11 Nov Un an après, le Bataclan rouvre entre malaise, devoir et désir de vivre
Réflexion autour de la réouverture du Bataclan, un an après des attentats qui resteront gravés dans les mémoires collectives.
Si le sang s’écoule quand la chair et l’acier ne font qu’un, la pluie de demain enlèvera toutes les taches
Ces mots, qui résonnent étrangement à l’heure de la réouverture du Bataclan, un an après les terribles attentats qui ont vu 90 innocents perdre la vie, sont signés Sting : L’homme qui aura la charge – ou l’honneur, c’est selon – d’être le premier à fouler les planches d’un Bataclan flambant neuf. Ce 12 novembre, l’iconique chanteur de The Police va tourner une page de l’histoire de cette salle qui en aura vu passer des artistes plus brillants les uns que les autres – dont son propre groupe, en 1979. Pourtant, lorsqu’il a été annoncé le 4 novembre que Sting rouvrait le Bataclan, volant la ‘vedette’ à Peter Doherty, je n’ai pu m’empêcher de ressentir quelque chose de gênant. Mon coeur était heureux, mais mon cerveau était noyé entre des sentiments de malaise, d’incompréhension voire même de dégoût.
Pourquoi ce malaise ?
Le malaise, ou cette étrange impression que la réouverture du théâtre parisien était devenue un enjeu commercial et une affaire de marketing. Une course à celui qui aurait la primeur. The Cure, Eagles of Death Metal, Pete Doherty ou Sting. Qui sera celui dont le nom sera inscrit dans la postérité parce qu’il aura été le premier chapitre d’une nouvelle histoire. Le malaise, ou cette désagréable sensation que le concert de Sting, derrière la philanthropie du bonhomme, est un coup de communication mûrement réfléchi. Oui, étrangement, Sting – dont pas mal de gens ont ignoré le fait qu’il sortait un nouvel album – donne ce concert juste après la sortie de son dernier opus (dans les bacs à partir du 11 novembre).
En rouvrant le Bataclan, il fait braquer les projecteurs sur sa générosité (le type fait ça gratuitement, reverse les bénéfices à deux associations de victimes, c’est chouette) mais aussi sur sa propre actualité. Dans ma tête, l’idée que Sting fasse cela parce qu’il aime autant la musique que le Bataclan et ce que cette salle représente pour l’art à Paris, a alors disparu…
Jusqu’ici, c’est Peter Doherty qui en avait la lourde charge. Le chanteur des Libertines a une attache particulière à la salle (où il a déjà joué en solo) ainsi qu’à la ville, sa deuxième maison, à qui il dédie une chanson dans son nouvel album à paraître. De plus, ce double concert s’inscrivait dans une grande tournée française. Bref, difficile de penser que Doherty était en train de se faire de la pub sur le dos d’un Bataclan endolori mais fin prêt à renaître de ses cendres.
Alors j’en veux à Sting, ou plutôt à ceux qui gèrent sa communication, de me laisser imaginer une seconde que derrière l’hommage, les larmes, la douleur de cet anniversaire, il y a l’occasion de se faire une publicité, un acte promotionnel, et en prime, un nouveau paragraphe sur sa page Wikipédia. J’en veux aussi aux journalistes charognards, qui déjà avec Doherty, quémandaient des accréditations ou autres invitations, comme s’il était écrit sur leurs fronts ‘je pourrais dire que j’y étais’.
Bizarrement, le tourneur de Doherty doit beaucoup moins crouler sous les demandes indécentes de journalistes avides de buzz et qui n’ont guère plus d’attaches au Bataclan qu’aux artistes qui vont lui redonner vie. Ces mêmes journalistes qui seront là ce samedi 12 novembre au soir à un concert intimiste de Sting auquel ils n’auraient pas assisté d’ordinaire.
Derrière la réflexion, une vérité
Oui mais, voilà. Façonné par un monde où voir le mal partout est de rigueur, presque inconsciemment ancré en nous, on finit par ne plus voir l’essentiel. Qu’importe si Sting est opportuniste et fait une belle opération de com’. Qu’importe si des journalistes vont exploser le record de vues sur leur site d’actualité généraliste. L’important n’est pas là. Le Bataclan rouvre. Pour cette salle historique, son cœur (la scène) va battre à nouveau et son poumon (le public) va revenir avec un seul credo en tête : oublier les horreurs de l’extérieur pour faire la fête, célébrer la musique, célébrer la vie. Notre victoire sur le terrorisme, l’inhumanité. Notre force, elle est là.
Qu’importe celui dont le nom finira dans les livres d’histoire de la musique parce qu’il était le premier à jouer. Ce serait occulter l’âme du Bataclan, la symbolique de cette ouverture. Et ce serait manquer de respect à ceux qui ont perdu la vie, un 13 novembre 2015, parce que leur crime était d’avoir voulu faire la fête sur un bon rock de rednecks. On est au moins d’accord sur un point avec Sting : We shall not forget them. Nous ne devons pas les oublier.
Ceux qui sont physiquement partis ce 13 novembre 2015 mais dont l’âme de bons vivants planera ce 12 novembre 2016 et tous les autres soirs où les murs du Bataclan vibreront aux sons d’artistes venus de divers horizons. On va continuer à venir dans ce Bataclan. Y écouter de la bonne musique, danser, chanter, sauter, pogoter, slammer, boire, rire, rêver, s’échapper, s’évader. Mais on ne les oubliera pas.
J’ai donc envie de remercier ceux qui ont permis à ce Bataclan de respirer à nouveau et de se nourrir de ce pour quoi il a été construit. La vie, la fête, l’art. Merci aux propriétaires de cette salle, à leur droiture, à leur discrétion, à leur investissement mais aussi à leur courage. Au lieu d’en faire une salle-martyre, témoin d’une époque qu’on refuse d’accepter, ils ont décidé que la vie devait continuer. Comme avant. Ni plus, ni moins. Et là, ce n’est pas Sting qui a signé ces paroles, mais nul doute qu’il serait plus que d’accord avec. The Show Must Go On. Et il va.
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