Roy Thomas Baker

Ces producteurs qui ont marqué l’Histoire : Roy Thomas Baker

Dans cette série d’articles, nous revenons sur le parcours de dix producteurs britanniques qui ont marqué l’histoire.

Qu’est-ce qu’un producteur de musique  ? Contrairement au cinéma, le rôle d’un producteur n’est pas de financer un enregistrement, il intervient dans la conception de celui-ci. Son intervention est diverse et varie en fonction des producteurs et des artistes. Leur mission est de faire en sorte que les morceaux, EPs, et albums enregistrés soient les meilleurs possibles. Pour cela ils peuvent guider les musiciens, proposer des arrangements ou des nouvelles méthodes d’enregistrements, etc. Ce qui les intéresse est que le produit fini soit beau et cohérent. Celui sur lequel nous nous concentrons aujourd’hui, après George Martin et Gus Dudgeon, explique qu’il est « là pour faire le meilleur disque possible ».

Un début de carrière similaire à Gus Dudgeon

Roy Thomas Baker commence sa carrière de la même manière que Gus Dudgeon : il rentre en tant que tea boy (un nouvel entrant aux missions variées avec peu d’importance) aux studios du label Decca dans les années 1960. Travaillant avec les ingénieurs son, il participe à de nombreux enregistrements, notamment d’opéra avec la D’Oyly Carte Opera Company, ce qui l’aidera pour la suite. Puis, en 1969 il suit Gus Dudgeon aux studios Tridents en tant qu’ingénieur où il travaille pour Frank Zappa, Santana et autour de Elton John et David Bowie. Il produit déjà quelques albums, pour Free, Nazareth ou encore Gasolin. C’est dans ces studios qu’il découvre Smile.

Roy Thomas Baker et Queen

Smile, c’est le premier nom de Queen, un groupe avec lequel Baker va collaborer pour leur quatre premiers albums et Jazz. Dans les articles précédents, on évoquait le fait que le travail d’un producteur dépend beaucoup de la relation qu’il a avec les artistes avec lesquels il travaille. Baker et Queen ce sont des âmes créatives qui se rencontrent. Lors de l’enregistrement de leur deuxième album Queen II, Freddie Mercury dit au producteur : « Si tu as eu des idées que tu ne peux pas utiliser avec des groupes ennuyeux, de type humain, on les essayera ici ». Et il y a eu de nombreuses idées jamais utilisées auparavant. Il s’est notamment concentré sur la batterie où il inséra des bandes d’enregistrement de cymbales, de toms et de gongs à l’envers dans l’album.

De même, Brian May s’est toujours intéressé aux enregistrements superposés de guitare. Il semble que Roy Thomas Baker aimait cela aussi. Dans Good Company, sur leur quatrième album A Night At The Opera, à certains moments il y a vingt-quatre pistes uniquement de guitare. Cela permet aux solos de May d’évoquer d’autres instruments, comme la flûte ou le trombone par exemple. A aucun moment Baker, ou le groupe, n’a considéré la guitare comme un instrument secondaire ou rythmique. Au contraire, ils la considèrent comme un instrument orchestral. Ses années aux studios Decca permettent à Baker de l’enregistrer de la meilleure manière possible et de bien structurer les parties.

Dans le même album, Baker invente un nouveau système pour que Mercury puisse enregistrer les harmonies de Prophet’s Song en temps réel. Sur une bande vierge, il enregistre Freddie, puis fait passer cette bande directement dans un autre enregistreur pour que Mercury rechante par-dessus. Pendant toute leur collaboration, Roy Thomas Baker a utilisé des processus d’enregistrement inédits, particulièrement sur A Night At The Opera.

« C’est là que la section d’opéra arrive »

Quand on pense à cet album, la première chanson qui nous vient en tête n’est pas Good Company ou Prophet’s Song. On pense bien sûr à cette pierre angulaire de l’histoire de la musique : Bohemian Rhapsody. Mercury présente au piano sa nouvelle chanson, s’arrête et dit à Baker « C’est là que la section d’opéra arrive ». Une première. C’est la première fois qu’une section d’opéra s’insère dans un enregistrement de pop. Cela n’effraie pas Baker qui a déjà travaillé sur des disques d’opéra et qui sait donc parfaitement enregistrer leurs voix, les agencer et les structurer.

Le début et la fin de la chanson s’enregistrent rapidement. Ensuite, ils laissent trente secondes de bandes vides pour la partie de l’opéra. Ce ne sera pas suffisant, Baker se voit contraint à chaque fois de sectionner la bande pour rajouter des morceaux. Il leur faudra trois jours pour décider de la longueur de cette section. L’enregistrement, quant à lui, prendra trois semaines, soit l’équivalent de la durée d’enregistrement d’un album à cette époque.

C’est une équipe très créative que forme Queen et Baker, mais aussi très méticuleuse, le produit final devait être le meilleur possible. Chaque mot ou phrase de la chorale était divisée en trois harmonies et chanté par les membres du groupe. Chaque harmonie était enregistrée plusieurs fois, de telle sorte qu’il n’y avait souvent plus de place sur la bande pour un nouvelle enregistrement (vingt-quatre était le maximum). Il fallait alors transférer ces enregistrements sur une nouvelle bande et recommencer, et ce, jusqu’à qu’ils soient tous satisfaits. Certaines pistes ont été transférées huit fois, ce qui fait que la distorsion était assez élevée. Si quelque chose n’allait pas, ils le réenregistraient. « Il y avait quelques harmonies dissonantes. On les a laissées car elles n’étaient pas des erreurs. Dans la musique classique elles sont tolérées, dans le rock elles ne le sont pas d’habitude. Tout ce que vous entendez était planifié ».

Ils ont presque tout planifié. En effet, lorsque la dernière partie rock arrive, d’un coup le son est très clair et propre. La caisse claire devait marquer un changement, mais pas forcément à ce point. Il s’avère que le système de variation de son utilisé ne pouvait plus prendre de volume après la section de l’opéra, la dernière partie a donc été mixée à la main.

Un départ vers des productions plus calmes

Après A Night At The Opera, Roy Baker Thomas décide de ralentir sur les « over-production ». Il se concentre sur des productions plus minimales. Il va collaborer avec le groupe américain The Cars sur leurs quatre premiers albums. En associant de l’électronique au rock avec des mélodies usuellement utilisée en pop, il fait partie des précurseurs de la new wave. Il travaillera une dernière fois avec Queen en 1978 pour Jazz. Puis continuera de produire des Américains, comme Alice Cooper ou Ozzy Osbourn pour leur cinquième album respectif.

Roy Thomas Baker est une figure marquante de l’histoire de la musique. Il le dit lui-même : « Si nous n’avions pas produit ces effets [sonores] à la main, personne ne se serait embêté à inventer une boîte qui le fait automatiquement. J’aime penser que beaucoup des choses qu’on faisait dans les années 1970 ont lancé des modes et ont été copiées par des machines ». Qu’aurait été la musique sans Roy Thomas Baker ? sans ce son si iconique de Queen ? sans Bohemian Rhapsody ? On ne le saura jamais, et on en est plutôt reconnaissant.

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