Interview: Joe Goddard

A l’occasion de la sortie de Electric Lines, second effort de Joe Goddard, nous avons rencontré le musicien pour une longue interview rétrospective.

Sound of Britain: Alors, qu’est-ce que ça fait d’être à Paris ?

Joe Goddard : C’est sympa ! Bon, aujourd’hui c’est une journée d’interview, je n’ai pas eu la chance de me balader ne serait-ce qu’un peu. J’ai démarré très tôt, je suis un peu fatigué ! [rires] J’ai parlé avec des personnes très sympa, donc ça se passe plutôt bien.

Pour commencer ! J’ai vu que tu avais sorti un album solo en 2009, donc il y a maintenant quelques temps ; je voulais savoir pourquoi tu avais décidé de revenir avec un nouvel album solo en 2017.

Joe Goddard : Il n’y avait pas de gros projets en prévision, j’avais un moment de repos avec du temps pour enregistrer. En général dès que j’ai un peu de temps je me rends à mon studio pour composer, enregistrer, c’est ce que j’aime faire ! J’aime expérimenter avec mes synthétiseurs, j’en ai acheté beaucoup sans pouvoir m’en servir. J’ai commencé à faire des morceaux, et surtout apprécié à les faire sans réelle collaboration… J’ai commencé à penser que je n’avais pas besoin de mettre ces morceaux sous la houlette de Hot Chip, avec l’album sorti récemment ; je me suis donc dit que ça pouvait être une sorte de challenge de sortir ces chansons sous mon nom ! Je voulais essayer de faire tous les choix de production moi-même, sans personne d’autre intervenant.

C’était une sorte de challenge pour laisser la créativité couler à flot ?

Joe Goddard : Je pense oui !

« Je veux faire quelque chose dans mon studio sans vraiment avoir de but précis ou de concept, c’est plutôt quelque chose sur les émotions, le ressenti, qui vient au fur et à mesure »

Quelles ont été les inspirations pour ce nouvel album ? Juste des sons que tu as choisi de passer sous ta houlette et pas celle de Hot Chip, ou y a-t-il des influences particulières ?

Joe Goddard : Il y a de nombreuses choses, des influences très spécifiques pour chaque chanson. Si tu prends Ordinary Madness, le premier morceau, je voulais créer quelque chose de très RnB, de très doux, le genre de piste qu’on pourrait entendre sur des radios américaines comme Mariah Carey, quelque chose qui s’écoute facilement ! Un titre ensoleillé, plaisant, sur lequel on pourrait danser, avec une vraie douceur. J’ai voulu faire des morceaux de cette trempe. Et c’est mon genre, je veux faire quelque chose dans mon studio sans vraiment avoir de but précis ou de concept, c’est plutôt quelque chose sur les émotions, le ressenti, qui vient au fur et à mesure. Je commence à écrire, à ajouter des notes, des textures, jusqu’à trouver la progression de cordes qui fonctionne bien. On peut prendre chaque morceau indépendamment et le déstructurer de cette façon.

J’ai pu écouter ton nouvel album, Electric Lines, et j’ai noté divers samples, divers styles, c’est un album qui se réinvente sans cesse sans aucune chanson se ressemblant ! Est-ce quelque chose qui t’es venu au cours de la composition, ou une volonté définie dès le départ ?

Joe Goddard : Il n’y avait pas vraiment d’effort conscient de faire toutes les chansons différentes, mais il y avait un effort conscient de montrer mon amour pour différents types de musiques. Je ne visais pas quelque chose de très éclectique, mais naturellement je veux donner sa chance à toutes sortes d’expérimentations, c’est plus fun, plus naturel. J’aime le processus d’essayer des pistes RnB avec certaines batteries, certains synthés, certains effets, puis le lendemain de quitter cette vibe RnB pour faire quelque chose de très disco.

Y a-t-il un style particulier que tu aimes composer, avec lequel tu es plus familier ?

Joe Goddard : La musique que je produis le plus est un genre de musique très synth-house, c’est ce que j’ai le plus fait dans ma carrière. Ça peut prendre différentes formes, de la disco plus douce, des fois plus énervées, plus techno, ça peut aller à divers opposés ! Il faut essayer les pistes à différents rythmes pour voir comment ça fonctionne le mieux.

En parlant de ton nouvel album, quels sont les morceaux qui t’ont influencé et t’influencent toujours ?

Joe Goddard : Il y a des producteurs que je trouve particulièrement inspirants, par exemple Giorgio Moroder, la façon qu’il a de faire cette musique synth-disco ça a toujours été une grande inspiration. Il a quasiment inventé ce genre, avec I Feel Love, ça a tout changé ! Il a inspiré de nombreux musiciens, avec cette façon très particulière de composer. Un autre producteur serait J Dilla, de Slum Village. Il a été extrêmement influent sur la scène hip-hop, la vibe, le groove qu’il installe dans chacun de ses disques, tu peux l’entendre partout dans la musique électronique moderne. J’aime écouter les signatures soniques de divers producteurs comme Dilla, Giorgio Moroder, ils ont des identités très fortes, je les adore. Si on remonte encore plus loin il y a aussi Phil Spector ou Brian Wilson, dans les années 60. J’adore les sons de leurs albums. Il y a des jours où je veux créer en m’inspirant particulièrement de leur travail.

Ce ne sont donc pas que des influences électroniques.

Joe Goddard : C’est ça. Brian Wilson par exemple est très sur l’harmonie des voix, l’instrumentation, quelque chose de très orchestral. J’aime tous les producteurs que j’ai cité, je trouve que c’est une excellente chose pour la musique moderne d’être influencé par de nombreuses personnes. Ça donne un genre très post-moderne.

Tu bosses sur des disques solos, avec Hot Chip, avec The 2 Bears ; ça fait beaucoup de projets ! Comment conférer un son particulier à chacun ?

Joe Goddard : Si tu compares plusieurs morceaux de chaque album, la musique peut se ressembler un petit peu. Si tu prends une piste que j’ai écrite, que tu la réduis à son plus simple appareil, ça sonne assez similaire à un autre morceau d’un autre disque. Quand je commence à écrire, je ne sais pas pour quel projet ça va être, je laisse ça se faire naturellement. Quand c’est à mi-production, je décide à quel projet je vais l’associer. Quand j’amène les chanteurs pour poser leur voix sur l’instru, ça m’apparaît très clair quant au groupe avec lequel ce morceau va sortir. Un morceau comme One Life Stand de Hot Chip n’est pas très différent d’un morceau comme Home sur Electric Lines. Il n’y a pas de grosses différences quand j’écris. Il y a d’autres situations comme quand j’écris avec Raf de The 2 Bears, on démarre sur un sample que Raf a amené, et on part là-dessus, c’est très simple. Alexis de Hot Chip écrit beaucoup de morceaux pour le groupe, souvent les morceaux les plus lents, donc ça va forcément avec Hot Chip. Toutes les propositions que je fais ne sont cependant pas acceptées ; ça dépend si Alexis aime la musique et trouve les mots qui vont avec le morceau. Ça arrive souvent, il a toujours beaucoup d’idées de paroles, il en a toujours plein sur son téléphone. Il suffit que je lui joue le morceau pour qu’il trouve les paroles qui vont avec ! C’est un processus qui peut être difficile pour certains songwriters, mais ça vient très naturellement pour Alexis, il est très doué. C’est plutôt rare qu’un morceau ne fonctionne pas, mais ça arrive de temps en temps. Parfois le processus est différent, Alexis et moi écrivons ensemble, en partant de rien.

A propos de tous les projets que vous avez, Alexis Taylor est aussi en solo, Al Doyle est dans LCD Soundsystem, … Hot Chip et LCD Soundsystem étaient d’ailleurs tous les deux programmés à We Love Green, c’était incroyable !

Joe Goddard : On a beaucoup joué ensemble au fil des années, en Europe, en Amérique, en Angleterre. On a fait beaucoup de festivals et de concerts, c’est génial d’être avec eux.

Avoir d’abord Hot Chip puis LCD Soundsystem apparaît comme un enchaînement presque évident, vos musiques se complètement parfaitement ! Comment vos différents projets interagissent-ils les uns avec les autres, comment les influences sont-elles gérées entre les différents groupes ?

Joe Goddard : Il y a eu beaucoup d’influences. Quand on a tourné avec LCD, ils nous influençaient beaucoup dans cette façon de faire de la dance music live. On a beaucoup appris d’eux, dans la façon de travailler les sonorités, quelle boîte à rythme utiliser, quelles rythmiques exploiter, la façon de structurer les morceaux pour les étirer afin d’avoir un rendu live plus énergique. On a appris beaucoup de choses techniques d’eux. Quand on tournait ensemble on se rendait beaucoup à des clubs pour mixer, on apprenait beaucoup de James Murphy, de Nancy, de Taylor et des disques qu’ils balançaient ; disco, house… Ça a marché dans les deux sens, les disques qu’on avait aussi les ont aidés. On a pas mal joué ensemble de temps en temps. On a enregistré avec LCD dans leurs studios à Manhattan en 2005… Il y a toujours eu beaucoup d’apprentissage, on les a vu jouer de très nombreuses fois, c’était toujours incroyable.

Il y a un vrai échange entre LCD Soundsystem et Hot Chip, vous vous influencez mutuellement.

Joe Goddard : Maintenant Al est très important dans les deux formations, il a également aidé LCD Soundsystem avec leur nouvel album. Il connaît beaucoup de choses, joue plein d’instruments… Ç’a été le collaborateur principal de James Murphy sur le nouvel album de LCD Soundsystem.

Tu as parlé de la façon dont LCD vous a aidé à faire les bons choix de boîtes à rythme, de production, … Comment sais-tu que tu as choisi le bon matériel, que tout ça sonne bien, que le morceau est fini ?

Joe Goddard : C’est très difficile de savoir quand un morceau est fini. Il y a des moments où c’est très clair, où le morceau sonne terminé, tu sais de façon intuitive que c’est bon, ça fonctionne. Des fois c’est bien plus difficile, la chanson a besoin de quelque chose sans que tu puisses identifier quoi. Les instruments ne sonnent pas bien, ou la basse peut-être, la guitare doit être enregistrée différemment, ou alors la chanson a besoin d’un refrain en plus, la structure doit être bouleversée… C’est dur d’avoir ce jugement, il faut pouvoir s‘écarter du morceau et y revenir plus tard pour essayer d’être plus objectif et trouver ce qui ne va pas. Faire écouter le morceau à quelqu’un peut également aider. Je suis très ami avec Kieran Hebden, le mec derrière Four Tet, il me donne souvent de très bons retours sur mes morceaux. Pour Electric Lines il est venu à mon studio, je lui ai passé tous les morceaux et il m’a donné d’excellents conseils. Il m’a conforté quand un morceau était bon et il n’a pas hésité à me donner des conseils pour qu’un morceau soit meilleur. C’est une excellente tactique ! Mais c’est quelque chose de très piège dans la musique que de savoir quand quelque chose est bon ou mauvais, il m’est arrivé de gâcher des morceaux en me disant « il faut quelque chose de plus » et ça n’a pas fonctionné du tout. Ensuite c’est très dur de revenir à ce qu’il y avait avant. Je n’ai pas vraiment de réponse à cette question, il faut essayer diverses choses et voir ce qui fonctionne. Avec l’âge on a plus d’expériences, de techniques à essayer, toutes utiles, et il y a juste à les exploiter en espérant ne rien gâcher ! [rires]

A propos de ton nouvel album, je trouve aussi que l’artwork et superbe. Je voulais savoir comment l’idée, l’inspiration est venue.

Joe Goddard : Il est réalisé par un très vieil ami que je connais depuis l’âge de 12 ans, Robert Bell. Il est peintre, il a une galerie à Brixton et à Londres. Je voulais bosser avec lui pour l’artwork. J’avais déjà travaillé avec lui par le passé, il a aidé Hot Chip à réaliser le clip de Huarache Lights. J’ai fait un peu de musique pour une de ses installations à une occasion. Pour Electric Lines, je lui ai demandé de peindre quelque chose de très abstrait pour l’artwork. Je voulais quelque chose de très humain, très organique, pas juste du design graphique sur ordinateur, je voulais une vraie peinture car c’est l’aspect que je voulais donner à ma musique. Quelque chose qui ne ressort pas top numérique. En plus de ça, j’ai laissé Robert écouter les démos, je lui ai donné le titre de l’album, et il est parti de ça pour créer une œuvre qui reflète l’album.

« Je voulais un show électronique mais avec des éléments et des dynamiques provenant de Hot Chip, pleines de groove et de rythme »

J’ai vu Hot Chip en live 2 fois, c’est une expérience très dansante, très fun, et je voulais savoir comment tu comptes envisager les performances live de ton nouvel album en regard de ce que tu as appris avec Hot Chip ?

Joe Goddard : Ça va être une installation beaucoup plus petite que celle de Hot Chip, moi avec diverses machines électroniques, des synthés, mon Eurovox, mon amie Valentina qui chante sur Human Heart et Gabriel (de mon premier album). Je voulais un show électronique mais avec des éléments et des dynamiques provenant de Hot Chip, pleines de groove et de rythme. Je veux que ce soit plein de vie et d’énergie, pas juste un show d’ordinateur. Incorporer un peu de folie dans tout ça.

Sur un autre sujet, quels sont les artistes avec lesquelles tu aimerais collaborer si tu en avais l’opportunité ?

Joe Goddard : Il y en a beaucoup ! J’aime beaucoup Kaitlyn Aurelia Smith, elle a sorti un album l’année dernière, Ears. Je la trouve incroyable et j’aimerais beaucoup travailler avec elle. Elle utilise ses synthés de façon très intelligente. Il y a aussi James Holden par exemple.

Et les morceaux et les artistes que tu écoutes beaucoup actuellement ?

Joe Goddard : J’ai beaucoup écouté de la modern-dance récemment pour des DJ mix radios, j’adore les producteurs UK modern-underground comme Joe ou Bruce, qui sont incroyables. Ce sont des producteurs électroniques avec un mode de pensée fascinant, très direct. Il y a aussi un label sud-américain avec des productions très dance un peu inhabituelles, organiques. Ce sont les choses qui m’attirent actuellement, beaucoup dans la frange de modern-dance, un peu étrange.

« Il va nécessairement y avoir du nouveau avec Hot Chip, peut-être quelques démos cette année pour un album l’année prochaine, mais ce n’est pas défini »

Electric Lines ne sort qu’en Avril, mais après cet album, que comptes-tu faire ? Solo, Hot Chip, The 2 Bears ?

Joe Goddard : C’est un peu suspendu pour le moment. Il va nécessairement y avoir du nouveau avec Hot Chip, peut-être quelques démos cette année pour un album l’année prochaine, mais ce n’est pas défini. Je vais sans doute revenir avec The 2 Bears, et ce qui est sûr c’est que je vais continuer à bosser, produire de nouveaux musiciens sur mon label, Greco-Roman.

Une dernière pour la route : tu joues au Badaboum en Avril, et je voulais savoir quelle était ta relation avec le public français !

Joe Goddard : On a toujours apprécié venir en France avec Hot Chip, on a eu un concert très spécial quelques semaines après les attentats du Bataclan, dans une salle différente évidement. C’était très intense émotionnellement parlant. Pas mal de groupes annulaient leurs concerts, mais nous avons décidé de jouer tout de même, pensant que les gens aimeraient avoir ce concert. C’était très spécial, émotionnellement chargé pour toutes les personnes présentes dans la salle. Nous avons fait beaucoup de concerts à Paris tous très remarquables, on a joué une fois avec Metronomy et Late of the Pier, il y avait une ambiance incroyable. J’ai passé un excellent moment à We Love Green, et même l’année précédente quand je me suis produit avec The 2 Bears. Aux tous débuts de Hot Chip on a fait un concert absolument fou à Aix-en-Provence, il y avait un aqueduc romain. C’était un tout petit festival, on y était avec LCD Soundsystem en 2006 je crois. Tout le monde pouvait aller nager quand il le souhaitait, on a mangé de super bons poissons, on a vu de supers groupes, c’était génial. Je garde d’excellents souvenirs de mes passages en France.

Tu attends ton concert parisien avec impatience ?

Joe Goddard : Tout à fait oui !

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