10 Mai [EDITO] Faut-il sauver le soldat Guitare ?
En plein milieu de l’écoute de The Afterlove, dernière mouture de James Blunt, je me suis rappelé le syndrome du sauveur développé par Serge Pizzorno, le guitariste de Kasabian, qui souhaitait délivrer la guitare des abysses.
D’où notre question : faut-il prendre masque, tuba et boules Quies pour aller sauver le vaillant Soldat Guitare, délicatement déposé au fond des abysses ô-combien tumultueuses de l’oubli musical (aux côtés d’o-Zone, de la tektonik et du clavecin) ? Vous comprendrez, chers lecteurs, que nous ne pouvions laisser cette question hautement décisive -sinon capitale car portant sur l’advenir de la musique- sans réponse.
Le Rock est mort, vive le Rock.
Retour en arrière : nous sommes en 2014. Triste nouvelle : le rock’n’roll est mort, ou du moins mal en point (parait-il). Pas d’épitaphe dans le New-York Times cette fois-ci, mais un groupe, Kasabian, déclarant se considérer comme l’un des derniers représentants du rock. Une poignée d’inéluctables britanniques contre une tendance populaire allant de plus en plus vers d’autres styles, comme le rap ou l’électro, pour résumer. C’est donc contre cette mouvance musicale toujours plus forte que le groupe a sorti, dans la lancée de ses déclarations, 48:13, un album expérimentant entre rock, musique électronique et hip-hop. Le dernier groupe de rock, le sauveur de tout une génération, serait-il phagocyté par les genres musicaux qu’il souhaitait combattre ?
Suite de notre histoire. Nous sommes en l’an de grâce 2017, qui en plus de voir le retour de Tokio Hotel, doit supporter de nouvelles déclarations de Kasabian (les embrouilles ça arrive toujours en escadrille, disait un ancien Président). Cette fois-ci ce n’est plus le rock qui est mis en cause, ou pas directement, mais la guitare, l’instrument en lui-même, qui serait dans les abysses de la musique. Le fond du trou pour cet instrument, que même la lumière n’ose plus côtoyer. Pire encore, parmi les Adèle, Ed Sheeran et autres joyeux lurons qui nourrissent les stations radio, seuls les Arctic Monkeys, les Libertines et Kasabian seraient dignes de représenter le rock des années 2000. Trois groupes contre le reste du monde, ça fait pas beaucoup, surtout quand dans le reste du monde il y a Shakira et Kendji Girac.
Du coup, vous imaginez que des questions fusent dans notre cerveau : faut-il congeler Kasabian de manière préventive, afin de le placer dans le musée du melon ? Faut-il interdire Justin Bieber ? Faut-il supprimer tous les instruments qui ne sont pas des guitares ? Si oui n’est-ce pas raciste envers les banjos ? Tant de questions.
Nostalgie, anxiété et nombrilisme.
Car il faut dire une chose : Kasabian regrette principalement que ses albums ne soient pas davantage couronnés de succès par l’opinion, et ils le mériteraient. Sinon, comme expliquer que l’on puisse se targuer de défendre la musique, en ne considérant que celle qui se place dans le TOP40 ? Et qui plus est, en pensant que la musique n’existe qu’au Royaume-Uni (manque de chance, je ne vais pas trop pouvoir la ramener : Sound of Britain ne couvre que des groupes britanniques) ? Un peu de nostalgie des années 2000′, sans doute, où pullulaient Kaiser Chiefs et autres Franz Ferdinand.
Mais justement, il semblerait qu’un groupe ancré dans le paysage musical comme Kasabian aie un autre devoir (outre celui de se plaindre et de m’obliger à faire des éditos) : celui de se renseigner sur la musique, et de préparer la suite en propulsant des groupes prometteurs. Sauf que problème : Kasabian nie totalement ces nouveaux arrivants dans le domaine de la musique. En 2014, le groupe Catfish and the Botlemen répondait à une interview pour la sortie de leur premier album The Balcony, et eut l’occasion de faire suite aux précédentes déclarations de Kasabian : « Kasabian a tort; le rock n’est pas mort, il faut juste vouloir chercher, creuser, pour trouver des groupes comme le notre. »
En une phrase, un groupe alors inconnu a délicatement placé Kasabian en Position Foetale de Sécurité.
Vouloir délivrer la guitare des abysses suppose, en soi, de combler une sorte de nostalgie. Comme un « c’était mieux avant », une conservation de la forme au déni de l’essence, un Front National de la musique. Et c’est dommage. Car s’il y aura toujours du rock, grâce à des passionnés et des nostalgiques, toute la musique reste à écrire. Et elle s’écrit en considérant le style, mais aussi le présent. C’est donc tout naturellement qu’elle se nourrit des préoccupations de son époque, mais aussi des influences artistiques de son temps, à part si l’on souhaite faire dans le retro à outrance. Toujours est-il que le rock s’apprécie dans sa complexité : qu’il soit indé, garage, metal, pop ou bien progressif, il contente les puristes en cultivant ses différences. De Tame Impala à Rammstein, en passant par Steve Hackett, le rock ratisse large et garde toujours ce qui fait son essence : l’utilisation de la guitare et de la passion. La musique, bien qu’évoluant sans cesse au fil du temps, ne peut s’empêcher de lorgner sur son histoire.
Le Rock est vivant, vive le rock.
Alors faut-il sauver le soldat guitare ? Il ne semble pas qu’il aie besoin d’être sauvé. Le débat de la dualité entre la musique radiophonique et la musique de puriste est un débat ancien et redondant. Dans le milieu des années 1940, l’arrivée du Rock’n’roll, alors inspiré du jazz et d’autres courants, rentre en opposition avec les styles et les codes de son temps. Il était alors impossible, à une époque où la musique afro-américaine était mal vue et qui il y avait encore dans l’opinion une forte attirance pour l’art lyrique, d’imaginer une musique aussi impétueuse que le rock. Et pourtant, 80 ans après ce revirement de mode, l’art lyrique est toujours bel et bien présent. Et c’est ainsi que marche la musique : un engendrement perpétuel de styles, qui arrivent à innover en n’oubliant jamais d’où ils viennent.
C’est exactement pour cela qu’il faut être attentif, lorsque l’on s’intéresse à la musique. Il faut savoir apprécier ce que l’on nous montre, mais aussi savoir découvrir, user de sa curiosité et parfois de son ignorance. Il faut tâtonner, jusqu’à trouver le groupe, la voix, la chanson qui nous fait frissonner et pouvoir enfin dire : non la musique n’est pas morte, son existence ne fait que commencer, et comme les grands monuments perdurera tant que l’humanité existera.
Et c’est justement dans ce type de contextes qu’intervient le journaliste musical. Se substituant à ceux qui ne veulent pas chercher, où qui ne savent pas où chercher, il va parcourir labels et disquaires afin de représenter les artistes connus, mais aussi inconnus.
A ce titre, afin de clore cet éditorial de la plus belle des manières nous souhaitons montrer à Serge Pizzorno que non, la musique n’est pas morte, et que non, il ne faut pas sauver la guitare : il faut juste faire la musique que l’on aime. Voici donc une liste non-exhaustive d’artistes rock, ou d’influence rock, dont vous, lecteurs, reconnaitrez sûrement quelques noms. Si ceux-ci ont des orientations diverses, ces artistes ont tous un point commun : ils utilisent le rock comme un moyen de s’exprimer, et sont actuellement en train de faire leurs preuves, ou les ont déjà fait, sur la scène internationale. Qu’elle soit en arrière plan, ou bien prédominante, la guitare marque les morceaux de son empreinte. Alors Serge, on attend quoi pour s’y intéresser ?
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