Interview : Shame

C’est attablés à un bar du camping des Prairies de la Mer, aux abords de la ville varoise de Port Grimaud, que nous avons rencontré le groupe Shame dans le cadre du festival Plage de Rock. Retour sur cet échange passionnant, avec ceux qui sont considérés par la critique comme le groupe britannique à suivre.

C’est donc rafraîchis par l’eau de la Côte d’Azur, bouteille de pastis en guise d’offrande, que nous avons fait la connaissance des jeunes britanniques, qui visiblement avaient aussi eu la bonne idée de se baigner.

Merci d’être sortis de l’eau pour venir répondre à nos questions ! J’imagine que ça fait du bien de venir sur la Côte d’Azur, en plein milieu d’une tournée aussi éprouvante que la votre ?

Eddie Green : C’est vrai que ça fait du bien, d’autant plus que l’on va pas mal bouger dans les semaines qui arrivent !

Josh Finerty : En plus on a pu se baigner, le cadre est vraiment magnifique, ça change de l’Angleterre !

Au début de l’année vous avez rejoint le label américain Dead Oceans. Vous ont-ils donné assez d’espace pour produire la musique que vous souhaitiez faire, tout en exprimant vos idées politiques, entre autres ?

Eddie Green : Je pense que c’est ce qui nous a motivé à rejoindre le label. En rejoignant Dead Oceans, nous savions qu’ils allaient nous donner la liberté et l’espace que l’on voulait absolument avoir, et qu’ils n’essayeraient pas d’exercer un quelconque contrôle sur nous.

Sean Coyle-Smith : Ils ont tous été sympathiques avec nous. Quand nous avons rencontré les membres du label, nous nous sentions entre pairs. Nous avons pris contact avec de nombreux labels, des Majors, mais l’ambiance n’était pas la même…

Josh Finerty : Et il faut dire que de très bons groupes sont sur ce label, comme Kevin Morby, Slowdive, The Tallest Man on Earth, …

Dead Oceans est en effet un excellent label, bravo à vous ! Diriez-vous qu’il vous ouvre de nouvelles portes ?

Eddie Green : Oui, et surtout aux Etats-Unis, où tout reste à faire. Ce label nous ouvre de nouvelles opportunités pour faire une tournée outre-Atlantique, car l’équipe connait les endroits où passer. Contrairement à beaucoup de labels, qui se concentrent qu’en Europe ou au Royaume-Uni, Dead Oceans a une renommée mondiale.

Sean Coyle-Smith : Ils vont sans doute nous aider à propulser l’album aux Etats-Unis.

Ce qui est assez surprenant, c’est que Visa Vulture, une chanson très forte en terme d’opinions politiques, est la plus calme. Il s’agit d’une ballade, ce qui contraste avec le reste de vos chansons. Comment expliquez-vous cela ?

Eddie Green : Ce morceau a traversé différentes étapes. Nous l’avions écris avant que Theresa May ne devienne Premier Ministre. Il ne nous a pas semblé nécessaire de mettre beaucoup d’instruments dessus.

Sean Coyle-Smith : Charlie Steen a écrit les paroles. Nous avions l’idée globale de la chanson, mais nous n’arrivions pas à la faire rentrer dans le style de notre répertoire. Un jour nous en avons eu marre et nous nous sommes dis que nous allions mettre en avant le côté ironique de la chanson.

Eddie Green : On a même pas essayé de faire une bonne chanson. Les paroles sont niaises et les accords sont totalement stupides.

Josh Finerty : Tout ce qu’on peut faire en fait c’est rire, tellement la chanson et la situation sont ironiques.

Et pourtant, c’est une très bonne chanson. Il est rare de voir des artistes défendre leurs idées.

Josh Finerty : Oh, même si nous abordons la politique, je ne pense pas que l’on sache vraiment de quoi on parle.

Eddie Green : Il y a plein de groupes qui ont le potentiel d’utiliser ce qu’ils font de manière responsable, pour parler des sujets qui les touchent. Mais ils ne veulent pas le faire de peur de perdre leurs fans. Je pense qu’il est ridicule de réduire les chances d’exposer les choses qui semblent injustes.

« Certains groupes ont la chance de pouvoir influencer des générations entières. Ils ont une responsabilité. »

Pensez-vous que les groupes aient une obligation morale de se battre pour leurs idées ?

Eddie Green : Disons que c’est une responsabilité. C’est vraiment frustrant de voir des groupes qui sont connus mondialement, et gâchent la chance qu’ils ont d’influencer des générations entières de personnes. Je ne pense pas que nous influençons des générations entières, mais certains groupes ont le pouvoir de le faire et gâchent cette opportunité par peur de prendre position. Ils veulent se faire aimer de tous, mais ça n’arrive jamais, nous ne sommes pas dans un conte de fées…

Bon, parlons sérieusement : qu’en est-il de votre album ?

Eddie Green : Nous l’avons enregistré !

Sean Coyle-Smith : Et nous avons sans doute une date, courant janvier 2018 ! D’ici là nous allons sortir un single en septembre.

Josh Finerty : Bon, on est encore en train de le mixer, donc vous savez ce que c’est…

Vous avez un plein de singles en stock et vous ne savez pas lesquels sortir, ou alors vous écrivez les chansons petit à petit ?

Josh Finerty : Non, nous essayons de créer petit à petit, pour concevoir notre album comme un tout. Sinon le jour de la sortie on se regarderait en se demandant pourquoi on a pris telle ou telle chanson !

Vous étiez à Glastonbury en juin, et aux Eurockéennes de Belfort début juillet. Vous êtes en plein milieu d’une tournée européenne : ça donne quelle sensation de traverser le continent ?

Eddie Green : C’est plaisant de toujours découvrir de nouvelles choses, de jouer pour des personnes qui veulent nous voir et nous entendre. Nous sommes allés en République tchèque, au Danemark, en Suisse, … Mais on dirait qu’en France les personnes veulent vraiment nous voir !

Sean Coyle-Smith : C’est vrai que des fois nous arrivons au milieu de nulle part, et les personnes connaissent nos chansons.

« Les Français sont vraiment attentifs à ce que nous faisons ! »

Quel public est le meilleur du coup ?

Eddie Green : Je dis pas ça pour vous faire plaisir, mais nos concerts en France sont parmi les meilleurs. On ne peut pas rivaliser avec un concert à domicile, en Angleterre, mais les français sont vraiment attentifs à ce que nous faisons.

Sean Coyle-Smith : Les français, les écossais et les anglais sont sans doute les plus fous ! Après nous allons dans des villes où il n’y a pas une saturation d’offre musicale comme à Londres, l’ambiance n’est pas la même.

Quel est votre meilleur souvenir de festival ?

Sean Coyle-Smith : Pas facile comme question, il y en a tant….

Eddie Green : Tout ce qui est arrivé à Glastonbury ! C’est une expérience à part entière.

Josh Finerty : Bon a quand même joué en même temps que Radiohead. Il n’y avait personne, juste deux vieux qui s’étaient perdus.

Sean Coyle-Smith : Bon je dois avouer que l’un de mes plus beaux souvenirs, c’était de voir Josh au Roskilde Festival en train d’essayer de faire les choeurs tout en ayant envie de vomir.

Josh Finerty : J’étais tellement malade ! J’essayais de vomir mais je n’avais rien mangé. Du coup je me forçais mais rien ne sortais… Ca aurait été plutôt rock and roll de vomir sur scène entre deux chansons !

Vous avez pu rencontrer des groupes à Glastonbury ?

Sean Coyle-Smith : Beaucoup de nos amis jouent à Glastonbury ! C’est une sorte de réunion de famille  !

Charlie, parle moi un peu plus de la première -et unique- apparition du groupe à la télévision. C’était sur la scène du Grand Journal de Canal +, et tu portais un t-shirt « Je Suis Calais ». Nous étions alors, et sommes toujours, au milieu d’une crise humanitaire.

Charlie Steen : Je portais ce t-shirt car le jour d’avant nous sommes passés par Calais. C’était quelques mois après l’attaque de Charlie Hebdo. Ce qui se passait à l’époque dans la Jungle de Calais, et ce qui s’est passé depuis, est important. Les médias se sont focalisés dessus pendant très peu de temps, et semblent totalement avoir oublié la crise qui est en train de se jouer. Les réfugiés ont été chassés il y a très peu de temps, et leurs habitations de fortunes brûlées. Ils ont été séparés de leurs familles, on leur a donné un numéro et déplacés aux quatre coins de la France.

Sean Coyle-Smith : Toutes ces personnes sont totalement innocentes, et ont fuit leur pays. Et pourtant on continue à les considérer comme si elles avaient fait quelque chose de mal.

Charlie Steen : L’idéologie derrière Je Suis Charlie était de défendre la liberté d’expression. Lorsque nous avons traversé ces camps, et que nous avions entendu parler des personnes qui étaient mortes en essayant de rejoindre l’Angleterre, il nous a paru évident que nous en avions à en parler.

Donc la France et le Royaume-Uni devraient coopérer pour aider ces personnes ? Car en vertu des accords de Calais, la France protège actuellement la frontière britannique.

Eddie Green : Le gouvernement britannique a son rôle à jouer dans cette crise humanitaire. Beaucoup de ces émigrés souhaitent rejoindre l’Angleterre et ne le peuvent pas à cause de la politique britannique, et non pas à cause de la politique française.
Il est ridicule de voir que nous parlions de l’Europe comme d’un terre de liberté et de droits, et que nous tournions le dos à des personnes qui meurent en fuyant la guerre. Nous ne pouvons pas continuer comme ça.

Charlie Steen : En Grèce, des milliers de personnes sont parqués dans des camps, sur une île, car ils ne peuvent ni rentrer en Europe, ni rentrer dans leur pays d’origine.

Merci les gars, et bon concert !

(Merci également à Fabien M., qui a co-réalisé cette interview, à Cédric de Plage de Rock pour son aide et à Nick, le manager du groupe, pour sa patience !)

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