoissé, mais j’ai aussi super hâte.
SOB : Vous avez fait des concerts intimistes, avez-vous déjà eu des retours là-bas ?
Dean : Oui, le problème avec ça, c’est qu’on ne joue pas les chansons comme les gens sont habitués à les entendre. Mais c’est génial, les retours à ce sujet ont été incroyables. C’est la première fois qu’on a l’occasion de voir les gens en personne et après, on vient nous dire qu’ils ont adoré les chansons… On s’y met petit à petit. Ces concerts acoustiques étaient vraiment particuliers à faire, on voulait faire ça depuis des années. C’était juste une idée, je ne sais pas pourquoi maintenant. Nous aurions pu le faire il y a quelques années. Mais quand on en a parlé cette fois, on s’est dit « allez! ».
SOB : Ça semble naturel avec le son de l’album, parce qu’il est plus calme.
Dean : Ouais, c’est probablement un facteur, il y a beaucoup plus de piano dessus. Mais quand on les a faites pour la première fois, on n’avait qu’une seule chanson, donc ce n’est pas comme si nous allions jouer plein de nouveaux morceaux. Mais je pense que c’est parce qu’on a passé beaucoup plus de temps imprégnés de ce son plus calme et plus délicat, on s’est dit « Allez, on le fait en live ».
Parce qu’à bien des égards, on se sent plus exposé, le bruit est un peu un bouclier et ça nous met à l’aise, c’est ce qu’on fait depuis des années. Je pense que c’est probablement parce qu’on est sorti de ce processus d’enregistrement et qu’on avait un peu plus confiance en nous, donc on s’est dit « Allez, on le fait devant vous ! ». (rires)
SOB : Et pourquoi ce changement soudain de son, pourquoi ce besoin de calme ?
Dean : Je pense à beaucoup de choses, je suis sûr que tout le monde en a marre d’en parler, mais je pense que la pandémie a joué un rôle important là-dedans. Quoi que vous fassiez dans la vie, c’est arrivé à tout le monde. Je pense que c’est logique, si vous écoutez nos trois premiers albums on se dirige progressivement vers le rock plus que vers le punk hardcore là d’où on vient. Et c’était un peu naturel que ça arrive, ce n’était pas une décision.
Puis, pendant la pandémie, on a en quelque sorte fait ce disque qui était très punk et très rapide, c’est une sorte d’outsider. On adore cet album, mais si vous mettez « Dark Rainbow » après notre troisième album, cela a un peu plus de sens. Je pense qu’on a en quelque sorte réagi au « pas de concerts », pas d’énergie, c’était juste une sorte d’énergie négative. Donc « Sticky » était l’exception et on a en quelque sorte continué sur cette voie, où on essaie simplement de faire la musique qu’on aime. On a sorti les chansons les plus difficiles en premier, pour donner le ton et que les gens réagissent. Mais on considère l’album comme un disque rock. C’est plus calme, mais ça reste un disque fort et percutant, et je pense que nos fans vont l’adorer.
SOB : Avec « Sticky », vous aviez besoin d’évacuer cette énergie accumulée pendant le confinement et maintenant vous devez vous calmer !
Dean : Ouais, c’est ça, je pense que c’est ce qu’il s’est passé ! Ça nous manquait vraiment. Parce qu’avant la pandémie, on est arrivé au point, ou du moins moi, où j’aime faire des tournées, mais je fais des tournées depuis environ dix ans. Je ne rentrais pas de tournée en me disant « faites-moi repartir ! ». J’adore les concerts, mais faire des tournées est une chose difficile à faire quand on vieillit ou autre. Ensuite, on nous a enlevé ça et on a dû arrêter de le faire. Et je me suis dit « merde, ça me manque ! » comme si je ne savais pas où mettre toute cette énergie si ce n’était pas en tournée. Alors oui, je pense que c’est ce qui est ressorti du disque.
Encore une fois, notre but avec « Sticky » n’était pas de se dire « faisons le disque le plus rapide qu’on ait jamais fait », mais c’est ce qui est arrivé. Une grande partie de la façon dont on aborde l’écriture est comme ça, lorsque on a une idée, il faut qu’elle nous passionne. Je pense qu’avec la musique, il faut d’abord être le premier enthousiaste avant de demander aux gens de vous rejoindre. Certaines personnes sortent de la musique sans y croire, mais ça ne marche pas bien… C’est juste une façon de parler mais je pense que quand on est en tournée, quand on quitte une vie plus remplie, je suppose que ce qu’on recherche, c’est quelque chose ce qui ne fasse pas 300 bpm.
SOB : Sur cet album, il y a des chansons que vous gardez sous le coude depuis longtemps. Pourquoi les sortir maintenant ?
Dean : Ouais, on a toujours fait ça. Sur le premier album, on a écrit une chanson, Wild Flowers, qu’on a gardée pour l’album suivant. Et puis le suivant. En gros, il y en avait toujours une qui semblait à l’époque ne pas correspondre aux autres chansons. Mais au fil du temps, de plus en plus d’entre eux sont apparus.
On a cet endroit que j’appelle « Le cimetière » et sur cet album, on a changé en « Le jardin » et on se disait « elles ne sont pas mortes, elles n’ont tout simplement pas trouvé leur jardin » Autrefois, on l’appelait « le jardin« , on disait « elles n’ont tout simplement pas encore de maison« . On les a ressorties du dossier et on avait je pense plus confiance en nous qu’avant pour les retravailler. Avant, c’était quelque chose qu’on n’arrivait pas à faire. Une fois qu’une chanson était écrite, il était difficile de lui donner une seconde chance.
Certaines de ces chansons sont la version 15 et d’autres sont la version 1, ça dépend vraiment de la chanson. Mais certaines paroles de la dernière chanson, Dark Rainbow, sont antérieures à toutes les paroles, peut-être même au groupe ! En les sortant, on s’est un peu dit que l’idée c’était de « regarder en avant, pas en arrière ». Et je suis surtout content qu’elles aient trouvé un foyer, parce qu’on les écoutait entre les albums et on se disait « ugh, c’est une bonne chanson, elle devrait être sur un disque ! ».
SOB : Alors elles ont fleuri maintenant, elles ne sont pas mortes.
Dean : Ouais, exactement ! Le cimetière n’est plus là, c’est un jardin et elles ont fleuri, c’est une métaphore parfaite.
SOB : Vous êtes très opposés aux discriminations dans les paroles et sur scène, pouvez-vous nous dire pourquoi il est si important pour vous, en tant que groupe, d’en parler ?
Dean : Justement on a parlé de ça récemment. Je pense que toute la musique par laquelle nous étions attirés, en tant qu’adolescents, quand on commence à vraiment aimer la musique, c’était parce qu’on avait le sentiment de ne pas trouver notre place. On ne se sentait pas à l’aise, en sécurité, encore moins confiant, rien ne nous plaisait dans le mainstream.
Et donc on cherche notre place dans la vie, et le metal, le hardcore, le punk, le rock… Le rock en fait, moins, ce qui, je pense, est la raison pour laquelle nous en parlons plus aujourd’hui, mais spécifiquement le punk hardcore et le métal, ils sont tous là en disant « tout le monde a sa place ici ». Je suis un peu ému, parce que c’est très fort, et c’est pour ça qu’on a commencé à jouer dans des groupes.
On va à un concert et, pour la première fois, on se sent à sa place. Alors quand on se retrouve sur scène, on ne fait que rendre hommage à nos groupes préférés. Et puis d’un coup, notre groupe explose. On ne l’avait pas prévu, on ne pensait pas que ça pourrait un jour être notre travail, alors quand tu le fais, tu te dis juste « c’est ce que ça doit être ».
Je suppose qu’avec tout ce qui se passe, nous sommes devenus beaucoup plus conscients du fait que des gens se sentent exclus. Et donc, étant originaire du Royaume-Uni, en dépit de ce que la situation peut être actuellement, on a appris que les femmes ne se sentaient pas en sécurité à nos concerts. Et elles nous l’ont dit. Certains de nos fans peuvent être du mauvais côté des choses… Je veux dire, on ne peut pas faire énormément, mais on peut en parler à nos concerts. Pour moi, c’est le but de toute cette musique alternative. On ne sera pas numéro 1, mais plus on pourra le faire…
Je suis sûr que tu nous as vus sur scène et tu as vu les femmes dans nos mosh pits. C’est la meilleure partie du concert de savoir que, même s’il ne s’agit que de cette chanson, ou d’un seul concert, on a l’impression de continuer ce qui nous a aidés en grandissons. J’espère que cela aura un effet ricochet sur d’autres groupes. Quelqu’un m’a envoyé la story Instagram d’un groupe en disant « ils volent ton idée, c’est ton truc » et je me suis dit « non, c’est une excellente nouvelle ! ». Je sais que ces trucs sont devenus viraux sur les réseaux sociaux et je me suis dit « Super ! ».
J’ai l’impression que plus nous devenons un groupe de rock et que nous jouons avec des groupes de rock, plus cela semble démodé, l’énergie rockstar, le truc masculin. Dans le punk en particulier, ça ne ressemble pas au truc masculin traditionnel de qui a la plus grande voix dans la pièce. Il y a encore majoritairement des hommes sur scène, mais même ça est enfin en train de changer. Mais je ne sais pas, quand on entre dans la scène rock, j’ai l’impression qu’il faut en parler d’autant plus.
Par exemples d’un côté, un homme torse nu dans le mosh pit, c’est presque normal. Mais quand c’est une femme, c’est choquant, alors que non, c’est tellement puissant !
SOB : À ce sujet, on s’est posé la question, parce que vous jouez au Hellfest Festival. Je ne sais pas si vous êtes au courant mais la direction, le public et les groupes ont été très critiqués ces derniers temps, principalement à cause de choses liées à la violence envers les femmes…
Dean : Donc, au début, on nous dit simplement quelles offres on nous fait. La première chose est souvent une question de logistique et d’affaires, mais il arrive parfois qu’on nous fasse remonter cela. Habituellement, ça vient à nous, pas à notre équipe, ce qui est intéressant. Personne ne contacte nos bookeurs et ne leur dit « vous avez vu ça ? », on le dit directement à Frank et moi. Et à ce stade, on est annoncé et nous sommes sous contrat. Je ne dis pas que c’est plus facile avant ça.
Je pense que c’est une chose compliquée à gérer en tant que groupe, en particulier parce que c’est plus dans le rock et les gros trucs rock où les gens ne semblent pas s’en soucier autant. Mais on a quelques options. On peut décider d’annuler. Nous l’avons fait. On a dit qu’on ne se sentait pas à l’aise de partager la scène avec ces personnes, mais c’est généralement lors de leurs concerts. Quand on partage une scène avec plein de groupes qu’on ne connaît pas, c’est plus compliqué. Vous avez le sentiment d’avoir l’opportunité de changer l’environnement, comme avec le Hellfest, on peut monter sur scène et faire un mosh pit inclusif, et faire quelque chose qui changera un peu l’ambiance. Et l’artiste qui passe après se débrouille.
Quand cela devient beaucoup plus compliqué, c’est si l’une des accusations vise le festival ou les organisateurs. Parce que c’est une chose de ne pas être d’accord avec leur line up, c’est très différent de travailler avec cette personne. Alors oui, je vais me renseigner. Je crois vraiment que si les gens mettent un point d’honneur à parler de ces choses, on ne peut pas se contenter de faire un mosh pit inclusif et ne pas être tenus aux normes qu’on essaie de créer. Je préférerais de loin le savoir.
La seule petite chose que nous avons faite, et je suis heureux d’en parler en fait, c’est ce type Maynard James Keenan, il a eu beaucoup d’accusations. Et on n’était pas d’accord avec sa réaction. On se fichait de savoir si c’était vrai ou non, on ne le saura sûrement jamais. Mais j’ai tendance à penser que si beaucoup de gens en parlent, quelles sont les chances que ce soit faux ? C’est pas normal si plusieurs personnes se plaignent d’une même personne. Mais sa réaction a été de rire de la situation, mais ce n’est jamais quelque chose dont on doit rire.
La seule chose qu’on doit dire c’est : « Ce n’est pas acceptable ici. Ces choses se sont produites, je ne veux pas de ça dans mon festival ». Quand vous rassemblez les gens, on ne peut pas contrôler tout le monde. Mais on peut contrôler ce qu’on dit, ce qu’on ressent à propos de ce qui s’est passé, et on peut s’en soucier. Après est-ce qu’on boycotte ou est-ce qu’on essaie d’intégrer le cercle et de changer les choses de l’intérieur ? C’est une question vraiment difficile dans la vie, et je ne suis pas sûr qu’il y ait une bonne réponse. Qu’est-ce qui a le plus d’impact, quelle différence peut-on faire individuellement ? Parfois, c’est plus efficace de refuser une offre. Mais la plupart des gens ne savent même pas que nous avons refusé le concert, alors peut-être que cela aurait pu avoir plus d’impact de jouer et de dire sur scène « au fait, vous en avez entendu parler ?«
SOB : Vous allez jouer dans d’autres festivals en France ?
Dean : Eh bien, je sais qu’on a demandé à jouer à Rock en Seine, on adorerait, j’adore Rock en Seine ! Parce que le Hellfest c’est une grosse programmation, mais on a plutôt envie d’être dans une programmation plus rock et indie, surtout avec le nouvel album, et Rock en Seine est parfait pour ça, alors j’espère ! Je crois avoir vu des documents à ce sujet…
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