Foals

Foals dans sa meilleure époque : l’interview fleuve

Avec ce doublé gagnant, Everything Not Saved Will Be Lost, dont la première partie est enfin à notre portée, Foals s’est éloigné d’Oxford, s’est sevré de la tournée et a probablement écrit ses plus grands morceaux… Sous la lumière tamisée d’un pub. Entretien avec Yannis Philippakis, un des plus grands prophètes de notre génération

« Je me demandais qui étaient ces deux gars qui attendaient », nous glisse Yannis Philippakis la main tendue. On sert, fébrilement, cette porteuse de plume, presque sans y croire. Vêtu d’un pull, citronnade à la main, il s’assoie face à nous et d’emblée, son regard s’absente quelques instants. On le ramène à la réalité en abordant le sujet – ce magnifique album, Everything Not Saved Will Be Lost, dont la première partie sort dans les bacs. « C’était tout sauf intentionnel », commence Yannis. « On avait du temps, on ne voulait pas de pression. Et puis, on ne bossait pas avec un producteur. » Le groupe a donc composé deux openings, deux closings. Deux disques, parallèles, se sont ainsi formés, dans un élan de génie absolument palpable. « Le but, c’était d’éviter un double-album en one shot. C’est trop écrasant, comme un fardeau pour nous, comme pour le public. Ce sont deux jumeaux, mais deux jumeaux qui ne sont pas identiques » explique le chanteur avec clarté. 

« On se dirige en plein dans une époque d’extinction » 

À vrai dire, on aura rarement vu Philippakis autant en symbiose, en paix, avec un projet de Foals. Le groupe a définitivement fermé les portes de What Went Down, disque monumental – peut-être trop – engendrant sa plus grosse tournée, period. « Je n’aime pas ressasser le passé, le référencer. C’est toxique. Quoiqu’on fasse pour la suite, l’objectif c’est de faire strictement l’opposé. » Dans un échange de regard, Yannis perturbe l’échange. Le projet qu’il porte est d’autant plus impressionnant dans sa production que porteur d’un message terriblement d’actualité. Une dérision, pour Foals, qui comme chaque mastodonte britannique participe, dans de moindres mesures, à l’émancipation des nouvelles technologies et de la digitalisation de la société. Mais la conscience du groupe détone. « Certains thèmes de notre album ‘Total Life Forever’ (l’artificialité, le principe de destruction, ndlr) sont similaires, ok… mais ‘Total’ est beaucoup plus imaginaire, voire dystopique. Ce dernier album est maudit par le réel. C’est le monde d’aujourd’hui, on y est, on n’a jamais été aussi proche de tout ça. Il n’y a plus de place pour l’empathie et l’ironie. » Plus tard, on ne sait plus quand – mais on juge nécessaire de l’ajouter ici – le musicien ajoutera : « On se dirige en plein dans une époque d’extinction. »

En composant des titres comme l’ouverture « Moonlight », « Exits », ou la semi-ballade « Sunday », Foals met en exergue le passé, le présent… ainsi que le futur, en rendant un hommage saillant et sensible à ce siècle de déclin. Dans un souci de nonchalance, Philippakis chante : « Le temps est venu et le temps est révolu / Les villes brûlent, on a de la jeunesse à revendre. » Malgré tout, dans la beauté de sa composition, Everything Not Saved Will Be Lost nous englobe, nous protège. Tout va bien.

Foals

© Alex Knowles

S’isoler du chemin tout tracé 

Foals est pourtant revenu en studio empreint de doutes. Le bassiste originel du groupe, Walter, ayant quitté le navire l’an dernier ; il a presque fallu réinventer la formation. « Même si on s’est toujours séparés le boulot avec Walt. J’écrivais les lignes de basses et il arrangeait tout ça à sa manière. Maintenant, il n’est plus là » murmure Yannis, peut-être avec émotion, sûrement avec compassion et tendresse envers son compère qui a préféré respirer un moment loin des scènes, des shows, des quatre murs du studio d’enregistrement. Avait-il, au fond, raison ? La tournée What Went Down fut la plus longue, donc la plus difficile et certainement la plus inoubliable pour Foals. « C’était génial, on adore jouer sur scène. Mais c’est exigeant, on se donne beaucoup » dit Yannis. Il continue : « J’envie les groupes qui arrivent à se relaxer après une tournée. Nous, c’est plus compliqué. Quand on entre sur scène, on doit capter une énergie, on doit transcender le public… Pour nous aider, on boit beaucoup, entre autres. À force, ça peut être usant. Une tournée, ce n’est objectivement pas sain. »

Le trek (enfin) terminé, le groupe s’est quelque peu dissipé, mais pour mieux se retrouver. Très vite, il a fallu se remettre les idées en place. « Retourner à Oxford aurait été une erreur. On ne pouvait pas revenir dans la même pièce, enregistrer la même musique, sachant qu’il nous manquait un de nos piliers fondateurs. » Le groupe s’est donc éloigné, encore une fois, du passé et à posé ses valises dans le sud de la banlieue londonienne. « Je voulais être à la maison. » Entre le vacarme de la ville et le calme rural.

Ces dix mélodies, toutes auto-produites, ont surtout été écrites à la hauteur du monde. « J’ai gratté les paroles dans un pub, en regardant les gens autour de moi. Je n’étais pas dans une salle froide, hostile, seul et pleurant toutes les larmes de mon corps. Non, cet album a été conçu entouré d’anglais bourrés. » Et c’est une bonne nouvelle. Everything Not Saved Will Be Lost, aussi complet soit-il, est tellement actuel qu’il se termine presque sur un twist. Comme si la suite était encore à écrire. Le disque profitera, à l’automne prochain, d’une deuxième partie, encore plus forte et on l’espère, d’autant plus aboutie. « Il y aura même un morceau de dix minutes. Je crois que c’est ce qu’on a fait de mieux depuis toujours. » termine Yannis. La chance sourit aux audacieux.


Propos recueillis avec Melvil Joyaux 

Foals est en tournée cette année. Le groupe se produira notamment le 13 mai 2019 au Bataclan (sold out).

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