INTERVIEW — Fontaines D.C. : « la romance est quelque chose d’oublié de nos jours »

Fin mai, à l’occasion de la fin de leur tournée promotionnelle pour « Romance », Fontaines D.C. s’est arrêté à Paris afin de discuter avec nous. Rencontre avec Conor Deegan III, aka Deego, bassiste du groupe.

SOB : Votre quatrième album, « Romance« , va bientôt sortir. Comment te sens-tu ?
Deego :
Je suis vraiment content de cet album. J’ai vraiment confiance. Je pense que nous avons essayé de nous pousser dans nos retranchements avec cet album pour créer quelque chose de nouveau et de frais, même pour nous. Et je pense que nous y sommes parvenus.

SOB : Que signifie la romance pour toi ?
Deego :
C’est une question difficile. Et je pense que c’est quelque chose que nous avons remis en question. Je pense que le but de cet album est presque de remettre en question le sens de la romance dans nos vies, de la réaffirmer.
Vous savez, je pense que la romance peut être considérée comme quelque chose d’oublié de nos jours. Le monde est devenu un peu cynique, il est important d’être libre, il est important de s’y accrocher. Il faut garder l’esprit de la romance, je pense.

SOB : Il est dit dans la première chanson, « peut-être que la romance est un lieu ». Je sais que tu as vécu à Paris, est-ce que Paris est le lieu de la romance pour toi ?
Deego :
Je trouve ça drôle. Ouais. J’ai emménagé ici avec cette idée romantique de Paris, et j’ai vite découvert que c’était comme vivre n’importe où ailleurs. C’est un endroit pour les gens, on va dans les bars et c’est toujours un endroit génial, ne vous méprenez pas. Mais oui, j’ai déménagé pendant le COVID aussi. Une période étrange, mais belle et très calme dans les rues. Et je pense que cela m’a conduit à devenir assez introverti quand j’étais dans mon appartement, j’ai arrêté d’écrire de la musique, et je pense que j’ai créé un petit culte d’une seule personne à Paris. Et je pense que nous l’avons tous fait et à notre manière, nous avons écrit de la musique et ensuite, nous avons en quelque sorte continué ces styles d’écriture, ces mots suspendus. Même lorsque nous sommes retournés en tournée en France et que nous nous sommes réunis pour écrire l’album avec beaucoup de chansons pratiquement terminées individuellement pour la première fois. Et oui, je pense que ce que j’ai appris là-bas, c’est de pouvoir nourrir ces sentiments en moi, cette romance, et d’aller lire et tout et j’ai découvert ma propre version de la romance à Paris. Ma propre façon de vivre ici. Ce n’était pas une carte postale, mais c’était beau d’une certaine manière. Et c’est une véritable expérience, vous savez, mais aussi une idée que je peux emporter avec moi lorsque je pars en voyage. Et je pense que c’est vraiment ce que nous avons tous découvert individuellement ensemble et ce que nous voulons partager avec les gens. Mais j’ai déménagé à Londres l’année dernière, donc c’est une nouvelle expérience pour moi.

SOB : À propos de la vie à l’étranger, vous vivez tous dans des villes différentes ou presque. Est-ce que vous écrivez toujours sur l’Irlande ? Avez-vous envie d’écrire sur un pays dans lequel vous ne vivez plus ?

Deego : Cela a beaucoup changé au fil des années, car nous avons vécu loin depuis notre album Dogrel. C’était un peu à propos du manque de Dublin. Et puis Skinty Fia parlait d’être irlandais à l’étranger et de ce que cela signifie d’être irlandais à Londres. J’ai l’impression de répéter notre dossier de presse maintenant… Mais je sais que c’est la vérité. Donc c’est amusant de le répéter. C’est comme si on essayait de trouver quelque chose d’autre qui puisse être romantique autour de nous. Ça fait un moment qu’on n’est pas allés en Irlande, tu sais. Et je pense qu’on a beaucoup écrit sur l’Irlande et qu’on regarde maintenant vers l’extérieur pour voir ce qu’on peut écrire ou romancer d’autre de notre vie.

SOB : Vous avez joué avec Arctic Monkeys lors de la tournée nord-américaine. Est-ce la raison pour laquelle vous avez décidé de travailler avec James Ford sur ce disque ?
Deego :
C’est en partie parce qu’on avait le même management qu’eux et on avait développé une certaine connexion avec James Ford grâce à ça et une curiosité pour travailler avec lui avec ce qu’il avait fait sur d’autres disques. Mais la première fois qu’on a enregistré avec lui, c’était avant la tournée des Arctic Monkeys. On a enregistré Motorcycle Boy à The Church à Londres pour essayer et voir comment on travaillait. Et ça a plutôt bien marché, alors on a décidé de faire un album avec lui.

SOB : Conor Curley et Carlos O’Connell ont écrit deux des chansons de Romance. Comment se déroule votre processus d’écriture ? Tu as dit que vous aviez quelques chansons finies ?
Deego : Donc, depuis notre premier album, il y a eu une collaboration sur les paroles. J’ai écrit quelques paroles ici et là, mais oui, je pense que ça devient de plus en plus collaboratif. Je pense que nous travaillons tous pour devenir de meilleurs auteurs-compositeurs et paroliers, et je pense que Grian est naturellement talentueux, mais il a évidemment travaillé. Il a beaucoup travaillé pour devenir bon. Quant à mes chansons, je pense qu’au final, j’ai décidé de garder quelques chansons parce qu’elles étaient un peu plus folk. Et c’était en quelque sorte une question de garder le son de l’album vraiment cohérent. Mais je les ai là et nous pouvons les utiliser à l’avenir. Pour n’importe quoi.

SOB : Et tu ne veux pas essayer en solo ?
Deego :
En fait, j’adorerais. J’ai quelque chose en tête. J’ai une chanson sur laquelle j’ai fait chanter une chanteuse, ce qui va être cool quand elle sortira, peut-être l’année prochaine je pense. Je chante aussi sur cette chanson mais j’ai une chanteuse invitée plutôt cool pour le faire.

SOB : Donc vous avez enregistré Romance à La Frette, un studio près de Paris, pourquoi ?

Deego : En fait, on a travaillé dans un très beau studio en Angleterre, mais on a entendu dire que de super albums y avaient été enregistrés, comme ceux de Nick Cave et Arctic Monkeys. On a voulu y jeter un œil. Mais c’est un studio incroyable, plutôt génial. C’était notre plus long enregistrement ! On s’y est vraiment mis de manière beaucoup plus approfondie. Sur nos précédents albums, on avait pris trois jours pour tout enregistrer en live. Et puis on avait encore deux jours pour bidouiller, puis une autre semaine pour mixer. Ensuite, on a fait ça en deux semaines. En gros, on a passé trois semaines à enregistrer celui-là, puis une autre semaine pour que James Ford fasse un peu de mixage à la maison. Et puis on a fait le mastering, etc. Donc tout ça a pris environ six semaines. Et c’était un processus beaucoup plus détaillé. On comprenait beaucoup mieux comment on voulait que les choses sonnent grâce à tout ce temps de production à domicile. Et oui, je pense que c’était étrange parce qu’en fait, on aurait pu penser que lorsque nous avions enregistré en live, ça sonnerait plus spontané. Et ça lui a donné cette énergie d’un groupe live, qui a une certaine spontanéité. Mais nous avions exactement les chansons définies. Toutes les parties étaient en place et nous avions beaucoup répété, mais pour Romance, nous n’avions pas beaucoup répété. Nous n’avions pas vraiment fini les chansons. Donc c’était plus spontané dans un certain sens quand nous nous sommes mis au travail. Cela semble très contradictoire, non ? Tant pis !

SOB : Vous avez décidé de quitter Partisan Records et d’aller chez XL Recordings, qu’est-ce qui a motivé ce changement ?
Deego :
Ouais, juste pour le plaisir de changer. Pour changer les choses, nous voulions changer notre style musical, notre esthétique et notre façon de nous habiller et aussi notre maison de disques. Ouais, je pense que j’étais vraiment content que nous ayons fait ça avec Partisan. Parfois, c’est juste cool de changer les choses et XL est un excellent label pour aider les artistes à le faire.

SOB : Quand vous avez fait la tournée Skinty Fia, qui était post-Covid, vous avez annulé quelques dates. Beaucoup d’artistes comme Sam Fender ou Arlo Parks ont annulé à cause de leur santé mentale, à cause de burnout. Penses-tu que l’industrie de la musique a reconnu que vous n’avez pas seulement besoin d’annuler à cause de votre santé physique, mais aussi de votre santé mentale ?
Deego : Oui, je pense que l’une des choses vraiment positives depuis le COVID, c’est que les gens sont devenus plus tolérants envers les annulations. Et il y a toujours eu de nombreuses raisons valables pour les annulations, mais je pense qu’on disait aux artistes : « Non, vous n’avez pas le droit d’annuler » . Nous avons notre manager Trevor, depuis que nous sommes très jeunes. Il est de Dublin et nous sommes tous très proches de lui en tant qu’amis. On peut l’appeler si on se sent mal et il est vraiment là pour nous, on a beaucoup de chance. On a tous eu des problèmes de santé mentale dans le groupe à différents moments. Cette idée de l’artiste torturé, je pense qu’il y a probablement plus de latitude donnée aux artistes qu’à une personne qui n’est pas un artiste pour être déprimé, on va l’accepter dans une certaine mesure à cause de ce mythe. Mais si ça va trop loin, si quelqu’un devient vraiment, vraiment déprimé, si quelqu’un devient même très anxieux, alors on doit juste aider notre ami.

SOB : Grian a dit qu’il avait écrit Starburster après une crise de panique. Est-ce quelque chose qui vous préoccupe et dont vous voulez parler davantage ?

Deego : Je pense qu’une grande partie de la stigmatisation liée à la santé mentale a disparu. Ce que j’aimerais dire en fait, c’est que j’espère que les gens pourront réellement s’adresser à des professionnels, car je pense qu’il y a un problème avec les personnes qui vont sur Instagram et décident qu’elles ont le diagnostic qui leur vient à l’esprit, qu’elles voient. Et je pense que c’est très trompeur et dangereux, vous savez ?

SOB : Vous avez créé un fonds pour les étudiants qui postulent à l’école de musique que vous fréquentiez, qu’est-ce qui vous a poussé à faire ça ?
Deego :
Une femme qui travaillait dans notre école de musique à Dublin nous a posé la question. Il y a eu quelques bourses accordées avec le nom de différentes personnes, d’autres artistes irlandais. Et elle m’a dit : « Voulez-vous en faire un en votre nom ? » Et ce sera une bourse pendant des années. Et on s’est dit : « Oui, absolument. » C’était incroyable de sentir que nous pouvions donner l’opportunité à quelqu’un qui ne l’aurait pas eue autrement de se lancer dans ce voyage musical et de mettre la musique au centre de sa vie. Et elle nous a envoyé la première vague de contacts et nous étions tous en tournée à lire ces essais qu’ils avaient écrits, à écouter leur musique sur YouTube ou autre, et à les choisir, vous savez. Ils avaient envoyé leurs cassettes d’audition. Et pour celle qu’on a choisie, on aurait dit qu’elle était dans notre salon avec ses instruments tous installés, avec une loop, et c’était vraiment cool.

SOB : Depuis la sortie de votre premier album, vous avez remis l’Irlande sur la carte du reste de l’Europe…
Deego :
Si je pouvais en prendre le crédit, je le ferais toute ma vie ! Je ne sais pas si nous pouvons en prendre le crédit, mais je pense que Girlband [désormais Gillaband, ndlr] était là avant nous, tu sais, ouvrant la voie au post-punk. Il y a toujours eu de bons groupes ici et là, mais je pense que le chemin pour se faire connaître n’a pas été facile. Il n’y a pas eu de dénicheurs de talents en Irlande pendant des années. Je pense que nous avons peut-être attiré l’attention de l’industrie musicale britannique vers ce pays. Ils ont donc remarqué les bons groupes qui étaient là et plus encore.

SOB : En tant que groupe, vous avez parlé de beaucoup de questions politiques, notamment du génocide en cours à Gaza. Pensez-vous que les artistes devraient utiliser davantage leurs plateformes pour en parler ?
Deego :
Oui, je le pense. Je pense qu’ils devraient libérer la Palestine, mais honnêtement, je pense qu’ils devraient le faire parce que ce silence est un acte plus politique que de parler. Parce que c’est une forme de déni. Mais je pense qu’il y a un niveau énorme d’égocentrisme dans la musique, et cette chambre d’écho dans laquelle nous vivons tous sur les réseaux sociaux avec des vidéos de chats et tout ça et l’autodiagnostic nous bloque la vérité sur ce qui se passe dans le monde. Nous devons donc utiliser notre voix chaque fois que nous le pouvons pour aider à faire avancer ce débat. Les chanteuses pop comme Dua Lipa ont une énorme plateforme, tellement de risques à prendre et pourtant elles parlent. Mais les groupes de rock qui jouent dans des stades ne disent rien… C’est vraiment révélateur. Et le fait que ce soit si silencieux maintenant est honteux.

SOB : Beaucoup de groupes ont également annulé leurs concerts au SXSW et à The Great Escape à cause du soutien à Israël et des sponsors, et beaucoup de ces groupes étaient en fait irlandais.
Deego :
Oui, je pense que c’est un geste très courageux pour quelqu’un qui vient de commencer sa carrière et qui ne sait pas comment cela va se passer pour lui. Et ils pourraient vraiment tout risquer. À Austin [au festival SXSW, ndlr] , je crois qu’il y avait un concert irlandais et tous les groupes irlandais étaient censés jouer là-bas parmi d’autres concerts, et ils ont tous annulé. Mais certains d’entre eux étaient là à Austin quand ils ont décidé d’annuler, et ils se sont tous réunis et ont fait cette annonce ensemble sur scène, c’était très émouvant. Ils ont tous une vingtaine d’années, il y avait newdad qui en a parlé, et je pense qu’ils sont tellement inspirants. Je crois que quelques groupes ont joué mais ils ont fait don de l’argent à un fonds palestinien. Je suis tellement fier des Irlandais !

SOB : Pour revenir à Romance, quelles ont été vos influences sur cet album ?
Deego :
Nous avons en quelque sorte ouvert la boîte de Pandore et n’avons pas voulu trouver de cohérence. Dans le passé, nous avons toujours interrogé chaque idée pour la rendre très, très cohérente. Sur celui-ci, nous nous sommes juste dits, qu’est-ce qu’on écoute réellement ? Et c’est tellement aléatoire. Laissons-nous simplement influencer par ce que nous écoutons en coulisses, nous écoutons Korn et Outkast, alors allons-y.

SOB : Quel est le film ou le livre que tu associerais à cet album ?
Deego :
Oui, je pense au livre What we talk about when we talk about Love, de Raymond Carver [Parlez-moi d’amour en français, ndlr]. C’est un très bon recueil de nouvelles. Et aussi peut-être Pluto, un anime dystopique.

SOB : Vous êtes ouvert à une collaboration avec d’autres groupes ?
Deego :
Nous sommes ouverts à cela, oui. Que nous le fassions ou non, je ne suis pas sûr, ce serait vraiment cool. Je pense que ce serait génial de travailler avec Jonathan Davis de Korn.

SOB : Je sais que Favourite avait 12 couplets dans la version originale, pensez-vous sortir une autre version dans le futur avec tous les couplets ?
Deego :
Je ne pense pas que nous ferions quelque chose comme ça, pour être honnête, on ne sortira pas une chanson de dix minutes. Mais on pourrait changer des couplets en live. Ouais, ça pourrait être vraiment cool.

SOB : Et quelle est la chanson de Romance que tu aimes jouer en live ?
Deego :
Favourite. On l’a joué une fois à Brooklyn, et j’ai envie de le jouer tous les jours. Et In The Modern World, j’aimerais bien voir ce que ça donne.

SOB : Des groupes que tu aimerais nous faire découvrir ?
Deego :
Il y en a oui : Fcukers. Ils viennent de sortir une super chanson qui s’appelle Bon Bon. Ensuite, il y a un groupe irlandais, Cardinals. Et je suis allé voir un groupe à Brooklyn récemment qui s’appelle Cum Girls 8, elles sont incroyables ! Elles sont géniales non ? Il y a beaucoup de bons groupes ces derniers temps !

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