Interview: Everything Everything

Quelques heures avant leur exceptionnel concert à la Maroquinerie, nous avons rencontré Everything Everything afin de décoder A Fever Dream.

Cela fait 2 depuis ans depuis votre dernier passage en France ; qu’est-ce que cela vous fait de revenir ?

Jeremy Pritchard  (basse, chœurs) : C’est génial ! Il fait très beau aujourd’hui, ça nous change de notre dernier passage, en plein mois de Novembre, une semaine après les attentats du Bataclan… Jouer un concert parisien à ce moment-là était lourd de sens, on en était conscient. On est heureux que des gens soient venus nous voir, c’était émotionnellement très chargé.

Jonathan Higgs (chant, guitare) : On est heureux de pouvoir revenir dans des circonstances moins sombres !

Quelle est votre relation avec le public français ?

Jonathan Higgs : Très bonne !

Jeremy Pritchard : C’est dur pour des groupes britanniques de percer en France ! Vous avez une culture assez fermée et il est compliqué pour les groupes anglais de rentrer dans cet espace ; mais c’en est d’autant plus gratifiant une fois qu’on y arrive ! On est amis avec Foals et ils s’en sortent très bien en France, et je vois très bien la chaleur du public français à leur égard, j’en suis très jaloux !

Vous avez souvent collaborés avec Foals, notamment au Zénith en 2013 où vous étiez venus jouer avec eux pour la fin de leur set !

Jeremy Pritchard : [rires] Oui, c’était extrêmement fun !

Avez-vous d’autres projets prévus avec eux ?

Jonathan Higgs : On a fait plusieurs tournées avec eux, une grosse tournée UK ensemble, une tournée européenne juste avant, bien qu’il n’y ait pas eu de concerts en France je crois… On a une relation de soutien très fort les uns envers les autres qu’on apprécie.

Arrière, droite: Jeremy Pritchard
Avant, droite: Jonathan Higgs

Je voudrais revenir sur votre dernier album A Fever Dream ; je trouve que c’est un album très différent des précédents. Quelles ont été vos influences et vos inspirations pour celui-ci ?

Jonathan Higgs : Nous voulions faire quelque chose d’un peu plus varié. Get To Heaven avait un son globalement très positif, très dark, sans tendresse, sans vulnérabilité, sans fragilité dessus. On avait envie de revisiter certains de ces moments de notre passé, mais en même temps on est allés à fond dans une autre direction, beaucoup plus heavy, et avec beaucoup plus d’inspirations électroniques. On s’est servis de beaucoup de sons qu’on aimait de nombreux genres ; de la early dance music, du rock 90’s…

Jeremy Pritchard : Voilà, ce sont vraiment les pôles qui ont guidé cet album ! Le fait que l’on puisse avoir des chansons plus tendres, avec ces inspirations early 90’s, rock 80’s.

C’est un album qui va effectivement dans plein de directions : l’électronique de A Fever Dream, les titres plus heavy comme Big Game et Ivory Tower… Comment avez-vous fait pour mixer tout cela de façon très cohérente ?

Jonathan Higgs : Ça ne nous est jamais apparu comme quelque chose de très difficile, je pense qu’on joue naturellement ce genre de musique. C’est ce que nous avons fait jusque-là, mai poussé encore plus loin cette fois. Ça ne nous a pas paru étrange de faire cohabiter tous ces morceaux les uns avec les autres ; ça a toujours été comme ça pour nous !

Jeremy Pritchard : On a toujours des bases solides pour chacun de nos albums. Même si la transition d’un album à un autre peut paraître étrange, pour nous c’est toujours naturel, c’est en parlant à d’autres gens qu’on se rend vraiment compte de ce qu’on a fait.

Vous avez un son très singulier au sein de la scène musicale UK, vous êtes ce genre de groupe qu’on ne peut comparer à aucun autre. Que pensez-vous de ce statut unique, d’outsider ?

Jonathan Higgs : On a toujours été des outsiders je pense. On ne sonne pas comme notre ville, pas comme notre… Ok, peut-être un peu comme notre pays ! Mais nous n’avons jamais eu de souci avec ça, avec le fait d’être des outsiders sans vrai zone de confort, de ne pas être juste une autre brique dans le mur. J’aime bien la position que nous occupons. On y est bien. On est acceptés comme une part intégrante de la scène, ce qui est cool ; ça n’a pas toujours été le cas !

Jeremy Pritchard : On est juste restés fidèles à nous-même jusqu’à ce que des gens viennent nous voir sans nous dire « Cassez-vous ! » [rires]


Vous êtes un groupe depuis 10 ans, et une hype s’est construite autour de vous grâce à Get To Heaven ; excellentes critiques, tant presse que publique, même par le vidéaste theneedledrop… Avez-vous l’impression d’avoir finalement la reconnaissance que vous attendiez ?

Jonathan Higgs : Ça s’est construit très lentement ! On ne connaissait pas theneedledrop auparavant, mais apparemment une bonne review de sa part est un plus non-négligeable ! Get To Heaven nous a permis de réaliser la force que cela nous conférait de réaliser la musique que nous voulions réaliser, sans être aliénés. Man Alive et Arc étaient des exercices, des entraînements, mais on apprend de chaque album. Get to Heaven a été le mariage de nombreuses choses, et je pense que c’est ce pourquoi les gens l’ont remarqué.

Pour revenir un peu sur A Fever Dream, je voulais savoir quelles avaient été les inspirations pour les paroles, toujours très cryptiques, très complexes ?

Jonathan Higgs : Beaucoup de choses dont je parle d’habitude, mais cette fois à un niveau plus humain, plus personnel. Beaucoup de choses quant à notre suspicion des autres, la division de la société, des familles, des pays, … Ce sont vraiment les thématiques principales de l’album. Le « fever dream » est le fait d’être dans un rêve, dans un monde qui parait irréel, imprévisible, inconfortable, ce qui est en phase avec tout ce qui s’est déroulé ces dernières années.

J’aime beaucoup le travail sur les artworks de chacun des albums, et je voulais savoir quelle avait été l’inspiration derrière l’artwork de A Fever Dream ?

Jonathan Higgs: Nous voulions donner l’impression d’une société divisée, des gens nus ne donnant aucune indication quant à leur localisation, leur couleur de peau… Garder juste l’aspect humain, très primal.

Jeremy Pritchard : On ne sait pas où chacun commence ou termine, ils se fondent les uns dans les autres.

Jonathan Higgs : Ils sont tous coincés ensemble, ils essaient de se séparer les uns des autres, c’est étrange, c’est magnifique, on dirait une sorte de cauchemar, de rêve, un peu comme un Goya.

Jeremy Pritchard : C’est un peu du Francis Bacon dans le sens où c’est très viscéral, très physique, avec tous ces gens qui ressemblent presque à de la viande. C’est à la fois horrible et tendre… C’est de tout cela que ça vient ! On a exploré plein de techniques : impression, analogue, afin de ressortir avec la texture que nous voulions. Pour cela, on a dû shooter tous les modèles en partant de rien. Nous n’étions pas là [rires], mais des gens ont charbonné dur à prendre toutes ces photos de modèles. Nous nous sommes ensuite occupés de la coloration ; un designer, Joel Mortimer, s’est chargé de tout superviser, il y a passé un temps fou !

Toutes vos chansons partent systématique dans de nombreuses directions en restant cependant très cohésives : comment retranscrivez-vous cela en live ? Gardez-vous la composante live en tête durant vos enregistrements ?

Jeremy Pritchard : Nous évitons de réfléchir à cela autant que possible ; ça nous contraindrait ! Il est bon d’être capable de passer outre cet obstacle tout comme il est bon de pouvoir simplifier certaines atmosphères trop ancrées dans le studio. C’est plutôt du cas par cas qu’une chose générale. On fait toujours en sorte de pouvoir recréer en live toutes les sonorités développées en studio, car on passe tellement de temps dessus en studio ! [rires] On ne veut pas lâcher en live une version stripped back et décevante.

Jonathan Higgs : En studio on essaie toujours de faire ce qui est le meilleur pour le morceau, si on peut on fait, si on ne peut pas on ne fait pas ; ou on triche un peu! [rires]

Jeremy Pritchard : Live et studio sont les deux faces d’une même pièce, et interagissent toujours ensemble quoi qu’il arrive.

Jonathan Higgs : Nous essayons toujours de jouer le morceau en tant que groupe avant de l’enregistrer.

Jeremy Pritchard : On a un musicien additionnel qui est avec nous depuis 5 ans et sans lequel on ne pourrait tout simplement pas tourner. Il est très important dans le groupe ; dès qu’on a fini d’enregistrer et qu’on est totalement soûlés par l’album [rires], on lui refile toutes les parties complexes en lui demandant « comment on va faire ça ? » [rires] Il passe en revue tout l’album et il se débrouille pour toujours arranger les choses. Il y a une bonne raison pour laquelle Jon[athan] a arrêté de jouer les claviers durant les lives, –

Jonathan Higgs : Bien que j’ai dû m’y remettre pour cet album [rires]

Jeremy Pritchard : Ça créait une barrière physique entre lui et le public.

Jonathan Higgs : On est très fiers de pouvoir se produire en tant que groupe sans bande enregistrée à balancer à tel ou tel moment. On peut jouer dans une configuration de 4 membres, mais tout le monde est beaucoup trop occupé ! Ce n’est pas du plaisir, c’est plutôt une sorte de vidéo d’apprentissage [rires] L’impact émotionnel est totalement happé par nos mouvements de poulpes affairés ; je n’aime pas ça du tout. Quand je vais à un concert, je n’y vais pas pour me dire « Oh mon dieu, regarde tout ce qu’il fait avec ses mains ! » mais pour me dire « Qu’est-ce que je ressens quand il chante cette note ? »


Comment composez-vous vos setlists, entre nouveaux et anciens titres ?

Jeremy Pritchard : Ce soir on considère ça comme notre propre show, en headline, donc on va jouer beaucoup de nouveaux titres. On aime bien jouer d’anciens titres, ressusciter des morceaux qui n’ont pas été joués depuis un bout de temps. Ce soir, ce sera majoritairement le nouvel album. Le reste de cette semaine on ne joue que des festivals, donc on arrondira un peu les angles au niveau de la setlist, avec un peu plus d’anciens morceaux. Ce n’est pas tant une question de quels morceaux jouer mais plutôt de quel flow créer avec ces enchaînements.

Jonathan Higgs : Tu ne peux pas jouer trois morceaux d’affilée comme The Peaks par exemple, tu ne peux pas faire trop de chansons calmes d’un coup. Tu dois jouer tous les singles [rires], tu dois bien réfléchir à comment agencer tout ça.

Jeremy Pritchard : C’est un art de réussir à créer une ambiance, puis de switcher avec une autre, puis une autre, puis une autre, … C’est quelque chose qu’on aime faire !

Qu’y a-t-il de prévu dans le futur pour Everything Everything ?

Jeremy Pritchard : On va se rendre en Amérique en Octobre pour une semaine ou deux, puis on sera en Australie vers la fin Décembre, puis le Nouvel-An, puis on tourne en Angleterre en Février, Mars… Avec un peu de chance on reviendra en Europe !

Jonathan Higgs : Au moins pour la grande saison des festivals !

Jeremy Pritchard : On aime beaucoup revenir par chez nous. On ne fait que 4 concerts cette semaine, mais ça nous paraissait important de revenir en France le plus tôt possible.

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