07 Nov [Interview] Shock Machine : le projet solo d’un artiste aux multiples facettes
C’est fin octobre, quelques heures avant son concert à La Maroquinerie à l’occasion des [PIAS] Nites, que nous retrouvons James Righton de Shock Machine. Prévu pour le mois de février 2016, son premier album solo a été repoussé. Deux fois. Finalement, c’est le 25 août, soit le jour de l’anniversaire de son interprète, qu’il voit enfin le jour. Un contretemps qui est loin d’avoir démotivé Righton. Outre les concerts qu’il a assurés avec son groupe, l’ex-Klaxons a profité de 2017 pour écrire son deuxième album, collaborer avec Tom Rowlands (Chemical Brothers) et Soko, composer la bande originale du prochain film de Simon Amstell, réaliser ses propres clips et jouer les DJs. Oh, et défiler pour Gucci à Florence.
La dernière fois qu’on s’est vu, tu parlais de t’installer en France. Alors, où en est ce projet ?
Je n’ai pas encore déménagé, mais je suis quand même revenu en France régulièrement. J’y ai réalisé un nouveau clip, y ai passé mes vacances,… et j’étais même là la semaine dernière ! J’essaie de venir tous les mois. Mais un de mes amis m’a dit, « Tu aimes ce pays parce que tu n’y vis pas ». Ce que je peux comprendre. Tu ne vois que le côté positif d’un endroit, quand tu n’y viens que pour le plaisir.
Tu as récemment retrouvé tes amis français de Justice à Londres, avec qui tu avais justement joué à Paris il y a quelques années…
Oui, c’était fantastique. La dernière fois que Klaxons a eu la chance de jouer à la Brixton Academy, c’était Justice qui était en première partie. Alors, c’est génial d’inverser les rôles 10 ans plus tard. On ne s’était pas parlé depuis des années, mais quand ils ont entendu Shock Machine, ils m’ont contacté pour que je joue avec eux. Alors, c’était vraiment de super retrouvailles.
Ton album est finalement sorti au mois d’août. Tu l’as retouché entre temps ?
Non, pas du tout. C’était une décision du label, je pense qu’il voulait avoir un peu plus de temps pour le sortir. Et puis il y a eu cette idée de faire une exposition, ce qui était plutôt cool, mais c’était trop cher, donc c’est tombé à l’eau. Et puis il y a eu du retard avec un clip… À la fin, je n’attendais qu’une chose : qu’il sorte.
Et puis tu as déjà commencé à écrire de nouveaux morceaux, non ?
Oui, j’ai fini d’en composer et d’en enregistrer une bonne partie. La semaine prochaine, je vais enregistrer ma voix, j’ai les démos… Alors oui, j’ai vraiment envie de travailler là-dessus. Et cet album sonne différemment, il y a moins de synthé. Presque pas de synthé, en fait. Une de mes amies, qui a travaillé avec Radiohead et qui a une formation musicale plus classique, m’a aussi aidé à obtenir le son que je voulais. Je n’ai qu’à lui dire que je cherche un truc à la Melody Nelson ou plus d’instruments à cordes, et elle comprend tout de suite ce que je veux.
Tu as pas mal traîné avec Soko aussi, je crois ?
Oui, c’est vrai. C’était pour son album. Elle m’a appelé, on a discuté et elle est venue à Londres. On a travaillé sur quelques morceaux, je crois que l’un d’eux sera sur son prochain disque. Je l’aime beaucoup, elle a tellement de talent ! Elle crée des mélodies étranges, mais très belles.
Et tu as bossé sur la musique originale d’une pièce de théâtre…
Oui. C’est une pièce de Bertolt Brecht, sur la vie de Galilée. J’ai simplement travaillé sur une des chansons, avec Tom, des Chemical Brothers, qui, lui, a réalisé le reste de la musique. J’ai vraiment adoré cette expérience. Tout le monde souhaite que la pièce ait le plus de succès possible, alors chacun se donne vraiment à fond pour rendre ça possible. J’ai adoré faire partie d’une aussi grande équipe.
Tu étais assez libre dans ta manière de travailler ?
Eh bien, en fait, je ne savais pas grand chose de Brecht au début. Mais dans son texte, il y a une chanson appelée The Ballad Singer. Alors, j’ai dû transposer ces paroles en musique, quelque chose d’assez folk. C’était vraiment amusant. Ensuite, on a envoyé le résultat final au metteur en scène, Joe Wright, et il a aimé, alors il nous a demandé de venir aux premières lectures de la pièce. C’était assez angoissant de jouer devant tous ces acteurs. Mais ils étaient adorables.
Après le théâtre, c’est maintenant pour le cinéma que tu composes de la musique…
Oui, c’est pour un film du comédien britannique Simon Amstell [ndlr, Amstell a réalisé le clip Something More de Shock Machine]. Amstell est une sorte de Woody Allen, j’espère que ça ne le dérange pas que je dise ça, dans le sens qu’il est un peu névrosé. Il a déjà fait un film sur le véganisme, Carnage, pour la BBC.
Dans celui-là, il y a un groupe. Donc, j’ai écris trois chansons que nous avons déjà enregistrées et je vais composer la bande originale dans les mois à venir. L’un des acteurs principaux est français d’ailleurs, il s’appelle Phénix Brossard. J’aime beaucoup l’histoire du film et le style de Simon. C’est quelqu’un avec qui j’ai toujours aimé travailler, on discute souvent de nos idées réciproques. Il a un esprit tellement clair, je ne sais pas s’il a déjà bu de l’alcool, il est vegan, et il a un esprit vraiment sain et pur. C’est une sorte de thérapeute pour moi. Un ami et un thérapeute.
En parlant de réalisation, tu es passé derrière la caméra récemment.
Ouais, j’ai réalisé les deux derniers clips. C’était simplement pour une question d’argent, le label voulait de nouvelles vidéos, mais il n’avait pas d’argent pour en produire d’autres. Alors, après des mois à me demander comment j’allais m’en sortir, j’ai fini par apprendre.
En fait, j’ai eu beaucoup de chance, parce que j’ai rencontré la réalisatrice Sophie Muller [ndlr, qui a réalisé des clips pour Eurythmics, Annie Lennox, Bjork, Blur, Radiohead, Coldplay…] et je lui ai dit, ‘J’adore votre travail.’ On s’est bien entendu, elle m’a montré comment utiliser Adobe Premier, et quand j’étais à l’étranger, elle m’a conseillé de me filmer, ou de demander à d’autres personnes de me filmer. Ce que j’ai fait. Ensuite, je l’ai recontacté et elle m’a montré différentes façons d’éditer une vidéo. C’est tellement valorisant de se rendre compte que tu es capable de faire ça toi-même. J’avais des images filmés sur différents supports, et je n’étais pas sûr de pouvoir les mélanger, mais elle m’a tout de suite dit : « Bien sûr que tu peux le faire. Il n’y a pas de règles. » Et c’est vrai, il n’y a pas de règles Pas de bonnes ou de mauvaises façons de faire, il faut s’amuser et tenter des choses, comme on peut le faire avec des logiciels musicaux. Ça m’a encouragé à faire d’autres vidéos, comme Strange Waves, sur une plage, et puis Let Her Love In, en vacances. Et j’ai envie de continuer à en faire.
Donc maintenant, tu vas pouvoir t’occuper du prochain album presque tout seul ?
Je le produis moi-même. James Ford, qui est quelqu’un de très bons conseils, joue à nouveau de la batterie. Je travaille aussi avec le même ingé, Jimmy. Alors j’ai enregistré une partie de la batterie, la basse, le synthé, la voix, tout ça dans mon petit studio de Londres.
Pas de cabine dans le sud de la France et de cigales cette fois-ci ?
Non, c’est vraiment un album londonien.
Et j’imagine que c’était aussi plus simple de rester à Londres et d’être près de ta fille.
Oui, j’ai des horaires de bureaux, du lundi au vendredi. Pour moi, ce qui est difficile lorsque tu commences à travailler sur un disque, c’est de se lancer, d’échapper à la procrastination. Pour cet album… J’ai beaucoup écrit après l’annonce du Brexit. Pas que ce soit un album sur le Brexit, mais j’ai été inspiré par l’idée d’être perdu sur une île, de vivre dans un endroit que tu ne comprends plus. Ce n’est pas qu’une question d’aliénation, mais ça a été un choc. De vivre en Grande-Bretagne, de se sentir vraiment très européen, et puis tout d’un coup, de ne plus l’être. J’étais en colère. Il y a aussi cette idée de séparation, que ce soit au sein d’un couple, d’un groupe, ou d’un pays. J’avais aussi une palette de couleurs en tête…
C’est vrai que les couleurs étaient déjà très importantes dans ce premier album, de la pochette aux vidéos…
Quand je travaille, je réfléchis toujours au visuel de l’album. Si celui-là était assez coloré et estival, le prochain est monochrome et plus sombre. C’est toujours de la pop, mais… La dernière fois qu’on avait discuté, je n’étais peut-être pas aussi à l’aise en tant que frontman, j’étais un peu timide, mais maintenant, ce n’est plus le cas. Ça ne me dérange pas de m’exposer un peu plus.
Qu’en est-il de tes influences alors ? Tu as dit que tu n’utilisais plus de synthé…
Ouais, le seul que j’ai gardé, c’est mon Wurlitzer. Je suis tombé amoureux de cet instrument. C’est un piano électrique, avec un son très années 70, très Roxy Music. Il y a un morceau qui est étrangement country, et dont je suis très fier. Une autre, parle du diable, et il est assez menaçant et monstrueux.
Le fait d’être frontman a une influence sur mon écriture. Pour cet album, j’ai l’impression d’entrer dans la peau d’un personnage un peu décadent, qui est brisé et qui a bu trop de vin. Un peu comme dans un roman de F. Scott Fitzgerald. Ou de Tennessee Williams. C’est assez étrange, il y a du saxophone, des éléments de cabaret ou du théâtre. Il y a aussi un morceau à propos d’un artiste et de cette idée de mettre un masque chaque soir, et de monter sur scène. Bref, j’ai déjà réfléchi à tout, du titre, à la pochette, aux gens avec lesquels j’aimerais collaborer. J’espère le terminer pour Noël, et le sortir l’année prochaine.
Comment cela va-t-il se passer avec ton groupe ? Metronomy sont en tournée et Friendly Fires ont annoncé leur retour…
Il change pas mal. Il y a Joséphine, qui fait beaucoup d’orchestrations pour moi, qui remplace parfois Michael ou d’autres membres du groupe s’ils ne peuvent pas jouer. À la fin de l’année, je vais jouer aux États-Unis, alors j’ai dû monter un groupe là-bas. Alors, évidemment, il faut répéter un peu plus. Mais j’ai eu de la chance, parce que j’ai demandé à quelques gars là-bas, je leur ai envoyé les morceaux, et ils ont très vite accepté. Maintenant qu’il y a moins d’argent qui circule dans ce milieu, j’ai l’impression que de plus en plus de musiciens font partie de plusieurs groupes. Surtout aux États-Unis, cela semble normal de jouer avec différentes personnes. Et j’adore ça ! C’est un peu comme de recommencer à zéro. Mais oui, on a eu de la chance que les concerts ne clashent presque pas avec la tournée de Metronomy, pareil pour Edd Gibson (Friendly Fires) pour le moment.
Tes tenues Gucci font aussi partie intégrante du groupe…
Ouais, c’est dingue. En fait, lorsque j’étais en tournée avec The Lemon Twigs au Royaume-Uni, le directeur de la création de Gucci est venu assister à leur concert Londonien. Et puis je suis arrivé sur scène avec un de leurs costumes et une semaine plus tard, je recevais un e-mail disant qu’ils avaient adoré le concert et qu’ils aimeraient que je vienne à Florence pour défiler avec Jehnny Beth pour la collection Gucci Croisière. Comme je n’avais jamais fait ça de ma vie, je me suis dit, ‘Pourquoi pas ?‘ Donc, j’ai été à Florence et j’ai rencontré les directeurs de la marque. Ils m’ont donné un costume pour le défilé, m’ont proposé d’être DJ pour celui de Milan, et c’était dingue, j’ai pu jouer juste avant Bjork ! Ensuite, ils m’ont demandé ce que j’aimerais porter comme costumes, j’ai demandé du doré, et voilà.
J’ai eu tellement de chance. J’aime énormément ce qu’ils font, ils sont tellement en avance par rapport aux autres créateurs. Je ne suis pas tellement la mode, mais j’aime beaucoup ces costumes, ils collent parfaitement à l’image que j’ai de Shock Machine. J’ai toujours pensé que la musique et la mode étaient très liées. Tu joues avec les apparences et la réalité… comme l’a fait Bowie. C’était important pour lui. Et puis, souvent, tu vois la personne avant d’entendre sa musique. Bref, c’était vraiment un coup de chance de faire la connaissance des gens de Gucci, surtout qu’ils sont vraiment adorables.
Ça te dirait de défiler à nouveau ?
Je suis prêt à tout pour eux ! Mais c’était très angoissant. Elton John était là aussi, et juste avant le défilé, il m’a dit « Essaie de ne pas tomber ! », parce que j’avais un pantalon pattes d’eph. J’avais l’impression d’être dans un rêve totalement surréaliste. Mais merveilleux.
J’écoutais l’émission de la BBC, Desert Island Disc, l’autre jour et je me suis demandée : y-a-t-il une chanson, ou un disque, qui est plus important que les autres pour toi ?
Pour être honnête, ce n’est pas quelque chose que j’écoute beaucoup aujourd’hui… Mais je me souviens vraiment très bien de la première fois que j’ai entendu Ok Computer de Radiohead. Je me suis demandé, ‘Mais, mais qu’est-ce que c’est ? Alors, la musique peut aussi ressembler à ça ?’. Parce qu’à l’époque, la plupart de la musique qu’on entendait, c’était plutôt de l’indie britannique, et ce n’était pas forcément très inspirant. Mais c’était tout ce que je connaissais, et ça me convenait. Alors, le jour où j’ai découvert ce disque, ça m’a ouvert la porte vers de nouveaux horizons et vers de nouveaux artistes, musicaux et visuels, parce que les clips étaient géniaux. J’étais absolument obsédé par eux, au point de les suivre à travers l’Europe pour les voir en concert. Ça a cimenté mon désir de tenter ma chance et de devenir, moi aussi, musicien. C’est marrant parce que, maintenant, j’ai beau ne pas beaucoup les écouter, j’adore toujours autant Radiohead. Ils font partie des meilleurs.
En ce moment, j’écoute plutôt les Beatles, pas que le groupe, mais aussi leurs projets en solo. Le White Album, Band on the Run, Imagine… J’ai écouté Jealous Guy l’autre jour, et c’était fascinant, parce que je connais cette chanson par cœur, mais elle arrive quand même toujours à m’épater. Le sentiment de cette chanson. C’est parfait.
Et tu n’écoutes pas de nouveaux groupes ?
Ce que je fais, c’est que j’écoute ces playlists sur Spotify, genre Weekly Discovery. J’ai l’impression de faire quelque chose de mal, parce que ça va à l’encontre de tout en ce que je crois, mais en fait, ce n’est pas si différent des mix-tapes. Alors, grâce à ça, je découvre toujours de nouveaux morceaux, qu’ils soient récents ou plus anciens. Mais tu sais ce que j’écoute en boucle en ce moment ? 10 000 HZ Legend, de Air. C’est étrange, et sombre, mais j’adore le son de la batterie. Et c’est tellement bien écrit.
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