LOST-UNDER-HEAVEN-final

Introspection, évolution et inspirations: interview avec Lost Under Heaven

A l’occasion d’un superbe second album et d’un concert éblouissant au Backstage By the Mill, nous avons rencontré le duo Lost Under Heaven pour disséquer leur nouvel effort, et faire le point.

Pigalle; son Moulin Rouge, ses échoppes, ses sex-shop, et son Backstage By the Mill. C’est en terrasse, quelques heures avant un concert extrêmement attendu, que nous retrouvons le duo formé par Ebony Hoorn et Ellery James Roberts. L’occasion de parler de Love Hates What You Become, de songwriting, de réalité virtuelle et de voyage intérieur.


Ce soir c’est le début de votre tournée européenne ; comment vous vous sentez ?

Ebony Hoorn (chant, basse) : Très excités ! Le public européen est toujours très investi !

Ellery James Roberts (chant, guitare) : Il l’a toujours été par le passé ! J’ai l’impression qu’en Europe il y a un niveau d’investissement différent par rapport à l’Angleterre, là-bas c’est plus…

Ebony : Plus intellectuel, plus en profondeur !

Ellery : On espère que ce seront deux bonnes semaines ! On n’était pas venus ici depuis 2016…

Paris a une place spéciale dans votre cœur ?

Ellery : Toujours, depuis plusieurs années, même avec WU LYF, les gens ont toujours d’excellentes réactions.

Ebony : La foule est toujours très énergétique !

Ebony : Un de nos premiers shows à Paris était bizarre car notre équipement n’arrêtait pas de crasher, de dysfonctionner. J’espère qu’on nous pardonnera [rires]

Ebony : Et on a un nouveau setup maintenant !

Que peut-on attendre de LUH en live aujourd’hui ?

Ellery : C’est bien plus cohérent maintenant. A l’époque du premier album tout était fait sur ordinateur ; il n’y avait pas de limites, on pouvait faire ce qu’on voulait, et en live on était coincés ! Engager 10 musiciens ? Impossible ! Du coup on a formé un groupe live avec lequel je n’ai jamais vraiment été à l’aise, avec lequel je ne me suis jamais senti libre. Maintenant on est un trio, je suis à la guitare, Ebony a appris à jouer de la basse, et on a un nouveau batteur. C’est plus orienté rock, plus impactant !

Ebony :  On a aussi quelqu’un au niveau du light show, ça aide beaucoup à créer une atmosphère, une ambiance !


Avec ce nouveau setting, comment arrivez-vous restituer les arrangements complexes de votre premier album ?

Ellery : J’ai tout programmé dans Ableton ! Le batteur est un peu DJ aussi, il envoie des sections, des sons avec un drum pad, comme ça nous restons seulement trois sur scène mais avec un excellent son ! Je crois que ça fonctionne ! [rires] Le problème avec le premier album est que je ne me suis jamais senti à l’aise avec le groupe, mais du coup tu n’es jamais vraiment à l’aise comme ça au moment de jouer tes morceaux au public !

Ebony : La dynamique entre nous 3 fonctionne énormément, il y a une très bonne énergie !

Pouvez-vous me parler de Love Hates What You Become, très différent de votre premier album ?

Ebony : il est beaucoup plus épuré ! On l’a écrit entre 2016 et 2017 !

Ellery : J’avais un endroit pour moi et j’ai pu amener plein d’idées à terme. C’était un processus beaucoup plus introspectif, contrairement au premier album, plus ouvert, vers le public. Ce nouvel album est plus honnête. Il est plus affiné, c’est une évolution en termes de songwriting, comme avec Black Sun Rising par exemple. C’est un album différent.

Ebony : Ça fait un bout de temps qu’on est avec cet album ; on l’a fini en été 2017 !

Ellery : Après on a essayé de le sortir ! [rires] La culture de nos jours est très rapide, et on a dû trouver comment sortir nos chansons à l’époque, ensuite ç’a été très difficile d’investir d’autres personnes dans notre musique ! Ce fut une année complexe… Mais essentielle !

Tout ce temps d’attente entre été 2017 et début 2019 ; quel est votre rapport à ces nouveaux morceaux maintenant ?

Ellery : On a beaucoup d’autres nouveaux morceaux maintenant. On a une pause au printemps, on va en profiter. Je travaille tout le temps, j’écris tout le temps… Être très confiant avec les morceaux qu’on joue c’est important, avoir ces nouveaux morceaux que le public ne connaît pas forcément… Avoir leurs réactions est intéressant ! Au moment de la tournée américaine, personne ne connaissait les morceaux, dont on guette les réactions ; c’est d’autant plus complexe que notre musique n’est pas forcément très accessible ! Maintenant que l’album est sorti, les gens ont une chance de chanter en chœur avec nous [rires]

Le début de Love Hates What You Become est très agressif, c’est une approche très différente du premier album…

Ellery : Pour Come, il y a toujours eu un son que je voulais explorer, quelque chose de très inspiré par Trent Reznor, quelque chose d’industriel, d’électronique… Ce style de stadium rock très années 90, explorer ça… Je pense que ça fonctionne maintenant que c’est sorti… Bunny’s Blues est plus garage que ça.

Ebony : Sur la setlist, c’est intéressant de composer avec les titres des deux albums.

Ellery : Le premier album était bien plus expérimental. Notre producteur a été beaucoup plus direct, il nous disait « ce sont les accords, c’est ça le morceau » et point [rires].  On avait moins de temps pour travailler l’atmosphère des morceaux, c’est sans doute quelque chose dans lequel on se replongera pour notre prochain album. Tu fais quelque chose, tu bouges sur une autre chose, et à la fin tu essaies de trouver un équilibre entre les deux [rires]

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Vous avez une pochette très sombre, presque agressive, pour un album finalement plutôt délicat dans l’ensemble, très aérien… D’où vient ce contraste ?

Ellery : Après Bunny’s Blues on s’est plus recentrés sur nous-mêmes… Je préfère les morceaux plus délicats, je préfère les jouer… Je suis sans doute le seul [rires]

Ebony : Ce sont les morceaux les plus durs à jouer, car on retire tellement, on épure… C’est là où on obtient les réponses plus émotives ; ça me fait ça en tout cas [rires]

Ellery : On a calqué ça sur une expérience qu’on peut avoir devant un film, où tu as une ouverture choc, genre « BOUM », tu te prends ça dans la face, … ça te laisse vulnérable, et à ce stade-là tu peux un peu plus réfléchir, te poser un peu. C’est notre A Touch of Evil ! [rires]

Spiritual Songs For Lovers to Sing était très aérien, angélique, et Love Hates What You Become est un peu l’opposé. Là aussi c’est un contraste volontaire ?

Ellery : De nos jours tu peux tout faire sonner comme tu le souhaites. Maintenant j’ai tendance à aller plus vers des productions genre retro, stripped down. La force d’un morceau doit être dans son cœur même.

Ebony : Le premier partait dans tous les sens, tout était fait sur ordinateur. C’est bien de prendre des éléments modernes et de les mêler à de nouveaux genres, d’équilibrer un peu tout ça.

Comment vous êtes-vous répartis les tâches de composition ?

Ebony : J’étais bien plus présente pour cet album. Pour le premier je passais un diplôme dans une école à Amsterdam ; cette fois j’étais vraiment dans le studio à jammer avec Ellery.

Ellery : c’était vraiment un dialogue, à l’opposé de Spiritual Songs où je faisais tout, je disais « Ebony, viens chanter ça ». C’est bien plus appréciable maintenant, bien plus plaisant.

Ebony : C’est très intéressant qu’on se présente nos idées et qu’elles se reflètent, ce dialogue permet d’amener les morceaux dans des directions qu’on ne prévoyait peut-être pas dans un premier temps.

Vous avez créé une expérience en réalité virtuelle pour Come ; parlez-m ’en plus !

Ebony : C’est marrant ça [rires] On a bossé avec une compagnie qui souhaitait collaborer avec nous ! J’étai très intéressée par la VR depuis très longtemps. C’es génial qu’on puisse écouter un morceau et créer un monde tout autour. C’est différent d’une simple vidéo que tu regardes, là tu es dedans ! Tu peux placer des éclairages spécifiques, des éléments visuels particuliers… Tu passes vraiment à travers, tu n’es pas que spectateur !

Ellery : C’est difficile à créer, mais créer un monde autour de ses morceaux c’est essentiel ! C’est différent de lâcher des morceaux en aléatoire via Spotify, là tu t’ancres vraiment dans l’univers… Tu es guidé par la musique et les visuels ! C’était une opportunité géniale !


D’autres pistes visuelles à expérimenter pour plus tard ?

Ebony : On est très intéressés par le théâtre, la construction de la tension… Il y a un dialogue visuel à explorer… Des sortes d’installations, des choses éphémères !

Ellery : En une soirée on ne peut pas tout faire, il y a beaucoup de pression… Avec une installation on peut créer quelque chose de plus posé et concret !

Ebony : On essaie d’y préparer l’audience [rires] Il y a une salle très DIY à Manchester avec beaucoup d’installation visuelles… On adorerait faire ça ! Dans l’idée de ce qu’avait fait Oneohtrix oint Never !

Oui, avec Myriad !

Ellery : Tu as pu le voir ?

Oui, c’était impressionnant !

Ellery : La chance ! On est passés à côté… On est inspirés par beaucoup de musiciens de la scène avant-garde, électronique, comme Chino Amobi par exemple !

Ebony : Il y a aussi Anna Von Hausswolff ! Très étrange et captivant…

Love Hates What You Become est un titre très pessimiste, mais les chansons débordent d’espoir… Qu’est-ce qui vous redonne espoir à vous ?

Ellery : Ce que j’essayais de faire avec le titre, c’était… Si tu n’es pas honnête avec toi-même, ça influencera le monde autour de toi. Être optimiste ça entraine les gens autour de toi, tu peux chanter des choses feel good qui se vendent facilement. La pop music c’est quelque chose d’hypocrite, de superficiel. Il y a quelque chose de plus profond à regarder nos ténèbres intérieures et les affronter. Pour rester optimiste il faut juste… Roll with it. Il n’y a pas d’intérêt à rester dans son lit et pleurer ! [rires]

Ebony : Il y a plein de personnes qui font des choses très positives ; il est important de rester concentré sur ça. Si on reste concentré sur tout ça, sur les gens qui essaient de changer les choses, d’aller de l’avant… Si tu en parles autour de toi ça grandit, forcément !

Qu’avez-vous de prévu dans le futur ?

Ellery : Je crois qu’on s’est enfin trouvés un emplacement solide où on peut vraiment aller de l’avant. On était bien plus paumés au début mais maintenant on a un but, une direction donc on ne peut qu’évoluer, progresser ! Il y a le mythe de la masterpiece que je trouve très daté et restrictif ; je veux arriver à un point où il nous est possible de sortir des morceaux librement et passer à des installations, des choses très visuelles, des galeries…

Ebony : On ne veut pas se limiter que à la musique. On réfléchit à comment transmettre tout çà autrement ; magazine, court métrage, installation …

Ellery : On ne se limite pas qu’a concept de « on est un groupe, voici notre clip ». On est plutôt dans la dynamique de « voici un film, pourquoi ne pas en tirer une bande originale ». La façon dont les gens consomment l’art maintenant… Les gens s’en foutent un peu. Je désire vraiment être plus actif dans le processus allant de l’idée à la création. Créer c’est facile, joyeux, faste, inspirant ; et au moment de sortir les choses, c’est là que c’est complexe ! [rires] On essaie de bosser sur cette évolution !

 

Love Hates What You Become est dans les bacs depuis Janvier.

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